Auteur : Denis Moreau

François-Xavier DE PERETTI (dir.) : Descartes et Spinoza. Entre rupture et continuité, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 195 p.

Cet ouvrage collectif regroupe des textes issus de deux journées d’études organisées en 2018 et 2019 à l’université d’Aix-Marseille. Dans un court Avant-propos, François-Xavier de Peretti en rappelle les objectifs et les enjeux : offrir une synthèse et ouvrir de nouvelles pistes, sur la question à la fois classique et loin d’être close des rapports entre Descartes et Spinoza. L’ouvrage comporte dix articles répartis en trois sections.

La première section, intitulée « Continuités, prolongements, similitudes » insiste sur les points où la relation de Spinoza à Descartes relève d’une forme de fidélité doctrinale. De façon élégamment synthétique mais sans réelle originalité, François-Xavier de Peretti suggère que Spinoza « porte à son stade ultime de développement » la position de Descartes sur le thème de la sui-causalité divine. Alexis Pinchard analyse chez les deux auteurs l’usage du verbe experiri, lorsqu’il qualifie la relation entretenue à une réalité qui tient de l’infini : la liberté chez Descartes (Quatrième méditation), l’éternité chez Spinoza (Éthique V, 23, scolie). Le rapprochement est intéressant et bien conduit, mais il repose sur l’idée un peu vite admise que la volonté humaine est, selon Descartes, à proprement parler « infinie ».

La seconde section de l’ouvrage, « Entre continuités et ruptures », porte sur quatre thèmes où la relation de Spinoza à Descartes, sans être inexistante, se révèle à la fois repérable et ambiguë. Filippo Mignini analyse la doctrine de l’imagination chez Descartes et Spinoza. Yannis Prelorentzos compare la « passion » cartésienne à « l’affect » spinoziste. Charles Ramond propose une sorte de méditation générale, en forme de bilan sur son propre parcours, sur ce qui rapproche et sépare nos deux auteurs. Benoît Spinosa tente une approche semblable au prisme de la question de la volonté.

La troisième section (« Ruptures, divergences, critiques ») est à nos yeux la plus riche et la plus globalement convaincante. Elle étudie quatre thèmes où Spinoza est clairement en rupture critique avec Descartes. Sur la question de la substance et de la distinction réelle, Igor Agostini insiste sur l’opposition radicale entre les deux auteurs, tout comme Pierre Guenancia à propos du thème de l’individualité. Denis Kambouchner analyse méticuleusement la première vive critique de Spinoza à l’égard de Descartes, à savoir celle de la seconde preuve cartésienne de Dieu « par les effets » dans les Principes de la philosophie de Descartes, I, 7, scolie. Theo Verbeek oppose enfin la doctrine cartésienne du jugement et de l’erreur à celle de l’idée vraie et de l’imagination chez Spinoza, dont il étudie les applications dans le TTP.

Au terme, on a affaire à un ouvrage dont les articles sont de qualité et d’originalité inégales, mais qui sera utile et nourrissant pour ceux qui s’intéressent à la relation entre Descartes et Spinoza, en présentant de multiples pistes de réflexion à ce sujet. Il précise sur de nombreux points la thèse de Hegel selon laquelle le spinozisme est comme l’achèvement (ici au sens de « parachèvement » — Vollendung — plus que de « suppression ») du cartésianisme. L’idée générale qui s’en dégage est que Spinoza, sans renier son inspiration cartésienne, a su dépasser, clarifier, résoudre, un certain nombre de problèmes, voire d’apories, laissés ouverts par Descartes et qui sont bien repérés et étudiés dans ce volume. De façon assez paradoxale si l’on songe à la réputation de « cartésien » (i. e. : un philosophe dogmatique engoncé dans l’esprit de système) faite à Descartes, l’auteur du Discours de la méthode apparaît alors, comparé à celui de l’Éthique, comme un philosophe souvent hésitant, dont la pensée serait avant tout une sorte de work in progress, un programme de recherche de style méditatif, là où Spinoza aurait tranché et affirmé de façon plus catégorique et assurée. À chacun ensuite d’émettre le jugement de valeur qu’il souhaite associer à cette description : on peut estimer spéculativement regrettables les indécisions cartésiennes et apprécier, par contraste, la solidité sans faille apparente de la construction spinoziste. On peut aussi (comme le suggère par exemple l’article de Denis Kambouchner) regretter qu’en passant de Descartes à Spinoza, on perde peut-être un certain sens de la nuance, de la complexité, et de la valeur du tâtonnement en philosophie : « une certaine culture cartésienne du suspens, de l’indécision, du mouvement vers la perception claire, aura été d’emblée profondément étrangère au style spinoziste et aura même suscité chez Spinoza une forme d’irrépressible aversion » (Denis Kambouchner, p. 172). De la sorte, les points de rapprochement, de continuité et de rupture entre Descartes et Spinoza bien repérés dans cet intéressant volume dessinent en un sens moins l’opposition de deux doctrines que celles de deux styles philosophiques.

