Auteur : Jean-Luc Marion

Riquier, Camille, Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre, Paris, Gallimard, 2022, 330 p.

Les travaux antérieurs de l’auteur ont déjà marqué des étapes d’une relecture d’ensemble de la philosophie en France à partir de Descartes, dont l’ombre portée met paradoxalement en lumière les penseurs parfois en apparence les plus éloignés de lui. Ce fut le cas avec ses travaux sur Bergson et le fantôme en lui de la métaphysique, sur Péguy enfin pris comme il le mérite et le voulait, comme un penseur conceptuel. Mais, dans ce dernier ouvrage, l’entreprise se clarifie et se radicalise. Car Sartre devient, à mesure qu’il s’efface, plus difficile d’accès. Autant ses premiers essais peuvent encore se lire dans l’horizon de Husserl, certes distordu, mais reconnaissable, autant à partir de L’Être et le néant (sans parler de la suite), le lecteur se perd dans un amalgame mal réglé de concepts soit hégéliens, soit husserliens, soit heideggériens, plus confondus qu’articulés dans des analyses claires. Tout se passe comme si ces vêtements d’apparence phénoménologiques recouvraient une autre intention, une autre recherche, une autre cohérence. L’ouvrage postule alors que le cœur caché du Sartre profond tendait à reprendre et à réaliser le projet cartésien : «[…] le faisceau d’indices convergents que les textes ont livré de Sartre, parfois malgré lui, et la cohérence interprétative de l’œuvre à laquelle ils nous ont conduit, font preuve à nos yeux et nous inclinent fortement à croire que Sartre savait ce qu’il faisait. Il savait qu’il était en train de récrire les Méditations métaphysiques de Descartes. Sartre n’a pu vouloir s’immortaliser dans une œuvre à laquelle il avait donné une forme cartésienne sans savoir qu’il était désir sombre d’être Descartes » (p. 270). On lira donc avec grand intérêt et assez de surprise cette mise au jour d’un Descartes retourné par l’« idiot de la famille », pour parvenir à ne pas dire ce qu’il aurait voulu dire. Les historiens de la philosophie cartésienne trouveront ici autant à comprendre que les exégètes éperdus de Sartre. On attend donc avec confiance la suite des relectures cartésiennes des phénoménologues de la tradition française récente.

Jean-Luc Marion, de l’Académie française

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin cartésien LIII chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Riquier, Camille, Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre, Paris, Gallimard, 2022, 330 p., in Bulletin cartésien LIII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 185-240.

♦♦♦

CARRAUD, Vincent & RAGNI, Alice, « Les deux siècles de l’ontologie », numéro thématique de la revue Les Études philosophiques, 2020/3.

Ce dossier réuni par Alice Ragni et Vincent Carraud constitue un complément indispensable au dossier que Constantino Esposito avait dirigé sur « naissance et développements de l’ontologie. XVIe-XXIe siècles » la revue Quæstio 9 (Université de Bari, Brepols, 2009). Comme l’indiquent les éditeurs, le terme d’ontologie, entendu stricto sensu, a une histoire courte et moderne, sans commune mesure avec le concept courant, tenu pour un quasi-synonyme de métaphysique. Bien plus, toute la pré-histoire médiévale, qui en a permis l’apparition au début du XVIIe siècle, témoigne d’efforts obstinés pour détacher de la théologie et des sciences des substances séparées une science non plus de l’ens in quantum ens, mais du « cogitabile, c’est-à-dire du concept le plus vide et le plus formel, à ce point englobant qu’on ne peut rien lui opposer et que l’ens en tant que cogitabile devient antérieur au couple aliquid/nihil » (p. 5).

