Auteur : Claire Crignon

Florence BRETELLE-ESTABLET, Marie GAILLE, Mehrnaz KATOUZIAN-SAFADI (éd.), Making Sense of Health, Disease and the Environment in Cross-Cultural History: The Arabic-Islamic World, China, Europe and North-America . Cham, Springer, « Boston Studies in the Philosophy and History of Science », 2019, 378 p.

Cet ouvrage collectif est issu d’un séminaire et d’un atelier de recherche organisés entre 2012 et 2015 au sein du laboratoire de recherche SPHERE (Université de Paris, UMR 7219, CNRS & Université de Paris) autour des relations entre environnement, maladie et thérapie. Ce volume reflète l’originalité des travaux menés au sein de cette équipe qui réunit des chercheurs en histoire et philosophie des sciences et de la médecine travaillant sur différentes périodes de l’histoire mais aussi sur différentes zones géographiques et aires culturelles, qu’il s’agisse du monde arabe, des pays asiatiques, de l’Europe ou de l’Amérique (du Nord mais aussi du Sud, un article portant sur le Brésil, contrairement à ce que suggère le sous-titre). […]

Claire CRIGNON

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Pour citer cet article : Florence BRETELLE-ESTABLET, Marie GAILLE, Mehrnaz KATOUZIAN-SAFADI (éd.), Making Sense of Health, Disease and the Environment in Cross-Cultural History: The Arabic-Islamic World, China, Europe and North-America. Cham, Springer, « Boston Studies in the Philosophy and History of Science », 2019, 378 p., Archives de Philosophie, tome 84/1, Janvier-Mars 2021, p. 145-148.

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Nicholas JOLLEY, Toleration & Understanding in Locke, Oxford, Oxford University Press, 2016, 175 pages.

En 1999, Nicholas Jolley avait déjà consacré un ouvrage d’introduction générale à la pensée de Locke en montrant son unité fondamentale à partir d’une lecture de l’Essai sur l’entendement humain (Locke : His Philosophical Thought, Oxford University Press, 1999). Il propose ici une nouvelle tentative de ce type, en abordant cette unité de manière plus large encore, puisqu’il s’agit d’articuler projet épistémologique, moral et politique. L’ouvrage (bref et synthétique) propose ainsi d’aborder ensemble l’Essai concernant l’entendement humain, les Deux traités du gouvernement civil et Lettre sur la tolérance, en attachant une attention particulière à ses différentes versions et aux échanges entre Locke et Jonas Proast sur ce sujet.

Comparant la réception de l’œuvre de Locke à celle de Rousseau, Jolley constate en effet qu’elles ont été victimes d’approches de plus en plus disciplinaires et spécialisées : d’un côté le Locke philosophe politique, de l’autre le Locke philosophe de la connaissance et des sciences de l’Essai. Il est indéniable qu’entre les études centrées sur le libéralisme ou l’individualisme de Locke (Dunn, Macpherson, Skinner, Spitz en France) et celles qui se sont concentrées sur son lien avec l’experimental philosophy et la question de son adhésion à l’hypothèse corpusculaire (Alexander, Downing, Gaukroger, Anstey, Hamou en France) le fossé semble s’être creusé.

Le point fort de la ligne argumentative suivie ici consiste à faire le pari d’une unité non pas systématique mais bien plutôt thématique. Comme Jolley le souligne dans l’introduction (p. 2), Locke n’a pas, contrairement à Hobbes par exemple, d’ambition systématique. Il est l’auteur d’écrits aux statuts différents destinés à des publics variés, et rédigés dans des contextes sociaux et historiques spécifiques (crise de l’exclusion en Angleterre, révocation de l’édit de Nantes en France).

Peut-on alors faire le pari d’une cohérence ou d’une unité de la pensée de Locke ? On peut voir en Locke un « philosophe des limites » (chap. 7, p. 107) : limites de notre entendement (Essai) tout d’abord, pourvu des facultés nécessaires à la réalisation de nos devoirs terrestres mais auquel est refusé toute possibilité d’un accès inné à la vérité ou d’un accès direct par Dieu (contre Descartes et Malebranche). Limites d’un pouvoir civil (Deux traités) qui repose sur des bases contractualistes et ne provient pas de Dieu, dont le rôle consiste seulement à édicter des lois naturelles. Limites en conséquence (Lettre) du pouvoir d’intervention du magistrat qui n’a aucune légitimité à guider les citoyens dans leur recherche du salut et le soin de leur âme, lesquels relèvent du domaine de la croyance (belief) et non de la connaissance (knowledge, scientia).

