Auteur : David Wittmann

Thomas OEHL, Die Aktivität der Wahrnehmung und die Metaphysik des Geistes, Tübingen, Mohr Siebeck, 2021, 428 p.

Thomas Oehl signe ici un livre des plus imposants. Comme son titre l’indique, il propose une analyse méticuleuse du statut de la perception dans la philosophie hégélienne. L’ouvrage tente d’abord de contester l’approche de John McDowell. Si, pour ce dernier, la perception signe une actualisation passive des concepts, elle relève au contraire, pour l’auteur, d’une actualisation active de ces derniers. Pour T. Oehl, la perception est intrinsèquement active.

Le chapitre 2 cherche à montrer, à travers une analyse de la figure de la perception dans la Phénoménologie de l’esprit, le caractère résolument contradictoire de la position selon laquelle le percevoir devrait être compris comme l’actualisation passive, imposée sous la forme de la causalité, de nos capacités conceptuelles. Pour cela, il fait fond sur les contradictions entre l’universalité et la singularité qui grèvent – également selon le § 421 de l’Encyclopédie – l’approche perceptive. Le chapitre 3, consacré à « Force et entendement », prend acte de l’échec d’une appréhension simplement passive de la perception et cherche à montrer qu’aucun « objet de perception » ne préexiste à l’activité du sujet ; au contraire, l’objet n’est « constitué » (p. 114) qu’au travers des actes de la subjectivité.

La question est de savoir « quel est le type d’activité du sujet grâce auquel des concepts sont actualisés dans la perception » (p. 92). La réponse fait, pour partie, l’intérêt du livre puisque, pour notre auteur, l’activité qu’il convient de remettre en valeur n’est autre que « l’attention ». Que la perception, en tant qu’attention, soit intrinsèquement active, on l’accordera facilement, mais on pourra alors objecter que, pour qu’elle se dirige vers un élément du champ perceptif, il faut que ce dernier ait été perçu au préalable, cette première rencontre avec l’objet devant alors être résolument passive. Pour l’auteur, ce n’est guère le cas et c’est sans doute ici que ses analyses sont les plus délicates (p. 155 sq.), puisqu’elles impliquent un point, de prime abord étonnant, à savoir que l’attention ne serait pas « attirée » par un objet présupposé. Pour T. Oehl, il faut dire que « l’être-dirigé de l’attention [n’est] pas dirigé initialement sur un objet mais dans une direction spatiale définie a priori par le sujet » (p. 122), direction qui renvoie à la pure forme du champ spatial pré-esquissée a priori par le sujet. Cela conduit alors l’auteur à mettre en avant la figure de « l’habitude » afin de montrer qu’il existe des formes d’activité volontaires qui ne sont pas pour autant conscientes.

Mais ces thèses fortes ne forment que la première partie de l’ouvrage, car si l’auteur insiste tant sur le rôle de l’activité au sein même de la perception, c’est pour servir un dessein plus audacieux : insister sur la nécessité d’une métaphysique de l’esprit. L’opposition entre Hegel et McDowell en effet ne saurait se résumer au terrain de la théorie de la connaissance : elle porte en elle un conflit métaphysique, puisque, pour le philosophe de Berlin, l’esprit doit être pensé comme « absolument premier », tandis que celui de Pittsburgh pense que la nature est première et cherche à fonder un naturalisme de la seconde nature. On pourrait dire que T. Oehl, pour contester le naturalisme, cherche d’abord à penser la perception comme étant essentiellement active afin d’établir l’importance d’une philosophie de l’esprit, puis cherche à fonder la contrainte normative s’exerçant sur notre pensée en ayant recours à Dieu. C’est l’esprit absolu qui éclaire dans une telle perspective l’esprit subjectif (p. 262), raison pour laquelle, au sein de l’Encyclopédie, l’activité spirituelle est pensée comme manifestation/révélation (§ 383). Aussi le combat contre le naturalisme implique-t-il une revalorisation de l’esprit absolu – fermement distingué de l’esprit objectif – où philosophie, art et religion consistent en une « rencontre avec Dieu » ou l’évènement de la « reprise par Dieu du sujet fini en Dieu » (p. 323).

Quand bien même le recenseur ne partage résolument pas les options exégétiques qui sont celles de T. Oehl, il n’en demeure pas moins que celui-ci signe un ouvrage provocateur dans le contexte actuel et qui oblige ses opposants à affiner leurs arguments.