1/ Marco Lamanna (« Naissance de l’ontologie à Saint-Gall : Jacob Lorhard et la métaphysique monastique. Un état de la question ») fait le point sur l’origine aujourd’hui généralement acceptée du terme, dans l’Ogdoas scholastica de Jacob Lorhard (Lorhardus), à Saint-Gall en 1607, même si c’est à son réemploi par Roger Göckel (Goclenius), dans son Lexicon philosophicum (Cologne, 1613) qu’il dut sa diffusion rapide dans les universités calvinistes allemandes. L’auteur retrace l’arrière-fond non seulement théologique, mais aussi politique, favorable à une telle science philosophique, qui se libérait au moins en apparence de la tradition aristotélico-thomiste, pour assurer à la prédication réformée une base plus large. 2/ Domenico Collacciani (« Devenir cartésien ? La méthode de l’ontologie. De Gerhard Neufville à Johann Clauberg ») retrace les étapes par lesquelles Clauberg, non cartésien encore dans son Ontosophia (1647), assume cependant le geste suarézien de subordonner l’ens reale au cogitabile, dans la lignée de Calov, Marini et Timpler, parce qu’il demeure dans la tradition de l’instaura magna maintenue par son maître Neufville. Reste le paradoxe de la troisième édition de l’Ontosophia (1663), que la cogitatio, donc l’ego, s’avère désormais l’instigateur (si peu) caché de l’ontologia. 3/ Alice Ragni (« L’ontologie à Genève : de David Derodon à Jean-Robert Chouet ») retrace l’influence d’un protestant (un moment catholique) qui, de Nîmes à Genève, diffusa une metaphysica radicalement redéfinie (à l’opposé de la pneumatologie et à la science de l’étant commun) par l’ens en général. C’est sur cette position que Chouet put introduire dans une doctrine de l’ens le primat cartésien de l’ego cogito. 4/ Michaël Devaux (« Leibniz s’est-il livré à l’ontologie ? ») complète ses autres travaux en montrant que Leibniz, pas plus que les grands spéculatifs de son temps (Descartes, Malebranche, Spinoza, et même Bossuet ou Fénelon), n’a assumé l’ontologia, en dépit de quelques très rares occurrences du terme. Cette défiance s’explique par la répugnance à constituer une métaphysique totalement abstraite et réduisant l’ens au cogitabile, alors que la métaphysique réelle fonde l’ens sur les deux principes d’identité et de raison suffisante, donc à partir de la notion complète et de la monade. 5/ Giuliano Gasparri (« L’ontologie dans le Lexicon philosophicum d’Étienne Chauvin ») offre une analyse plus complète et complexe que le débat habituel sur cet auteur, qu’on résume trop vite à ses rapports avec Clauberg, en ignorant sa restauration de la substance. 5/ Francesco Valerio Tommasi (« L’ontologie comme anthropologie transcendantale. Kant et le problème de la métaphysique aux alentours de 1775 ») montre que la célèbre mais très ambiguë dénonciation du « mot orgueilleux d’ontologie » par la Critique de la raison pure de 1781 ne peut se comprendre que parce que, sous le titre rare mais significatif d’« anthropologie transcendantale », Kant avait longuement considéré la possibilité que la subjectivité elle-même pût définir l’ens comme un cogitabile. En sorte que le rejet de l’ontologia constitue plus une promotion de l’entendement pur qu’une disqualification du projet transcendantal de penser l’ens in quantum ens à partir du « concept le plus élevé », celui d’objet.

Ce dossier, après tant de travaux érudits sur l’histoire, encore une fois brève et moderne, de l’ontologia devrait freiner les efforts aujourd’hui désordonnés et ignorants de la restaurer. Ou du moins, peut-on espérer, les disqualifier.

Jean-Luc MARION, de l’Académie française

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin cartésien LI chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : CARRAUD, Vincent & RAGNI, Alice, « Les deux siècles de l’ontologie », numéro thématique de la revue Les Études philosophiques, 2020/3, in Bulletin cartésien LI, Archives de philosophie, tome 85/1, Janvier-Mars 2022, p. 183-184.

♦♦♦

Revue Internationale de Philosophie, « Modernité des Règles pour le direction de l’esprit de René Descartes », numéro sous la direction de SEGUY-DUCLOS, Alain, 2019/4, 73, n° 290.

Numéro thématique contenant les articles suivants :

