Auteur : Christophe Frey

Franz-Alois FISCHER, Das Recht und seine Voraussetzungen. Eine rechtsphilosophische Rekonstruktion von Hegels Rechtsbegriff, Freiburg-München, Alber, 2018, 231 p.

L’auteur s’interroge sur la manière dont le droit se rapporte aux facteurs extra-juridiques qu’il semble présupposer. L’ensemble de ces facteurs non juridiques censés intervenir dans la genèse, dans les modes de justification ou dans le contenu même du droit sont ici subsumés sous le concept de nature qui, dans ce sens large, englobe aussi bien les impératifs de la raison que l’idée d’un ordre éternel de la création ou l’ensemble des faits sociaux, biologiques et physiques. Le problème qui se pose est donc celui du rapport du droit – et en particulier de ce que Hegel nomme le droit abstrait – à cette nature. À ce propos, l’auteur distingue classiquement deux types de positions : le jusnaturalisme et le positivisme juridique. Ils ont en commun d’introduire un dualisme strict entre la nature et le droit. Simplement, le jusnaturalisme classique emprunte tels quels des éléments à la nature pour s’en servir de fondement, tandis que le positivisme juridique exclut tout emprunt de ce genre, et isole ainsi le droit de la nature. Cependant, chacune de ces attitudes pose problème. Il s’agit donc de chercher une troisième voie. L’auteur pense en trouver les prémisses chez Hegel.

En effet, chez cet auteur, le rapport du droit à ses présuppositions apparaît plutôt comme un rapport vivant. Le droit n’exclut pas la nature pour se poser comme un pur jeu de concepts indépendant, mais il ne la laisse pas valoir en lui comme telle. La nature le stimule, il se rapporte nécessairement à elle, mais elle ne vaut en et pour lui qu’en tant qu’il la transforme pour ainsi dire en sa propre chair. Il s’en nourrit mais en demeure libre. Après avoir montré que la compréhension et la justification du droit ne supposaient pas chez Hegel l’hypothèse d’un état de nature, l’auteur illustre ce rapport complexe entre le droit et ses présuppositions extra-juridiques à travers une analyse des différents moments du droit abstrait. Puis, dans ce qui est sans doute la partie la plus originale de l’ouvrage, il s’efforce de montrer comment l’approche hégélienne du droit qu’il a voulu reconstruire permet de penser la manière dont le code civil allemand utilise et définit un certain nombre de concepts, tels que ceux de déclaration de volonté, de possession et de paternité. Cela permet d’écarter le soupçon selon lequel le droit théorisé par Hegel serait un droit de philosophe, éloigné des exigences de la pratique.

De manière générale, il s’agit de montrer que le concept de droit formé par Hegel est un concept robuste, précisément parce qu’il ne suppose aucun récit des origines et aucun fondement anthropologique ou social déterminé sans pour autant pouvoir sanctionner n’importe quel contenu. Il évite ainsi aussi bien les écueils des différentes formes de jusnaturalisme que ceux du positivisme juridique. Cependant, il ne satisfait pas pleinement à l’exigence d’autonomie individuelle, ce qui conduit à la relativisation du droit abstrait dans l’économie générale de la philosophie hégélienne de l’esprit. L’auteur juge, de manière un peu énigmatique, que Hegel aurait pu libérer le droit de cette exigence d’autonomie comme il l’a libéré de l’obligation de rendre compte de ses origines. C’est sur cette critique adressée à Hegel que se referme l’ouvrage, par ailleurs très hégélien. On peut espérer que d’autres travaux de l’auteur nous laisseront entrevoir un peu mieux la théorie du droit qui se cache derrière cette réserve, et qui pourra lui donner tout son sens.

Christophe FREY (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Christophe FREY, « Franz-Alois FISCHER, Das Recht und seine Voraussetzungen. Eine rechtsphilosophische Rekonstruktion von Hegels Rechtsbegriff, Freiburg-München, Alber, 2018 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.

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Robert R. WILLIAMS, Hegel on the Proofs and the Personhood of God. Studies in Hegel’s Logic and Philosophy of Religion, Oxford, Oxford University Press, 2017, 319 p.

L’ouvrage se présente comme l’étude de quelques points de théologie hégélienne. Il examine en effet successivement la manière dont Hegel traite des preuves de l’existence de Dieu et l’application théologique qu’il fait du concept de personnalité. Mais son intérêt ne se limite pas à l’éclairage qu’il porte sur ces problèmes particuliers. Il se caractérise en effet avant tout par un effort continu pour rendre à ce domaine de la pensée de Hegel son ancrage logique et systématique, ce qui lui permet d’aboutir à une analyse particulièrement riche et cohérente des principes de la philosophie de l’esprit dans son ensemble.