David WITTMANN (CPGE, Lycée Claude-Fauriel, Saint-Étienne)

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Pour citer cet article : Thomas OEHL, Die Aktivität der Wahrnehmung und die Metaphysik des Geistes, Tübingen, Mohr Siebeck, 2021, 428 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXIII, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 149-186.

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Michael QUANTE & Nadine MOOREN (dir.), Kommentar zu Hegels Wissenschaft der Logik (Hegel-Studien, Beiheft 67), Meiner, 2018, 805 p.

Offrir un commentaire collectif de la logique de Hegel qui poursuive une exégèse s’exprimant, pour ainsi dire, d’une seule voix n’est plus guère une entreprise envisageable à l’époque qui est la nôtre ; c’est la raison pour laquelle, comme l’explique fort bien Nadine Mooren dans son avant-propos, ce volume s’expose délibérément à la pluralité des interprétations, pour peu que ces dernières explicitent clairement le point de vue qu’elles défendent et tentent de montrer la pertinence actuelle des arguments avancés par notre philosophe. Autant le dire tout de suite, ce qui pouvait apparaître comme une gageure, nous semble une réussite à la lecture de ce volume. D’une part, toutes les parties principales de la Science de la logique y sont traitées par des spécialistes avérés, ce qui permet d’avoir un commentaire synoptique de l’ouvrage ; d’autre part, la pluralité des points de vue dédogmatise le grand œuvre et lui redonne vie à travers la multiplicité irréductible des interprétations qui cherchent à l’élucider. Certes, on pourra critiquer précisément l’absence d’une vision d’ensemble interrogeant le sens et l’objet spécifique du projet hégélien, mais l’unanimité n’étant guère de mise dans la Hegel-Forschung, l’ouvrage ne fait que refléter, en ce sens, l’état actuel de la recherche.

L’explication de la doctrine de l’être débute par une contribution de Brady Bowman qui revient sur la question classique des rapports entre la Logique et la Phénoménologie en cherchant à montrer que si la première présuppose bien la seconde, cela ne contrevient nullement à son absence de présuppositions. Fort d’études antérieures bien connues, Anton Friedrich Koch propose un commentaire d’ensemble de la section dédiée à la qualité, tandis que Stephen Houlgate s’attache à la quantité et nous offre, notamment, un résumé limpide du rapport de Hegel au calcul différentiel (p. 201 sq.). Enfin, Pirmin Stekeler-Weithofer, dont on sait qu’il défend une lecture de la logique comme théorie critique de la signification, cherche à éclairer dans cette perspective la difficile théorie de la mesure ; on regrettera à cet égard que l’exégèse proposée de la « mesure réelle » ne s’appuie pas plus explicitement sur les nombreuses recherches relatives au rapport de Hegel à la chimie de son temps. La première section de la doctrine de l’essence a été confiée à Michael Quante qui interprète le dessein poursuivi par Hegel dans ce deuxième livre de la logique comme celui d’une « ontologie de la conscience de soi comprise au sens d’une grammaire de l’autodétermination » (p. 283). Dietmar H. Heidemann livre quant à lui une analyse fort méticuleuse de la section consacrée au phénomène, travail dont on retiendra les pages lumineuses consacrées au rapport à Kant et à la chose en soi (p. 346 sq.). La célèbre section relative à l’effectivité fait l’objet d’une contribution très originale de Dina Emundts, dont il est très difficile de restituer la richesse ; l’autrice lit la section effectivité à travers le fil conducteur des différentes conceptions de l’unité de l’être et de l’essence, la structure de cette unité devant ultimement impliquer la possibilité d’un authentique rapport à soi (p. 449). Friedrike Schick, dans un volumineux article des plus stimulants et des plus utiles, prend au sérieux la question de la dimension proprement logique de l’entreprise spéculative et procède à une analyse de la première section de la logique du concept sous l’angle de la volonté, explicitement formulée par Hegel, de redonner vie à la matière ossifiée qui nous a été transmise par la tradition, à savoir celle que constituent les syllogismes et autres outils de la pensée logique dite formelle (p. 459). Convaincu que Hegel défend une conception inférentielle de l’objectivité (p. 560), Dean Moyar s’attache principalement au rapport entre mécanisme et téléologie, au sein de la section « objectivité », en rapport avec la théorie hégélienne du syllogisme (p. 623). On soulignera tout particulièrement, dans sa contribution, l’intérêt de l’analyse du syllogisme téléologique compris comme la présentation d’une quatrième forme de syllogisme (p. 629 par exemple). L’ouvrage se clôt avec un monumental essai de Ludwig Siep sur l’Idée qui, à lui seul, traduit tout l’intérêt que peut revêtir un tel ouvrage. L’auteur commence par brosser à grands traits les problèmes qui se posent à l’exégète du chapitre : rapports de l’Idée à la métaphysique et à la théologie, relation entre la logique et la nature. Il s’engage ensuite dans un commentaire de détail impressionnant (plus de 150 pages) qui restitue admirablement l’argumentation du texte hégélien. Il revient pour finir (p. 734 sq.) sur la question brûlante du caractère théologique ou post-métaphysique de l’Idée absolue, introduisant au passage le lecteur à la multiplicité des problèmes et des questions que doit affronter une interprétation globale du projet logique hégélien.