1/ FERRARI, Massimo, « Les Regulæ et l’interprétation néo-kantienne », p. 387-406. – Prenant le relai d’E. Dufour (« Descartes à Marbourg », in M. Fichant & J.-L. Marion, éd., Descartes en Kant, Paris, PUF, 2006) et très bien informé des recherches récentes menées en Italie et Allemagne, l’A. dresse le tableau détaillé de l’évolution de l’interprétation des Regulæ, qui mène de J. E. Erdmann (1834) et K. Fischer (1865) à la Descartes’ Erkenntnistheorie de Natorp (1882), jusqu’à Cassirer (de « Le développement de la pensée de Descartes depuis les Regulæ jusqu’aux Meditationes », Revue de Métaphysique et de Morale, 1896, et de Descartes’ Kritik der mathematischen und naturwissenschaftlichen Erkenntnis, 1899, à Descartes. Lehre – Persönlichkeit – Wirkung, 1939) et aux analyses consacrées à D. par Cohen dans Kants Theorie der Erfahrung (18852). Aussi sinueuse et complexe qu’elle apparaisse, l’approche marbourgeoise de D. ne se pose pourtant qu’une seule question : dans quelle mesure le penseur (désastreusement) métaphysique des Meditationes et en principe récusé par Kant, n’anticipe-t-il pourtant pas, dans les Regulæ, sur la pensée critique, par sa percée vers une pure théorie de la connaissance, libre de toute assomption ontico-ontologique ? La conquête cartésienne consiste en effet dans la reconnaissance que la considération de l’intellectus constitue le point de départ d’une philosophie déjà critique, abandonnant la considération des choses mêmes. Sur cette base, les débats tournent autour soit de l’assimilation de ce projet à l’idéal des mathématiques, soit à la retombée dans l’étude de la substantia. L’A. montre que cette réduction de D. à une Erkenntnistheorie partage la tendance représentée en France par L. Liard et L. Brunschvicg (a contrario, ajoutera-t-on, par E. Gilson ou J. Maritain et alii). Il souligne que, quelque divergentes qu’elles fussent, c’est sur ce sol que se développèrent les lectures de D. par Husserl et Heidegger. On regrettera seulement que le fond de la question – quelle est la légitimité de cette lecture ? – ne soit pas abordé. On le regrettera d’autant plus que les travaux des dernières décennies, ici complétement omises, offrent de nouvelles connaissances et ouvrent de nouvelles perspectives sur les Regulæ.

2/ PRADELLE, Dominique, « La réflexion heideggérienne sur les Regulæ : de la méthode à la métaphysique », p. 407-430. – Pour l’essentiel, Heidegger débute sa réflexion sur D. à partir des analyses de Natorp : la méthode, acquise dès les Regulæ et toujours maintenue ensuite, conduit à un idéalisme critique, puisque la « …première chose à connaître est l’intelligence, car d’elle dépend la connaissance de tout le reste, et non réciproquement » (ainsi dans les Règles I, VIII, XII). De plus, Heidegger admet aussi le reproche marbourgeois typique : D. n’a pas tenu longtemps sa position première, en renonçant à normer cette connaissance (critique) de l’intellectus par lui seul et en lui cherchant une fondation hétéronome (substance, création, véracité de Dieu, etc.). Pour autant, l’essentiel de la lecture heideggérienne se trouve ailleurs. Selon l’Introduction à la phénoménologie (tr. fr. A. Boutot, Paris, 2013, de l’Einführung in die phänomenologische Forschung, G.A. 17), le premier texte (WS 1923-24) consacré à D., qui se concentre sur les Regulæ comme fera plus tard Die Frage nach dem Ding, le privilège que D. accorde à l’intellectus par la méthode conduit à esquisser une science eidétique pure de la conscience ; il anticipe donc sur le projet de Husserl, dont il fait apparaître les limites : la forclusion par avance de tout être-au-monde et de l’accès aux choses en elles-mêmes, au profit exclusif de leur (re-)constitution selon les exigences formelles de la subjectivité constituante. La critique de D. vise au fond Husserl ; et surtout, à l’inverse de la tradition de Marbourg, il convient de reprocher à D. (comme à Husserl) son anticipation (avérée pour Heidegger) du criticisme et de l’Erkenntnistheorie, bref de n’avoir justement pas atteint une « métaphysique » des choses mêmes ; non pas d’avoir sombré dans la substantialisation (reproche de Husserl, suivant Natorp et Cassirer), mais de n’avoir pas accédé aux phénomènes autrement qu’en les réifiant en res, objets étendus ou non. Cette défaillance (Heidegger dira cette Versäumnis, ce « ratage ») a une origine : avoir réduit le souci, donc la détermination essentielle du Dasein, à la seule connaissance, la « modalité théorétique du souci » (D. P.), prolongeant ainsi ce que la pensée grecque avait initié, mais oubliant les possibilités encore sauvegardées par Éthique à Nicomaque VI, la phronêsis et la technê comme modes de pensée déterminés par les choses du monde, où se rencontre le Dasein. Dans cette perspective, les Regulæ, extrapolant le privilège des mathématiques jusque dans la Mathesis universalis, apparaissent comme l’imposition du primat théorétique dans la phénoménologie, qui « .. impose à la métaphysique une prédétermination formelle de son objet » (D. P.). D’où l’inversion du privilège accordé par les Marbourgeois (et Husserl) aux Regulæ. Belle et bonne contribution, où on ne relève qu’une erreur : le concept de substantia n’apparaît pas dans l’analyse du morceau de cire de la Meditatio II, et, s’il intervient dans Principia I, art. 52, ce n’est pas en référence à lui.