Si cette piste est suggérée dans l’ouvrage, c’est surtout à partir de la notion de tolérance que l’auteur propose d’établir des connexions entre les différents foyers de la pensée de Locke. La thèse défendue consiste en effet à voir dans la préoccupation constante de Locke pour cette question le réel motif de l’unité de sa pensée. D’où l’attention prêtée à la Lettre sur la tolérance, dans ses versions successives et les réponses adressées aux objections de Jonas Proast. La défense de la tolérance est liée chez Locke à sa préoccupation de reconnaître la diversité comme un fait qu’on ne saurait éviter, qu’elle se manifeste sur un plan épistémique, moral ou politique. La ligne de démarcation posée dans l’Essai entre la sphère de la connaissance et celle de la croyance (à laquelle la religion révélée appartient) permet de définir les limites de l’autorité politique dans les Deux traités, quand les lettres sur la tolérance et les échanges avec Proast fournissent un argument contractualiste expliquant à quel point il serait irrationnel pour les citoyens d’autoriser un gouvernement à avoir recours à la contrainte ou à la force dans le champ de la croyance religieuse.

Le chapitre 2 de l’ouvrage propose un panorama du contexte historique, politique et religieux dans lequel le jeune Locke évolue et définit son projet philosophique. Les chap. 3 à 6 sont centrés sur des notions qui permettent d’établir des connexions entre le projet épistémologique et moral de Locke et construisent des liens entre l’Essai et les Lettres sur la tolérance. Jolley s’attache à la démarcation entre les concepts de connaissance et de savoir, au cœur du livre IV de l’Essai, et à la manière dont on peut concevoir le rapport entre connaissance, possibilité d’une démonstration et usage de la contrainte. Il consacre aussi des développements pertinents à la question de l’individualisme épistémologique de Locke et à son combat contre le dogmatisme, que ce soit dans le domaine épistémologique, moral ou religieux (l’attaque contre l’innéisme cartésien étant motivée d’abord et avant tout par des motifs pratiques). Dans ces chapitres, l’auteur s’efforce surtout de défendre Locke contre les critiques qui ont mis en cause la cohérence de ses arguments contre ceux de son objecteur Jonas Proast (J. Waldron en particulier). Les chap. 7 et 8 sont consacrés aux relations entre les Deux traités, les lettres sur la tolérance et Que la religion chrétienne est très raisonnable. Revenant dans le chap. 9 sur la notion de loi naturelle qui occupa Locke tout au long de sa vie, l’ouvrage se conclut par quelques pages de synthèse conclusive (chap. 10).

On peut certes être convaincu par l’idée que chez les philosophes de la période moderne, le projet épistémologique se définit en tenant compte des motivations pratiques qui nous conduisent à vouloir rechercher la vérité et en mesurant les implications pratiques de cette quête. C’est même ce qui permet de voir en Locke un penseur dont les réflexions sont toujours éclairantes, particulièrement dans un contexte de résurgence du dogmatisme et du fanatisme, phénomènes que Locke ne considère ni comme purement épistémologique (pour le premier) ni comme purement religieux (pour le second). Reste que le souci de vouloir à tout prix imposer à l’œuvre de Locke une unité thématique peut se discuter, tout comme le choix du thème de la tolérance. On pourra aussi regretter que l’auteur, tout en insistant sur l’éclairage que des textes considérés comme « mineurs » apportent sur des textes « majeurs » ne mentionne quasiment pas les manuscrits de Locke (en dehors de quelques références aux Drafts de l’Essai). Les textes mineurs sont identifiés à l’échange entre Locke et Proast sur la tolérance, à partir desquels une lecture rétrospective de l’œuvre est proposée, alors même que les questions de la diversité, du dogmatisme et la caractérisation de l’enthousiasme comme folie sont présentes dès les premiers écrits manuscrits de Locke et permettent de poser la question de l’unité de la pensée de Locke du point de vue de sa genèse.

Ce point est particulièrement visible dans le chapitre consacré à l’enthousiasme, une question à laquelle Jolley s’était déjà consacré (2003) et opposé par le passé à Th. Lennon (1993), le second défendant l’idée d’un combat contre un enthousiasme philosophique (Malebranche et sa vision des idées en Dieu), le premier l’idée d’un combat contre un enthousiasme religieux traduisant le souci de Locke d’étendre la critique de l’aile droite catholique à l’aile gauche puritaine du radicalisme religieux. Comme le montrent les recherches récentes de P. Anstey ou de K. Tabb sur ces sujets, c’est en remontant aux sources manuscrites sur la question de l’association des idées que l’on peut comprendre l’articulation entre la théorie lockienne de l’association et sa définition de la folie d’une part, et sa critique de l’enthousiasme d’autre part. Et c’est aussi de cette manière que l’on peut sans doute dépasser le conflit entre Lennon et Jolley en montrant que ce que vise Locke dans cette critique n’est ni une forme purement philosophique d’enthousiasme, ni une forme purement religieuse, mais bien plutôt une instrumentalisation religieuse (dans la littérature Quaker en particulier, mentionnée par Jolley au passage, mais sans analyse précise) de la doctrine philosophique de la vision des idées en Dieu.

Claire CRIGNON

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Pour citer cet article : Claire CRIGNON, « Nicholas JOLLEY, Toleration & Understanding in Locke, Oxford, Oxford University Press, 2016, 175 pages » in Bulletin d’études hobbesiennes I (XXIX), Archives de Philosophie, tome 81/2, Avril-juin 2018, p. 405-448.

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