Ce commentaire collectif constitue, à nos yeux, un outil des plus précieux, que l’on soit néophyte ou lecteur confirmé, pour lire la Science de la logique mais aussi et surtout pour ne cesser de la relire autrement en empêchant que le « bien connu » finisse par nous rendre aveugles à la richesse d’un texte qui n’a décidément pas fini de nous surprendre.

David WITTMANN (UMR 5317-INSA de Lyon)

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Pour citer cet article : Michael QUANTE & Nadine MOOREN (dir.), Kommentar zu Hegels Wissenschaft der Logik (Hegel-Studien, Beiheft 67), Meiner, 2018, 805 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.

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Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Wissenschaft der Logik. Nachschriften zu den Kollegien der Jahre 1828, 1829 and 1831 (Gesammelte Werke, Bd. 23,2), hrsg. von Annette Sell, Hamburg, Meiner, 2015, VI-373 p. & Vorlesungen über die Wissenschaft der Logik. Sekundäre Überlieferung, Anhang (Gesammelte Werke, Bd. 23,3), hrsg. von Annette Sell, Anmerkungen von Walter Jaeschke, Hamburg, Meiner, 2017, ix-352 p.

Le second tome des Leçons sur la science de la logique nous renseigne sur les années de cours 1828, 1829 et 1831. Le volume propose d’abord le manuscrit de K. F. Libelt qui, comme l’indique l’apparat critique (t. 23,3, p. 1008), est le premier cours dont nous disposions qui ait été tenu à partir de la seconde édition de l’Encyclopédie. Il est pour partie lacunaire : d’une part la troisième position de la pensée relativement à l’objectivité n’y est guère développée (t. 23,2, p. 476), d’autre part la restitution du cours de la logique y est un peu lapidaire, s’arrête au rapport du tout et des parties dans la doctrine de l’essence, et ne contient, pour ce qui regarde le concept, que des remarques sur le début de la division consacrée au syllogisme (§ 182 et 183). Malgré cette relative incomplétude, on y trouvera des formulations intéressantes, notamment en ce qui concerne la négation déterminée et le concept d’Aufhebung (t. 23,2, p. 480). Le second document est autrement plus intéressant et comprend les notes du cours de 1829 prises par H. Rolin qui sont relativement continues. Cette pièce est en quelque sorte la bonne surprise de cette édition puisqu’elle regorge de formulations originales et procure un véritable plaisir de lecture. Comme dans la précédente version, le concept préliminaire se taille la part du lion, mais cette fois il est complet. On y trouvera des développements tout à fait suggestifs, en particulier sur le concept de vérité (p. 529-530 et 539-541). Le lecteur appréciera surtout les détails avec lesquels la troisième position de la pensée relativement à l’objectivité est restituée et notamment les exemples concrets qui sont utilisés pour faire saisir le rapport de l’immédiateté et de la médiation (p. 572-573 par exemple). Pour ce qui regarde la logique proprement dite, on appréciera la clarté des développements, pourtant minces, qui sont consacrés à l’effectivité (p. 621-623). Le troisième élément mis à disposition dans le second tome a déjà fait l’objet d’une édition antérieure puisqu’il s’agit de la célèbre Nachschrift K. Hegel de 1831 publiée par U. Rameil avec la collaboration de H-C. Lucas (Hamburg, Felix Meiner, 2001). Néanmoins la transcription de ce manuscrit a été entièrement reprise sur la base des principes de l’édition critique des œuvres complètes. Le troisième tome contient comme à l’accoutumée les fameuses additions présentes dans l’édition Leopold von Henning de 1840, la présentation précise de l’ensemble des matériaux utilisés et des sources qui ont été perdues ainsi que des notes relatives aux seules références explicites contenues dans les textes. On ne peut encore une fois que saluer le travail d’A. Sell et espérer que les trois volumes de cette édition engageront de nouveaux travaux sur la Science de la logique.