3/ MEHL, Édouard, « Sagesse et recherche de la vérité dans le Traité des règles pour la direction de l’esprit », p. 431-448. – La fine et ponctuelle érudition habituelle de l’A. précise ici des points d’importance. Même si l’on hésitera à le suivre dans sa correction du titre (y rajoutant tractatus, terme effectivement utilisé, mais apocryphe dans l’inventaire de Stockholm, et sans rôle de titre en AT X 373 et 399 ; sinon il suffirait du « in hoc Tractu », AT VII 4, 1, pour corriger le titre des Meditationes), on sera assez convaincu par le rapprochement de l’universalité de la sapientia humana (Règle I) avec le primat de l’intellectus (Règle VIII) ; par l’hypothèse d’une origine homérique (Odyssée IV, 126 sq. & 220 sq.) de l’énigmatique « Trésor mathématique de Polybe le Cosmospolite » (AT X 214, recopié par Leibniz) ; par le rapprochement avec la folie selon Érasme ; par l’insistance sur la fait que jamais D. n’a douté de l’existence pure et simple des corps, mais seulement de que cette existence nous soit connue par perception claire et distincte.

4/ CUNNING, David, « Hyperbolic doubt, Cognitive Garbage and the Regulæ », p. 449-467. – Appuyé sur une stricte ignorance du texte original de D. (toujours cité en traduction anglaise) et des études non-anglophones, un essai malheureux et confus sur les idées confuses.

5/ SÉGUY-DUCLOS, Alain, « Les Règles au risque du relativisme », p. 469-489. – Soulignant à grands traits, mais très justement, que la théorie de la connaissance des Regulæ, en considérant les choses non en elles-mêmes mais en tant que connaissables, implique un nouveau concept de vérité, ce travail souligne que « Descartes élabore une connaissance des êtres [sc. des étants], mais qui n’a pas pour autant une le sens d’une ontologie ». L’A. se demande comment D. peut pourtant éviter un « relativisme anontologique ». Ce sera par un « absolu relatif », auquel manquerait cependant, pour s’établir solidement, les progrès ultérieurs des mathématiques modernes, Riemann et Poincaré (p. 478), Gauss, Lobatchevski et Klein (p. 486), Hilbert, Zermelo, Bourbaki, Löwenheim-Skolem et Grothendieck (p. 487), voire de la logique (Wittgenstein, Gödel, Lukasiewicz, Turing, p. 488). Seuls les spécialistes apprécieront.

Jean-Luc MARION, de l’Académie française

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin cartésien L chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Prénom N??, « ??? », in Bulletin cartésien L, Archives de Philosophie, tome 84/1, Janvier-Mars 2021, p. 155-223.

♦♦♦

MEHL, Édouard, « Révolution copernicienne et métaphysique de la grandeur : Copernic, Descartes, Pascal », Les Études philosophiques, 182, 2018/2, p. 251-266.

Comme désormais souvent, l’A. sort de son domaine de prédilection, où il s’est acquis une autorité incontestée, les relations de D. avec la pensée allemande contemporaine, et aborde la question plus vaste et spéculative de l’image du monde dans la philosophie classique. À l’encontre d’une première réaction de H. Gouhier à la parution de la traduction de l’ouvrage de A. Koyré, Du monde clos à l’univers infini (Baltimore, 1957, trad. fr. Paris, 1962), il conteste qu’ainsi disparaisse toute cosmologie, donc toute preuve de l’existence de Dieu par une preuve cosmologique ; car, en termes kantiens, cette absorption du monde dans l’infini ne condamne que la preuve physico-théologique, mais pas la possibilité d’une preuve cosmologique (par considération de l’existence en général d’un étant mondain). Reprenant la discussion par D. des objections que lui adressait, par l’intermédiaire de Chanut, la reine Christine, il montre que D. maintient une telle preuve même dans l’hypothèse d’un monde infini – la vraie question restant de définir si un monde infini peut se concevoir dans le champ proprement physique, donc dans une optique réaliste, ou non. C’est là que divergent D. et Pascal, dans l’interprétation de la Terre instar puncti et, avec elle, de tout point dans l’univers infini. Sans passer de l’interprétation réaliste par D. de l’infinité (ou de l’indéfinité) de l’univers à son interprétation logique (comme chez Leibniz), Pascal en fait la description et l’expérience par l’imagination, d’où « l’effroi ». Cette étude, solide et sobre, complique les oppositions trop simples et aussi bien éclaire la question de la cosmologie métaphysique.

