Auteur : Ansgar Lyssy

Nora GÄDEKE, Wenchao LI (éd.) : Leibniz in Latenz – Überlieferungsbildung als Rezeption (1716-1740), Studia Leibnitiana – Sonderhefte, Bd. 50, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2017, 262 p.

Comme ce titre surprenant le suggère, il s’agit de montrer l’influence souterraine de l’œuvre leibnizienne. Ce sont en effet des pièces souvent inconnues ou des éléments indirects, mais essentiels et déterminants dans la réception de Leibniz, qui sont l’objet des contributions réunies ici. La philosophie de Leibniz était certes déjà célèbre dans les premières années qui ont suivi sa mort, mais elle n’était pas connue dans tous ses aspects. Les premières éditions et quelques-uns des premiers promoteurs de la pensée leibnizienne, peu connus aujourd’hui, contribuèrent pourtant, de façon décisive, à lui donner une influence considérable, capable de dépasser, rapidement et largement, la réception des écrits publiés de son vivant, notamment les Essais de Théodicée. Tel est bien ce que visent à montrer ces études sur la publication des écrits de Leibniz dans les premières années après 1716. Ce volume collectif est donc moins consacré à la philosophie de Leibniz qu’à l’histoire de ses premières éditions et de sa première réception. Le sous-titre de l’ouvrage aurait pu être : « L’édition, c’est la réception », réception à laquelle est consacrée l’introduction. La question de l’histoire de l’édition est particulièrement importante au vu des près de 200 000 pages qui composent le « fonds Leibniz », fonds qui, aussi bien dans sa variété thématique que dans son originalité et son étendue, est sans pareil dans l’histoire, et tient une place et une valeur exceptionnelles sur le plan de l’édition – édition sans laquelle la pensée de Leibniz ne serait connue aujourd’hui que par bribes.

Les thèmes des contributions portent ainsi, principalement, sur quelques lieux parmi les moins connus où sont conservés les manuscrits de Leibniz (Bâle, Gotha, Varsovie), et sur certaines personnes, quoiqu’oubliées aujourd’hui, qui ont joué un rôle important dans la première diffusion de la pensée leibnizienne (Johann Friedrich Feller, Christian Kortholt, Johann Daniel Gruber). L’ouvrage est composé de neuf études, précédées d’une courte préface de Wenchao Li et d’une introduction de Nora Gädeke, qui présente la structure du volume et l’établissement du corpus des sources de la réception des œuvres de Leibniz.

Sabine Sellschopp expose la genèse du Leibniz-Katalog, dans lequel les textes et les notices furent consignés et qui permit l’accès aux manuscrits initialement dispersés. Ceux-ci sont désormais pour la plupart, mais non pas tous, conservés au Leibniz-Archiv de Hanovre. Quelques-unes des études qui suivent traitent de l’histoire de l’édition et par conséquent aussi de la réception de ces manuscrits. Fritz Nagel présente la correspondance retrouvée à Bâle entre Leibniz et Johann Jakob Scheuchzer, un savant suisse du cercle des frères Bernoulli, avec qui Leibniz discute, entre autres choses, du système copernicien et des aspects de la relation corps-esprit. Charlotte Wahl fait la description d’un recueil qui contient de nombreuses notes marginales de la main de Leibniz, recueil trouvé à Gotha où il est arrivé probablement via Samuel König. Ce document est évidemment à mettre en rapport avec une lettre de Leibniz capitale, mais contestée quant à son authenticité, dont König envoya la copie en 1751 à Maupertuis et dans laquelle se trouvait exposée la première conception du principe de moindre action. Un recueil semblable, retrouvé à Varsovie, est présenté par Stephan Waldhoff. On y trouve les documents les plus divers, différentes lettres dont les thèmes sont variés, mais aussi des brouillons d’un projet de médailles et des notes préparatoires à la mise par écrit de l’Unvorgreiffliches Bedencken. Ces documents furent rassemblés par Johann Erhard Kapp qui en avait recueilli une grande partie, peut-être de Gottfried Kirch, dans son logement de fonction berlinois où Leibniz avait travaillé et où il les conservait. De ce recueil, Johann Erhard Kapp avait publié certaines lettres pour la première fois en 1745, en particulier la correspondance avec Daniel Ernst Jablonski. Stefan Luckscheiter se consacre pour sa part à Joachim Friedrich Feller, avec qui Leibniz avait collaboré dans les années 1690 et qui publia quelques textes de Leibniz entre 1714 et 1718. Nora Gädeke présente, chronologiquement et par ordre d’importance, l’édition de Leibniz par Christian Kortholt, publiée entre 1732 et 1742. À cette occasion, elle montre le rôle prégnant joué par les réseaux savants des Lumières. Malte-Ludolf Babin et Anja Fleck évoquent, quant à eux, la parution de l’édition de Leibniz publiée par Johann Daniel Gruber en 1745. Stefan Lorenz reconstitue le débat qui eut lieu du vivant de Leibniz, entre ce dernier, Philippe Naudé, mathématicien et théologien, et Valentin Ernst Löscher, également théologien. En effet, dans le contexte de la parution des Essais de Théodicée, Leibniz discute avec eux des questions de la perfection divine et de la dispensation de la grâce. Stefan Lorenz identifie, de manière convaincante, Leibniz comme l’auteur d’une critique de la position de Naudé et des Supralapsaires qui lui sont associés. Dans le dernier texte de l’ouvrage, Ursula Goldenbaum étudie la correspondance entre le grand érudit Louis Bourguet et le mathématicien Jacob Hermann. À ses yeux, elle constitue une pièce intéressante en ce qu’elle témoigne de la première réception de Leibniz, centrée avant tout sur sa dynamique. C’est ici qu’apparaît de façon patente le conflit entre l’approche newtonienne et l’approche leibnizienne de la philosophie de nature.

Le présent ouvrage se signale par le travail approfondi mené sur des auteurs et des sources jusqu’alors méconnus ou inconnus. Les progrès de l’édition relatés ici ont contribué de façon décisive à la constitution du « fonds Leibniz » et à sa conservation dans des conditions optimales. Par ces progrès, lecteurs et interprètes ont pu saisir peu à peu toute l’étendue de la pensée leibnizienne. Leibniz le reconnaissait finalement lui-même : « Qui ne me connaît que par ce que j’ai publié, ne me connaît pas [87] ».

Ansgar LYSSY (traduction de l’allemand par Arnaud Lalanne)

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Pour citer cet article : Ansgar LYSSY, « Nora GÄDEKE, Wenchao LI (éd.) : Leibniz in Latenz – Überlieferungsbildung als Rezeption (1716-1740), Studia Leibnitiana – Sonderhefte, Bd. 50, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2017 » in Bulletin leibnizien IV, Archives de Philosophie, tome 81/3, Juillet-septembre 2018, p. 563-639.

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