David WITTMANN (INSA Lyon – UMR 5317)

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Pour citer cet article : David WITTMANN, « Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Wissenschaft der Logik. Nachschriften zu den Kollegien der Jahre 1828, 1829 and 1831 (Gesammelte Werke, Bd. 23,2), hrsg. von Annette Sell, Hamburg, Meiner, 2015 & Vorlesungen über die Wissenschaft der Logik. Sekundäre Überlieferung, Anhang (Gesammelte Werke, Bd. 23,3), hrsg. von Annette Sell, Anmerkungen von Walter Jaeschke, Hamburg, Meiner, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Dean MOYAR (dir.), The Oxford Handbook of Hegel, New York, Oxford University Press, 2017, 828 p.

Convenons d’emblée qu’il ne sera guère possible de restituer ici l’extrême richesse de ce précieux volume souhaitant embrasser la philosophie hégélienne dans son ensemble. La première section porte sur la période d’Iéna et regroupe deux contributions, la première de B. Sandkaulen qui éclaire magistralement les écrits du journal critique, la seconde de M. Nance portant quant à elle sur la philosophie pratique de Hegel de 1801 à 1806. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la Phénoménologie de l’esprit et la recouvre dans toute son extension ; on y trouvera des contributions de D. Edmunts sur la section conscience, de S. Jenkins sur la conscience de soi, de W. F. Bristow sur la raison, M. Alznauer sur l’esprit, A. Speight sur l’art et la religion, et, last but not least, de D. Moyar sur le savoir absolu. Ce qui frappe dans cet ouvrage, c’est la réussite magistrale d’un collectif au sein duquel les contributions singulières, malgré leur diversité, parviennent à former un commentaire d’ensemble. Cette caractéristique est manifeste dans la troisième partie, dédiée à la Science de la logique. R. B. Pippin revient sur l’équation qui corrèle logique et métaphysique et fournit les premiers linéaments d’une nouvelle interprétation fort stimulante dont le problème clef s’exprime comme suit : « the fact that we cannot make sense of sense-making without it being the case that ways of making sense have actually made sense of things as they are » (p. 209). B. Bowman revient quant à lui sur les premiers moments de la logique de l’être en termes de philosophie de l’auto-détermination ; il éclaire en particulier le rapport du fini et de l’infini ainsi que l’être pour soi et qualifie, dans la foulée, l’idéalisme hégélien d’idéalisme pratique (p. 240). M. Quante propose une synthèse magistrale de la logique de l’essence comme une « ontologie de la conscience de soi, au sens d’une grammaire de l’auto-détermination » (p. 248). Pour K. Ng, qui se concentre sur la transition entre l’essence et le concept, le but de Hegel consiste à développer une notion d’activité auto-déterminante qui soit adéquate au concept de subjectivité et elle souligne en particulier les rapports étroits entre vie et concept qui en découlent. R. Zambrana fournit une interprétation originale de la première partie de la logique du concept en termes de théorie de l’intelligibilité et de rationalité de la chose même (Sache). J. Kreines poursuit son interprétation de Hegel qui, selon lui, propose une refondation de la métaphysique en s’appuyant sur les problèmes issus de la dialectique kantienne, et il interprète, de la sorte, le chemin qui conduit de l’objectivité à l’idée absolue. On voit là encore que malgré la diversité des options exégétiques, les articles proposés fournissent un commentaire assez suivi de la logique hégélienne. La quatrième partie porte sur l’Encyclopédie en insistant d’abord sur le problème de l’articulation du système (A. Nuzzo), et sur le concept préliminaire de la logique (R. Stern) ; on trouve ensuite une contribution intéressante sur la philosophie de la nature, dont l’auteur cherche à expliquer pourquoi elle peut être comprise comme science de la liberté (S. Rand) et, pour finir, deux excellents articles portant respectivement sur l’anthropologie et la psychologie hégélienne (A. Novakovic et H. Ikäheimo). La cinquième partie de l’ouvrage aborde les Principes de la philosophie du droit sous plusieurs angles : la conception hégélienne de la loi (R. Brooks), la philosophie hégélienne de l’action (C. Yeomans), la philosophie morale (K. Deligiorgi), l’État libéral, social et éthique (L. Siep), la philosophie de l’histoire (T. Pinkard). La sixième partie regroupe des contributions sur l’esprit absolu, L. L. Moland se consacre à la philosophie de l’art, T. A. Lewis à l’articulation entre sentiment, représentation et pratique dans les Leçons sur la philosophie de la religion ; enfin, les leçons sur l’histoire de la philosophie sont analysées pour la partie antique et médiévale par P. Redding et pour la partie moderne par K. de Boer. La dernière partie de l’ouvrage porte sur la réception de Hegel, on y évoque les rapports entre Hegel et Marx (S. Zhang), la première réception américaine de notre philosophe entre 1830 et 1930 (J. Kaag et K. E. Jensen), son rôle dans la philosophie française du XXe siècle (A. Stone), son interprétation au sein de l’école de Francfort (J. G. Finlayson), le renouveau que sa pensée connait actuellement au sein du courant analytique (W. A. de Vries). Le volume s’achève enfin par une contribution plus large de S. C. Anderson sur la question du libéralisme et de la reconnaissance. Il convient de saluer le travail de D. Moyar qui a ici réussi un véritable tour de force en alliant systématicité et originalité individuelle des contributions.

