Auteur : Bertrand Quentin

Jannis KOSATZAS, Georges FARAKLAS, Stella SYNEGIANNI & Klaus VIEWEG (dir.), Hegel and Skepticism. On Klaus Vieweg’s Interpretation (Hegel-Jahrbuch, Sonderband 10), Berlin-Boston, Walter de Gruyter, 2017, 226 p.

On le sait, Hegel a un rapport spécifique au scepticisme. « Hegel and Skepticism » était le titre d’un colloque tenu les 27 et 28 mai 2016 à Athènes, et qui rassemblait des intervenants grecs et allemands essentiellement issus des universités Panteion d’Athènes et Friedrich Schiller d’Iéna. K. Vieweg propose l’article de cadrage, résumant ses propres travaux qui depuis vingt ans tournent autour du rapport de Hegel au scepticisme. Sont rapidement passées en revue les œuvres où Hegel évoque le scepticisme : l’article de 1802 sur la Relation du scepticisme à la philosophie ; la Phénoménologie de l’esprit, que Hegel qualifie de « scepticisme en voie d’accomplissement » (sich vollbringende Skeptizismus) ; la Science de la logique, où le scepticisme est pensé comme le moment dialectique ou « négativement rationnel » du processus logique. Vieweg attire fort justement l’attention sur la communauté de vue entre Hegel et le Kant des antinomies, lorsque ce dernier distingue un scepticisme stérile et un scepticisme constructif pour lequel il use du vocable de « méthode sceptique ». L’article indique également le fait que Niethammer, aîné au Stift mais ami fidèle de Hegel, était un fin connaisseur du scepticisme antique et traducteur dès 1792 des Hypotyposes pyrrhoniennes. C’est une piste forte concernant l’intérêt précoce de Hegel pour le scepticisme antique. G. Faraklas montre de façon convaincante que la science philosophique hégélienne est une science sans cesse à actualiser, puisqu’elle reconstruit les concepts utilisés par la science de son temps. Il s’agit d’un travail philosophique sur les concepts et pas sur les théories. Selon Hegel, le scepticisme consiste justement à être conscient des catégories que l’on utilise. Hegel doit en ce sens plus à l’aspect sémantique (critique des termes) de l’argumentation sceptique qu’à son aspect épistémologique (critique des théories). I. Trisokkas démontre la capacité du débat anglo-saxon à parfois tourner à vide en montrant à quel point l’interprétation que fait Robert Pippin de la Logique de l’essence est incompatible avec une vraie attention aux textes hégéliens. À noter également, l’étude sur l’interprétation schlégelienne sceptique de Platon par J. Korngiebel, la comparaison des réceptions de Schulze chez Fichte et Hegel par S. Dürr ainsi que l’intéressante incursion de T. Dimitrakos du côté de l’épistémologie du XXe siècle.

Dans notre ouvrage Hegel et le scepticisme (L’Harmattan, 2008), nous avions insisté sur la différence de statut entre des textes hégéliens qui parlent du scepticisme avant que le système hégélien n’existe (l’article de 1802) et ceux qui en parlent alors que Hegel a en main son système (Phénoménologie, Science de la logique). Il est dommage qu’aucun auteur du collectif ne remarque cette différence cruciale, mélangeant indifféremment les citations hégéliennes de toutes les époques sur le scepticisme. Un autre manque de l’ouvrage est le postulat que le scepticisme antique a une unité qui ne poserait pas question. Tous les interprètes font comme si Sextus Empiricus était le référent du scepticisme sans voir les décalages considérables qui existent entre Pyrrhon, Aénésidème, Agrippa et Sextus. Sans compter sur l’évocation de « protosceptiques » (Parménide, Zénon, Héraclite, Gorgias, Protagoras etc.) ou de l’Académie. Il aurait dès lors été logique de se demander ce qu’il en est du choix interprétatif hégélien. Si le « scepticisme de fait » n’a pas d’unité évidente, alors Hegel est légitimé à chercher un « scepticisme de droit » – ce qui ne consiste pas à chercher un « scepticisme a priori » mais à considérer que ce qu’il y a d’essentiel dans un mouvement philosophique multiforme doit être mis en avant en ce qu’il a de philosophiquement moteur.

Bertrand QUENTIN (Université Paris-Est Marne-la-Vallée)

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Pour citer cet article : Bertrand QUENTIN, « Jannis KOSATZAS, Georges FARAKLAS, Stella SYNEGIANNI & Klaus VIEWEG (dir.), Hegel and Skepticism. On Klaus Vieweg’s Interpretation (Hegel-Jahrbuch, Sonderband 10), Berlin-Boston, Walter de Gruyter, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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