Jean-Luc MARION, de l’Académie française (Sorbonne Université/Université de Chicago)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin cartésien XLIX chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Jean-Luc MARION, « Édouard Mehl, « Révolution copernicienne et métaphysique de la grandeur : Copernic, Descartes, Pascal », Les Études philosophiques, 182, 2018/2, p. 251-266 », in Bulletin cartésien XLIX, Archives de Philosophie, tome 83/1, janvier-mars 2020, p. 151-222.

♦♦♦

STARZYŃSKI, Wojciech, éd., « Descartes et la phénoménologie en Pologne et en Europe centrale », numéro thématique, Les Études philosophiques, 2017/2, n° 172, 156 p.

En plus d’un article d’Emmanuel Housset, « L’intuition catégoriale de la relation : le renversement husserlien » (p. 289-306), ce volume contient : Wojciech Starzyński, « Présentation » (p. 163-165) ; Witold Płotka, « Le motif cartésien dans la phénoménologie polonaise (1895-2015) : Transformations, polémiques, perspectives » (p. 167-196) ; Wojciech Starzyński, « La perception et l’idée : une double direction du cartésianisme de Twardowski » (p. 197-204) ; Karol Tarnowski, « L’Existence et la problématique ontologico-formelle de la substance chez Descartes » (p. 205-230) ; Andrzej Gniaszdowski, « Liberté, égalité, vérité. Les antinomies du cartésianisme dans la pensée de Leszek Kołakowski » (p. 231-265) ; Karel Novotńy, « Donation et essence de l’apparaître. Le concept de phénoménalité chez Jan Patočka et Michel Henry » (p. 276-288).

Sauf les deux dernières, qui abordent des questions très actuelles de phénoménologie non polonaise, toutes les études, très documentées et très instructives, ne concernent pas directement les études cartésiennes. Comme prévient la « Présentation » de W. Starzyński, elles ne discutent que de loin les textes de D. (peu cités, et souvent dans la traduction française d’AT VIII et IX) et ne se réfèrent pratiquement jamais aux travaux récents. En revanche, tout leur intérêt, en fait très grand, tient à la reconstitution de deux histoires intellectuelles. D’une part le « motif » cartésien de la phénoménologie husserlienne, en majeure partie abordé à partir de la thèse de C. Twardowski (Idee und Perception. Eine erkenntnistheoretische Untersuchung aus Descartes, 1892), puis du débat entre Husserl et Ingarden, sur le tournant idéaliste supposé de 1913 et la question du caractère transcendantal de la « philosophie phénoménologique » (en particulier le texte de K. Tarnowski). D’autre part, il s’agit de répertorier les rôles polémiques et dissimulés attribués au « cartésianisme » (souvent vu de loin, et simplifié selon les codes alors en vigueur) dans la critique ou la réélaboration hérétique du marxisme, lorsqu’il contraignait la vie intellectuelle de la Pologne de l’après-guerre. Les exemples de L. Kołakowski, de K. Pomian ou de J. Tischner sont ici paradigmatiques, sans qu’il faille prendre trop à cœur les interprétations parfois simplistes de D., Spinoza ou Leibniz. Car l’essentiel était ailleurs : que ces philosophes, alors disqualifiés, aient pu tenir le rôle de penseurs de la liberté.

Jean-Luc MARION

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin cartésien XLVIII chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Jean-Luc MARION, « STARZYŃSKI, Wojciech, éd., « Descartes et la phénoménologie en Pologne et en Europe centrale », numéro thématique, Les Études philosophiques, 2017/2, n° 172, 156 p. » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.


♦♦♦