David WITTMANN (INSA Lyon – UMR 5317)

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Pour citer cet article : David WITTMANN, « Dean MOYAR (dir.), The Oxford Handbook of Hegel, New York, Oxford University Press, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie des subjektiven Geistes (Gesammelte Werke, Bände 25.2 & 25.3), hrsg. von Christoph Johannes Bauer, Hamburg, Meiner, respectivement 2012 et 2016, 568 & 560 p.

Ces deux volumes marquent l’achèvement de l’édition critique des leçons sur l’esprit subjectif de Hegel et nous livrent, en l’état actuel des découvertes, l’ensemble des matériaux qui sont à notre disposition. Il faut louer la patience, la persévérance et la compétence des éditeurs des Œuvres Complètes, et en particulier ici de C.J. Bauer qui a effectué un travail fastidieux et colossal de recherche, de transcription et d’annotation ; on ne dira jamais assez combien leur travail est important et mérite l’admiration de la communauté hégélienne. Tandis que le premier volume paru en 2008 regroupait les leçons de 1822 (Hotho) et de 1825 (Griesheim, avec les variantes de Kehler et Pinder), le second volume est consacré aux leçons de 1827/28. Comme on le sait, F. Hespe et B. Tuschling avaient déjà publié une édition des cahiers de J.E. Erdmann et de F. Walter relatifs à ce cours (F. Meiner, 1994). Entretemps, un nouveau manuscrit avait été découvert par J. Huggler, à savoir celui de Stolzenberg. C’est ce dernier manuscrit qui a été choisi comme texte principal pour le cours de 1827/28 ; selon l’éditeur c’est celui qui est le plus proche de l’exposé hégélien, celui d’Erdmann ayant été fortement retravaillé et portant la marque des intérêts propres à son « auteur », celui de Walter devant être entrevu comme un conglomérat entremêlant de simples copies des notes d’Erdmann, d’autres auditeurs et les propres notes de Walter ; enfin, celui de Hueck, découvert à la bibliothèque nationale de Russie, étant à son tour une copie de celui de Walter (cf. « Editorischer Bericht » in 25.3, p. 1133). De fait, à la lecture, le texte de Stolzenberg est moins disert que celui d’Erdmann et la lecture des variantes montre de nombreuses divergences (cf. entre autres exemples l’incipit de la section consacrée à l’esprit pratique, 25.2, p. 886 sq.). C.J. Bauer explique d’ailleurs, dans son apparat critique, que certaines des conclusions qui avaient été tirées par les précédents éditeurs des notes d’Erdmann et de Walter, comme celle selon laquelle la section consacrée à l’esprit libre serait pour ainsi dire présente in nuce dans l’introduction des leçons de 1827/28, doivent être pour le moins révisées à la lecture du texte de Stolzenberg (25.3, p. 1150 sq.). Si la nouveauté du volume 25.2 réside assurément dans la publication de ce dernier manuscrit, il faut souligner que J. C. Bauer a révisé la transcription des notes d’Erdmann et de Walter, améliorant ainsi le travail de F. Hespe et de B. Tuschling qui était déjà d’une remarquable qualité. En effet, certains passages, comme celui sur les hiéroglyphes (p. 213 dans l’édition de 1994 et p. 848 dans le volume 25.2), ont été modifiés, ce qui améliore quelquefois la compréhension du sens du propos hégélien. Permettons-nous néanmoins de dire que les principes utilisés pour la restitution des variantes dans l’édition des Œuvres de Hegel rend la lecture des versions de Erdmann/Walter extrêmement fastidieuse et ne facilite pas la comparaison avec le texte de Stolzenberg ; bien qu’en la matière – tout éditeur et tout traducteur l’accordera facilement – aucune solution ne soit idéale, l’édition de 1994 reste à notre sens fort utile pour qui veut se faciliter quelque peu la tâche. Le second volume de cette édition reproduit également – et ce avec raison – les additions de Ludwig Boumann. Outre l’imposant « Editorischer Bericht », le troisième volume contient presque 400 pages de notes qui, à elles seules, constituent un remarquable travail d’édition critique, listant toutes les sources directes de Hegel et nous donnant accès aux passages des textes originaux qu’il a utilisés. Il convient pour conclure de saluer à nouveau cette très belle édition qui contribuera à n’en point douter au regain d’intérêt que semble connaître actuellement l’esprit subjectif, partie de l’Encyclopédie très injustement délaissée par le passé.

