Auteur : Alexandru David

 

Carolyn Iselt, Individualität und Kunst. Zum Problem ihrer normativen Bestimmung in Hegels Phänomenologie des Geiste>, Hamburg, Meiner, « Hegel-Studien » n° 76, 2024, 499 p.

Issu d’une reprise de sa thèse de doctorat, le livre de Carolyn Iselt se donne pour tâche de proposer une définition du concept d’art dans la Phénoménologie de l’esprit grâce à une lecture nouvelle de la section sur la religion de l’art (Kunst-Religion), qui l’étudie à partir du « rapport qui existe entre individualité et universalité dans l’agir et dans l’art » (p. 57). Dans la mesure où l’agir artistique n’est pas seulement une production d’œuvres qui permet à une communauté de prendre conscience de sa propre substance, mais aussi le fruit d’une individualité concrète, l’autrice propose de lire les développements sur la religion de l’art à partir de la section dédiée au règne animal de l’esprit (V.C.a). Dans cette section, Hegel détermine le rapport d’une individualité agissante avec son œuvre, et propose ainsi un concept général de l’agir qui « se réfère à tous les domaines de la praxis » (p. 20), ce qui le rend également pertinent pour comprendre la création des œuvres d’art.

La première partie est une explication du règne animal de l’esprit, faite à partir d’une lecture patiente et suivie de la place et du rôle que jouent les concepts de catégorie et d’individualité dans l’ensemble du chapitre Raison (I.1), qui permet une explication claire et précise de la section V.C.a (I.2). C. Iselt montre comment émerge, dans cette dernière, à partir des contradictions internes à l’agir de l’individualité pure, une première forme de conscience d’un agir universel dans la « Chose même », qui obtient un contenu concret dans la vie éthique (Sittlichkeit), discutée par la suite (I.3). En anticipant ses développements ultérieurs sur l’art, C. Iselt fait l’effort, dès cette première partie, de dégager plusieurs enjeux esthétiques contemporains, notamment à travers six « modèles » qu’elle propose à partir de ses analyses sur le règne animal de l’esprit, et qui portent sur des questions comme la performance artistique (p. 181-182) ou la critique d’art (p. 235-237).

Deux questions restent en suspens à l’issue de cette première partie : celle de savoir comment les normes de la vie éthique se présentent effectivement aux individus qui appartiennent à la communauté, et celle de savoir quel rôle peut jouer dorénavant l’individu dans une communauté où prévaut l’universalité. C’est l’enjeu de la deuxième partie du livre que de montrer comment Hegel répond à ces deux questions dans la section sur la Kunst-Religion, qui sert un double rôle : non seulement permettre, grâce aux œuvres d’art, une présentation effective des normes à suivre pour les individus qui composent la substance (p. 290), mais aussi rendre possible une appropriation de la substance par le sujet, et donc une nouvelle émergence artistique de l’individualité. C. Iselt suit cette dernière dans le développement de plus en plus concret de ses figures dans la sculpture (II.3), l’épopée (II.4), la tragédie et la comédie (II.5). Une dernière partie (II.6), dédiée à la question de savoir ce que peut être l’art une fois que son assise religieuse a disparu, montre qu’un concept d’art peut continuer à exister grâce à sa capacité à être, pour une substance éthique, une « modalité de réflexion sur sa propre effectivité » (p. 472).

La restitution convaincante du concept de religion de l’art à partir de la détermination réciproque de la substance éthique et de l’individualité permet à C. Iselt de traiter de la tâche de l’artiste : donner une présentation concrète de la substance éthique sachant qu’une « distance » (p. 297) est aussi nécessaire par rapport à la substance afin de pouvoir la représenter. Ce faisant, C. Iselt évite une double lecture unilatérale de cette section (p. 294-302) : une première, trop positive, qui n’insisterait que sur la capacité de l’art à créer une unité entre individu et communauté, et une seconde, trop négative, qui n’insisterait que sur l’absence première de l’individualité dans la religion de l’art.

Alexandru David (École normale supérieure)

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Pour citer cet article : Carolyn Iselt, Individualität und Kunst. Zum Problem ihrer normativen Bestimmung in Hegels Phänomenologie des Geistes, Hamburg, Meiner, « Hegel-Studien » n° 76, 2024, 499 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXV, Archives de philosophie, tome 88/4, Octobre-Décembre 2025, p. 131-172.

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