Auteur : Gian Marco Galasso
Antonio Branca, La realizzazione della ragione. Saggio su Kant e l’idealismoo, Pisa, Edizioni ETS, 2024, 388 p.
Avec cet ouvrage, Antonio Branca se propose de relancer aujourd’hui le « geste critique » de Kant comme constituant une alternative radicale à l’aristotélisme et à l’idéalisme absolu de Fichte, Schelling et Hegel. Intention audacieuse qui, pour atteindre son but, recourt à deux mouvements distincts et complémentaires. D’une part, établir, ex negativo, l’authenticité de l’horizon critique en répondant aux critiques de matrice idéaliste, afin de déconstruire « la position historique de Kant » (p. 128), encore enfermée dans les deux images trompeuses d’un Kant psychologiste et d’un Kant théoricien de la science. D’autre part, montrer la nature constructive et systématique de la philosophie transcendantale pour la réaffirmer dans le paysage contemporain.
Le geste critique se situe dans l’espace ouvert par les deux définitions de la philosophie données par Kant en ouverture et en clôture des Fondements de la métaphysique des mœurs : la purification et la limitation. Pour A. Branca, ce geste particulier et révolutionnaire consiste à démontrer la nature constructive, à la fois, de la pensée et de l’être, à savoir : « que le réel est le transcendantal, et vice-versa. Que l’être est sa propre construction. – Qu’il est la construction même de la pensée, comme le conclura Kant dans l’Opus postumum, qui anticipe son existence en la configurant dans ses propres formes » (p. 25).
Dans ce court passage, on peut lire à la fois la thèse de base : l’être coïncide avec l’institution opératoire de la raison, et une indication du chemin que l’auteur emprunte dans le corpus en direction d’une « réarticulation totale de la raison critique » (p. 56). Pour « reconnaître le fondement ontologique » (p. 130) de la critique, c’est-à-dire pour démontrer rationnellement le « processus de constitution logique de l’être » (p. 58), il faut partir de l’Opus postumum, et faire de cet ouvrage le fil conducteur de la relecture de la Critique de la raison pure.
Pour la reconstruction du « point de vue ontologico-transcendantal » (p. 166), il ne suffit pas d’affirmer « que les catégories constituent le phénomène, mais il faut démontrer comment. Il s’agit de poursuivre la reconstruction de l’expérience jusqu’à son épuisement : jusqu’au renversement du transcendantal en empirique » (p. 166). La reconstruction s’opère en trois moments, trois explications : celle de la « structure générale de la conscience de l’être », c’est-à-dire des « formes a priori du concept qui constituent le logos pur » (Critique de la raison pure) ; puis celle de la « manière dont elles deviennent nature » (Premiers principes métaphysiques de la science de la nature) ; enfin, celle du « mouvement par lequel la nature se distingue et s’individue en objets » (Opus) (p. 167).
En plaçant les textes dans lesquels Kant présente la logique transcendantale au centre de son opération herméneutique, le livre a le grand mérite de mettre en évidence la nature et la finalité originellement métaphysiques du geste critique révolutionnaire de Kant. Métaphysique parce qu’il vise à rechercher les principes absolument nécessaires de la pensée et de la réalité dans leur établissement logique réciproque. Révolutionnaire parce qu’il prône le renversement du fondement logico-noétique de toute la métaphysique précédente, réalisé grâce à une complexe déduction logique de l’expérience que Kant pousse jusqu’au point le plus extrême, celui de la traduction du transcendantal en empirique. Critique parce que capable, à la différence de l’idéalisme absolu ultérieur, non pas d’effondrer la pensée et l’être l’un dans l’autre, mais au contraire de provoquer leur « rupture radicale » (p. 24-25).
A. Branca déplore qu’une grande partie de la tradition kantienne de ne pas s’être vraiment accommodée de l’idéalisme, et d’avoir manqué l’occasion de fournir cette déduction subjective de l’expérience que « les idéalistes reprochent à Kant de n’avoir pas fournie » (p. 167). Ces critiques ne peuvent être ni complètement écartées, ainsi que l’a fait une partie du kantisme ultérieur, ni considérées comme univoques, comme si, après elles, la philosophie critique de Kant ne pouvait être prise qu’à la manière de l’échelle que l’on abandonne une fois atteint le paradis des idéalistes. On peut et on doit répondre à ces critiques. De cela, le livre d’A. Branca nous a pleinement convaincus.>
Gian Marco Galasso (Instituto Italiano per gli Studi Filosofici, Naples) [trad. J.-M. Buée]
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Pour citer cet article : Antonio Branca, La realizzazione della ragione. Saggio su Kant e l’idealismoo, Pisa, Edizioni ETS, 2024, 388 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXV, Archives de philosophie, tome 88/4, Octobre-Décembre 2025, p. 131-172.