David WITTMANN (INSA Lyon/UMR 5317)

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Pour citer cet article : David WITTMANN, « Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie des subjektiven Geistes (Gesammelte Werke, Bände 25.2 & 25.3), hrsg. von Christoph Johannes Bauer, Hamburg, Meiner, respectivement 2012 et 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.

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Susanne HERRMANN-SINAI & Lucia ZIGLIOLI (éd.), Hegel’s Philosophical Psychology, New York and London, Routledge, 2016, 285 p.

Cet ouvrage collectif d’excellente facture porte exclusivement sur la psychologie hégélienne et s’inscrit clairement dans le sillage des études actuelles qui montrent un vif regain d’intérêt pour l’esprit subjectif, partie de l’Encyclopédie qui, jusque très récemment, semblait relativement négligée. Michael J. Inwood examine la critique hégélienne de la physiognomonie et de la phrénologie tout à la fois dans l’Encyclopédie et dans la Phénoménologie ; dans l’œuvre de 1807, Hegel ne produit pas, comme il le fera ultérieurement, de distinction entre la physiognomonie et la pathognomonie ; en outre, il présente la phrénologie comme un développement de la physiognomonie dans l’exacte mesure où la première exhibe une relation causale entre les caractéristiques mentales et les signes faciaux, remédiant ainsi aux défauts de la seconde. Analysant tout à la fois les critiques à l’endroit de ces deux pseudo-sciences et la solution spéculative selon laquelle l’esprit réside davantage dans ses actes, l’auteur montre que les objections hégéliennes ne s’appliquent pas à la neuropsychologie actuelle et que Hegel n’est pas fondé à dénier tout rôle aux capacités localisées dans le cerveau, qui certes ne sont pas une condition suffisante, mais demeurent une condition nécessaire des performances humaines. Angelica Nuzzo nous livre quant à elle une étude décisive, tout entière centrée sur la notion d’esprit qui, comme elle le souligne à très juste titre, forme l’objet spécifique de la psychologie encyclopédique et n’émerge qu’avec elle ; elle relit la dernière partie de la logique pour montrer qu’elle constitue la condition de possibilité d’une philosophie de l’esprit, analyse l’articulation systématique entre l’anthropologie, la phénoménologie et la psychologie, puis montre l’importance de cette dernière pour la philosophie de l’esprit tout entière en choisissant le fil conducteur du ressouvenir et de la mémoire. Pirmin Stekeler-Weithofer pose les conditions d’une relecture innovante de la reconnaissance hégélienne comme une opposition entre la certitude de soi et la connaissance de soi (présentées comme les deux moments de la conscience de soi) ou entre nos sentiments et notre intellect qui rend utile la « comparaison d’une lutte de pouvoir entre deux personnes », mais qui explique également pourquoi il ne saurait y avoir de solution finale à la lutte pour la reconnaissance puisque, si la liberté peut incontestablement représenter la valeur la plus haute, la sécurité ou la simple survie peut être d’une importance aussi grande dans certains contextes. Stephen Houlgate continue une discussion qu’il avait entamée en 2006 avec J. McDowell ; il analyse fort clairement les différentes strates de l’expérience perceptive – sensation, conscience perceptive et intuition – dans la philosophie spéculative et souligne la différence entre cette dernière et la philosophie de McDowell. Elisa Magri montre l’extension de la thématique de l’habitude dans