Auteur : Paul Rateau

Leibniz – De Volder : Correspondance, traduction, annotations et introduction par Anne-Lise Rey. Préface de Michel Fichant, Paris, Vrin, 2016, 287 p.

ÉTUDE CRITIQUE (suivie de la réponse de l’auteure)

« […] je sens s’allumer de vous à moi une lumière qui me donne le sentiment que je comprends mieux mes positions quand je lis les vôtres [6]. » Par ces mots, Leibniz indique bien l’importance particulière que revêt pour lui la correspondance qu’il a engagée depuis 1698 (et qu’il poursuivra jusqu’en 1706) avec le philosophe hollandais Burchard De Volder (1643-1709), et la fonction qu’elle remplit à ses yeux. Le professeur de Leyde, d’abord cartésien puis critique de Descartes, peut-être tenté par le spinozisme, n’a certes pas l’envergure d’un Arnauld – avec lequel Leibniz entretint l’un de ses échanges épistolaires les plus fructueux. Cependant ses interrogations, ses demandes, ses objections sont pour le philosophe de Hanovre l’occasion d’aller beaucoup plus loin que ce que les exposés publics avaient déjà pu faire connaître [7], sans néanmoins toujours l’approfondir, sur la substance, la force qui lui est attachée et cette science nouvelle, la dynamique – science de la puissance et de l’action – dont il était l’inventeur. La correspondance, dont il faut souligner l’unité thématique, va cependant au-delà du simple éclaircissement, de l’explication ou de la diffusion d’une pensée définitivement fixée et sûre d’elle-même auprès d’un public à convaincre. Dans ses lettres à De Volder, sans jamais se soustraire à ses obligations envers son interlocuteur qui le questionne, Leibniz est d’abord et surtout en colloque avec lui-même. Ce commerce épistolaire – peut-être plus qu’un autre – l’aide à se comprendre lui-même, en ce moment crucial de sa carrière intellectuelle où il se voit progresser conjointement dans la philosophie naturelle, par ses démonstrations de l’estime des forces (les voies a posteriori et a priori), et en métaphysique, avec l’invention du concept de monade, par lequel toute la réalité doit en dernière instance pouvoir être saisie et ordonnée. Le lien entre ces deux domaines théoriques était bien sûr établi depuis longtemps dans son esprit (il l’est depuis la réhabilitation des formes substantielles en 1679). La correspondance permet cependant de mieux le ressaisir et de l’approfondir. Telle est en effet la découverte fondamentale que Leibniz veut partager avec De Volder : que « les sources de l’action et de l’unité sont les mêmes [8] » (p. 224). Dynamique et métaphysique puisent à la même source.

Étant donné l’intérêt philosophique de ces trente-six lettres échangées sur pratiquement huit ans, mais aussi leur caractère parfois très technique [9], l’ouvrage publié par Anne-Lise Rey – et préfacé par Michel Fichant – a deux grands mérites qu’il faut d’emblée saluer. Il offre pour la première fois en français [10] une traduction complète des textes disponibles, établis à partir de l’édition académique et, pour la partie non encore publiée dans celle-ci, de l’édition Gerhardt – que la traductrice a pris soin de confronter aux manuscrits conservés à la bibliothèque de Hanovre. Il est enrichi d’utiles notes et, surtout, d’une introduction – intitulée L’ambivalence de l’action – qui ne se contente pas d’une présentation générale des protagonistes, des différentes étapes et des enjeux de leur discussion, mais constitue un véritable essai interprétatif, qui propose une lecture originale de la philosophie leibnizienne, à partir de la notion d’action et de son usage conjoint dans la dynamique et dans la métaphysique. […]

Paul RATEAU

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Pour citer cet article : Paul RATEAU, « Leibniz – De Volder : Correspondance, traduction, annotations et introduction par Anne-Lise Rey. Préface de Michel Fichant, Paris, Vrin, 2016, 287 p. » in Bulletin leibnizien III, Archives de Philosophie, tome 80/3, avril-juin 2017, p. 561-623.

Du même auteur :

  • Paul RATEAU, « Lire Leibniz aujourd’hui : présentation du dossier », Archives de Philosophie, 2014, 77-1, 5-15.
  • Paul RATEAU, « L’univers progresse-t-il ? Les modèles d’évolution du monde chez Leibniz », Archives de Philosophie, 2014, 77-1, 81-103.