Auteur : Claudio Buccolini

Maronne, Sébastien, « D’une académie l’autre. Mersenne, Roberval et quelques autres », Dix-septième siècle, 2021/3, 292, p. 11-30.

L’article revient, sous l’angle de la spécificité disciplinaire, sur un thème qui a fait l’objet des recherches de René Taton (1966 et 1994), Jean-Robert Armogathe (1992), Simone Mazauric (1997) et d’autres : l’Académie animée par Mersenne, Roberval et « quelques autres » (à savoir Étienne Pascal, p. 17, 20) à Paris entre 1635 et 1666. En analysant les extraits mathématiques tirés des textes classiques des correspondances de Mersenne, Descartes, Fermat, etc., il vise à faire rejaillir la différence entre l’Académie « toute mathématique » dont les activités consistaient en réunions auxquelles on participait en présence – animée principalement par Roberval et Pascal –, et l’Académie plus généraliste, à caractère épistolaire, animée par Mersenne, dans laquelle on diffusait (et poursuivait) les débats par lettres, en abordant l’ensemble des disciplines scientifiques, et avec plus de détente et de réflexion par rapport aux réunions dans lesquelles « l’on s’eschauffe souvent trop à contester les opinions que l’on propose » (Mersenne à Peiresc, 15 juillet 1635). S. Maronne, en reprenant l’approche proposée par Catherine Goldstein (« L’honneur de l’esprit : de la “République des mathématiques” », in F. Cosandey, éd., Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, 2004), centrée sur les modes d’échange et de sociabilité, radicalise la différence entre Académie « mathématique » et Académie « parisienne » ou Academia parisiensis : formules tenues pour interchangeables par l’historiographie, qui, assimilant ce que l’auteur tient à distinguer, se réfère de façon générique à l’« Académie Mersenne ». L’étude des lieux des séances (chez Picot ou chez les Minimes), des réunions – dont la cadence était irrégulière –, des listes des participants et des arguments discutés, conduit Maronne à différencier radicalement deux académies, en atténuant la contribution du minime dans l’examen de la production mathématique qui constituait l’objet principal de collaboration entre les deux groupes. Par rapport aux études pionnières de la seconde moitié du siècle dernier, S. Maronne propose une histoire plus détaillée et propre à l’académie mathématique parisienne, en séparant ce qui dans l’activité de l’animateur Mersenne était uni dans l’idée d’une physico-mathématique, lieu de convergence des sciences mathématiques de la physique et de la philosophie ; il avance aux années 1630-1640 la spécialisation disciplinaire ultérieure des mathématiques, en se fondant sur les compétences spécifiques des mathématiciens du groupe parisien.

Claudio Buccolini (Rome, CNR-ILIESI)

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Pour citer cet article : Maronne, Sébastien, « D’une académie l’autre. Mersenne, Roberval et quelques autres », Dix-septième siècle, 2021/3, 292, p. 11-30., in Bulletin cartésien LII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 135-180.

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ROBIN, Jean-Luc, « Faux soleils, vraie science. Les parhélies et la genèse du cartésianisme », Archives Internationales d’Histoire des Sciences, 67.178, 2017, p. 65-74.

Le phénomène des parhélies observés à Frascati le 20 mars 1629 est connu et discuté par la communauté scientifique du XVIIe siècle sur la base de récits donnés par ceux qui y ont assisté ; le plus célèbre, rapporté par D. lui-même dans le dernier Discours des Météores, est celui du jésuite Christophe Scheiner, transmis au philosophe entre fin juillet et début août, probablement par Henri Reneri. Le 8 oct. 1629, D. écrit à Mersenne avoir interrompu un écrit de métaphysique (matière qu’il avait méditée pendant neuf mois) pour étudier non seulement les parhélies, mais aussi « les raisons des couleurs et de l’Arc-en-Ciel […] et généralement de tous les phénomènes sublunaires » (AT I 23). L’étude de J.-L. Robin suggère que la décision d’interrompre le « petit traité » de métaphysique et de donner au public l’explication des phénomènes sublunaires représente l’acte de naissance du « cartésianisme » (dimension publique de la « science cartésienne » : savoir privé, propre au seul D.). L’explication physique d’un phénomène météorologique assez rare, dont D. fournit l’élucidation optique, doit ainsi être considérée comme le déclencheur du « cartésianisme ». Cette explication représentera un « échantillon » de sa philosophie, et D., « caché derrière le tableau » pourra écouter ce que l’on jugera de sa physique. Une physique centrée sur le rôle et le statut de la lumière (« physique photocentriste ») qui, à travers le traité de Rohault (et non par les Principia philosophiae), deviendra « synonyme de vraie science, de science exacte ». L’idée de donner l’explication des parhélies devient révélatrice du tournant « scientifique » du projet cartésien, et permet, selon Robin, de reconnaître que D. « jouait dans la même cour que Galilée, Gassendi ou Pascal – tous scientifiques qui ont mis la main à la pâte expérimentale ». Donc, il ne faut pas considérer le D. de 1629 uniquement comme le philosophe « occupé à de longues méditations dans un poêle » (le poêle de 1619 ?). Il faut reconnaitre à la fois le rôle central de la science dans le projet cartésien, et le « caractère quelque peu pragmatique de la métaphysique cartésienne » qui fait l’objet de ses échanges épistolaires avec Mersenne, en premier lieu dans les lettres de 1630 sur la création des vérités éternelles et les fondements de la science. La science cartésienne est la « philosophie pratique et utile annoncée au public en 1637 », une science qui « procède par modélisation et expérimentation » et qui vise autant l’élaboration de machines qui éliminent le travail physique que la conservation de la santé. L’A. revient ainsi sur la question classique du D. scientifique occulté par le D. métaphysicien. L’importance des analyses consacrées aux écrits scientifiques de D. et en premier lieu aux Météores et à la pièce magistrale indiquée par D. comme la mise en œuvre de sa méthode, celle sur l’arc-en-ciel (phénomène auquel on peut assister directement, à différence du rare phénomène des parhélies), est longue et articulée à partir de l’article d’ E. Gilson (« Météores cartésiennes et météores scolastiques » in Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, Paris, 1930) et jusqu’aux études de J.-R. Armogathe (cf. pour la bibliographie, La nature du monde, Paris, 2007, p. 231 sqq.). Il est légitime et stimulant de revenir sur la question du D. scientifique et de la placer dans le cœur de cette année de travail métaphysique et scientifique que fut l’année 1629. Reste qu’en se focalisant sur les vrais et faux soleils, on court le risque d’éclipser le rôle constitutif et unitaire de la métaphysique dans l’idée cartésienne de science.

Claudio BUCCOLINI

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Pour citer cet article : Claudio BUCCOLINI, « ROBIN, Jean-Luc, « Faux soleils, vraie science. Les parhélies et la genèse du cartésianisme », Archives Internationales d’Histoire des Sciences, 2017, p. 65-74 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.

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