Williams refuse aussi bien de rabattre la théologie hégélienne sur un fondement anthropologique que sur une quelconque forme d’orthodoxie religieuse. C’est pourquoi il se sent proche d’un hégélien « du centre » comme Carl Ludwig Michelet. Mais si Michelet affirme à juste titre que la personnalité de Dieu n’en fait pas une personne transcendante, Williams montre aussi que sa présentation de la théologie hégélienne ne prête pas assez d’attention à la logique du concept et échoue pour cette raison à donner à son objet un sens pleinement déterminé.

En effet, s’appuyant sur le dernier ouvrage de Stanley Rosen : The Idea of Hegel’s Science of Logic, Williams entend montrer que le trinitarisme théologique de Hegel doit être compris à partir de son trinitarisme logique, c’est-à-dire de sa conception de l’unité dans et par leur différence entre la pensée et l’être, le singulier et l’universel, qui est au fondement de la notion même de personnalité. Ceci donne lieu à des développements sur le caractère constitutivement social et communicatif de l’esprit, qui n’est qu’en se reconnaissant dans son autre et ne perd rien en se communiquant.

Le but du livre est ainsi de montrer comment la logique subjective permet de reconquérir un contenu rationnel tant pour la philosophie que pour la religion, au sein desquelles Hegel percevait des tendances formalistes et nihilistes, rendues inévitables par les apories de la métaphysique classique et renforcées par une lecture paresseuse de Kant. L’interprétation défendue n’a sans doute rien de révolutionnaire, mais elle se recommande par sa minutie et par l’attention qu’elle prête à des textes relativement méconnus, tels celui, resté inachevé, des Leçons sur les preuves de l’existence de Dieu.

Christophe FREY (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Christophe FREY, « Robert R. WILLIAMS, Hegel on the Proofs and the Personhood of God. Studies in Hegel’s Logic and Philosophy of Religion, Oxford, Oxford University Press, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Hongyu JIA, Das Prinzip der Reflexivität bei Hegel, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2016, 266 p.

L’ouvrage se donne pour objectif d’éclairer le principe même de la philosophie hégélienne. L’auteur s’attache en effet à mettre en évidence le rôle constitutif qu’une certaine forme de réflexion joue dans la systématisation de la pensée spéculative. Il en vient ainsi à considérer que la philosophie de Hegel se singularise davantage par son principe de réflexivité que par son caractère spéculatif, dans la mesure où elle se conçoit elle-même comme prenant la suite de systèmes qui se veulent et sont eux aussi spéculatifs dans leur principe, mais dont le point de départ spéculatif n’est pas animé et développé de la même manière par la réflexion, et ne revêt donc pas le même sens.

Avant d’aborder l’œuvre de Hegel, l’auteur s’efforce toutefois de tracer une brève histoire du concept de réflexion, depuis ses sources grecques et Cicéron jusqu’à Hegel lui-même, en s’attardant plus particulièrement sur les figures de Kant, de Fichte et de Schelling. Puis il suit l’évolution de la place accordée à la réflexion au sein même du corpus hégélien, des écrits de Berne à la Science de la logique et aux élaborations ultérieures. Il s’agit de montrer comment la réflexion, entendue comme acte mental, est d’abord exclue de la pensée de l’absolu, avant d’être progressivement intégrée à sa présentation, jusqu’à en devenir le principe moteur fondamental.

Enfin, dans les deux dernières parties de l’ouvrage, l’auteur adopte une démarche plus systématique, dont le but est de mieux définir la conception hégélienne d’une réflexion proprement philosophique et d’exposer les différentes formes qu’elle prend, dont les rapports déterminent selon lui la méthode de Hegel dans son ensemble.

Pour ce faire, l’ouvrage accorde un grand poids à l’écrit de 1801 sur La Différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling, où la réflexion, en tant qu’elle se supprime en se réfléchissant elle-même dans l’absolu, est effectivement présentée comme l’instrument privilégié de la philosophie. La thèse de l’auteur est que, si Hegel a ensuite fait du concept de réflexion un usage plus restreint, l’évolution ne serait que terminologique.

Sur ce sujet comme sur d’autres, l’ampleur des sujets abordés explique sans doute pour partie que l’auteur soit conduit à énoncer plus de thèses qu’il n’a le temps d’en justifier. Ceci a pour conséquence que la marche des idées n’est pas toujours facile à suivre. Néanmoins, le livre ouvre des perspectives interprétatives intéressantes sur un certain nombre de textes particulièrement ardus.

Christophe FREY (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Christophe FREY, « Hongyu JIA, Das Prinzip der Reflexivität bei Hegel, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.


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