l’esprit subjectif. Distinguant l’habitude, comme seconde nature présente dans l’anthropologie, et la mémoire, elle analyse leurs relations (cf. en particulier p. 84) et s’interroge pour finir sur les modalités selon lesquelles une subjectivité gouvernée par de tels mécanismes peut être dite libre. Richard Dien Winfield relit pour sa part l’esprit théorique au crible de la question de l’origine du langage. Lucia Ziglioli signe un article très riche et tout à fait stimulant en montrant la manière dont Hegel échappe au paradigme courant d’une activité cognitive divisée entre deux moments, ceux de la sensation et de la pensée, grâce à l’interposition de la représentation comme moyen-terme ; une tripartition qui lui permet d’échapper à la fois au réalisme naïf et à l’idéalisme subjectif. Susanne Herrmann-Sinai signe un article fondamental visant à souligner l’importance de la section de la psychologie consacrée à l’esprit pratique ; selon elle l’esprit pratique présente l’action intentionnelle du point de vue de l’activité mentale du sujet, c’est-à-dire que sa thématique est essentiellement celle de « l’action subjective », raison pour laquelle elle prend à juste titre place dans une philosophie de l’esprit subjectif et non dans une philosophie proprement morale ou juridique. Dirk Stederoth montre lui aussi l’importance de la section consacrée à l’esprit pratique en la relisant comme une théorie des « degrés de liberté » et en tentant de montrer ce qu’elle peut apporter aux discussions contemporaines portant sur la liberté de la volonté. Sebastian Stein s’attache au concept « d’esprit libre », plus particulièrement à la simultanéité logique de la volonté et de l’intelligence dont il fournit une brillante analyse et qu’il défend contre la lecture de D. Buterin affirmant un primat de la praxis. Kenneth R. Westphal montre que le projet hégélien poursuit et étend la psychologie cognitive kantienne. Willem A. DeVries s’attache à la thématisation de l’espace et du temps dans la sensation et dans l’intuition via une comparaison des objections de Hegel et de Sellars à l’idéalisme transcendantal. Luca Corti revient d’une main de maître sur la question du conceptualisme ou du non-conceptualisme de Hegel en distinguant fort habilement (p. 234) deux types de lecture, l’une descriptive et l’autre reconstructive, la première considérant l’esprit subjectif comme une description des différentes activités ou facultés de l’esprit, chacune pouvant être comprise de manière autonome, la seconde considérant chacun des moments « comme les parties de la reconstruction rétrospective globale des conditions d’une expérience cognitive pourvue de contenu » (p. 239). Le choix entre conceptualisme et non-conceptualisme semble alors dépendre du principe de lecture que l’on privilégie. Pour finir, Louise E. Braddock tente de montrer, en passant par R. Wollheim, que la conception hégélienne de l’esprit est, bien que ce soit de manière implicite, structurante pour la psychanalyse. Par l’originalité et la richesse des études qui le composent, ce volume sera à n’en point douter un ouvrage de référence pour quiconque s’attache à la théorie de l’esprit subjectif.

David WITTMANN (INSA Lyon/UMR 5317)

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Pour citer cet article : David WITTMANN, « Susanne HERRMANN-SINAI & Lucia ZIGLIOLI (éd.), Hegel’s Philosophical Psychology, New York and London, Routledge, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.

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