Denis MOREAU

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Pour citer cet article : François-Xavier de Peretti (dir.) : Descartes et Spinoza. Entre rupture et continuité, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 195 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLV, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 187-216.

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DESCARTES, René, Méditations métaphysiques. Objections et Réponses. Lettre au père Dinet, sous la dir. de Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, Paris, Gallimard, coll. Tel, 2018 (Œuvres complètes, vol. IV-1 et IV-2).

On – et notamment l’auteur de ces lignes – a sans doute quelque peu abusé de l’étiquette « désormais indispensable aux études cartésiennes » pour qualifier tel ou tel ouvrage recensé dans le Bulletin cartésien. En l’occurrence l’étiquette est, à un degré rare, parfaitement adaptée. On pourrait certes penser de prime abord : « une édition de plus des Méditations et des textes qui les accompagnent ? Elles ne manquent pourtant pas ». Mais la présente édition est à tous égards exceptionnelle et vient combler un manque dont on se demande rétrospectivement comment, au regard du caractère profus du commentarisme cartésien, il a pu ne pas être comblé plus tôt : alors que les Méditations sont de l’avis général, un des plus grands, sinon le plus grand chef-d’œuvre de la philosophie, il n’existait tout simplement pas en français d’édition moderne complète, sérieusement introduite et scientifiquement annotée de ce texte. On mesure encore mieux l’importance de l’événement si l’on se souvient, comme le signale D. Kambouchner en introduction (vol. I, p. 58-59) qu’il s’agit, 375 ans après l’édition latine de 1642, de la « première version française intégrale des Méditations métaphysiques, des Objections et Réponses et de leurs textes d’accompagnement » (les diverses autres « grandes » éditions en français, dont Clerselier en 1661 et Cousin en 1824, étaient non seulement dénuées de notes mais aussi à divers degrés lacunaires ; et AT, comme on le sait, ne donne parfois pas le texte français, comme pour les Cinquièmes et Septièmes Objections et Réponses). Il s’agit aussi de la première édition française à être « systématiquement comparative » dans la mesure où, si le texte latin n’est donné, en regard de la traduction, que pour les six Méditations et leurs textes d’introduction (Épître dédicatoire, Préface de l’Auteur, Synopsis), les différents contributeurs ont pris pour règle de signaler en note l’ensemble des écarts notables entre la traduction française (vel potius : les traductions françaises, celle du Duc de Luynes et sa révision par Clerselier) et le texte latin.

L’ouvrage s’ouvre par un triptyque, sous forme de trois introductions consécutives qui réunissent, en un geste non dénué de beauté, trois chefs de file français des études cartésiennes de ces dernières décennies. J.-M. Beyssade, décédé en 2016 mais qui a largement participé à la coordination d’un premier état de ce volume et à son appareil critique, détaille le parcours qui mena « du Discours de la méthode aux Meditationes » (p. 19-32) ; J.-L. Marion précise le chemin qui conduit « Des Meditationes aux Objectiones et Responsiones » (p. 33-41) ; D. Kambouchner s’intéresse quant à lui (p. 42-61) à tout ce qui se joue dans le passage des Meditationes (en latin) à leur traduction de 1647 en français , puis précise les principes et les ambitions de ce travail dont il a assuré la direction depuis la maladie et la disparition de J.-M. Beyssade, à qui cette édition constitue un bel hommage.

Pour le reste, l’ensemble est si riche qu’il est vain de vouloir en rendre compte dans le cadre d’une recension. Proposons donc, faute de mieux, une sorte de « revue générale » qui tente de ne « rien omettre » (AT VI 19). On trouve donc dans ces deux volumes, outre les trois introductions dont il vient d’être question : les textes français et quand il y a lieu latin des pièces liminaires aux Meditationes ; le texte latin et la traduction française des Méditations, annotées par M. et J.-M. Beyssade ainsi que D. Kamboucher ; le texte français de l’ensemble des Objections et Réponses, chaque couple objections/réponses faisant l’objet d’une présentation détaillée et notamment utile pour situer et connaître les « objecteurs », ainsi que d’une annotation plus que copieuse dont on reparlera plus bas (par L. Renault pour les Premières Objections et Réponses ; par D. Kamboucher pour les Secondes ; par V. Carraud et G. Olivo pour les Troisièmes et Quatrièmes ; par D. Gil pour les Cinquièmes Objections ; par J.-M. Beyssade pour les Réponses aux Cinquièmes Objections et la Lettre à Clerselier sur les Instances de Gassendi ; par F. de Buzon pour les Sixièmes ; par R. Ariew et T. Verbeek pour les Septièmes Objections et Réponses et la Lettre au P. Dinet) ; trois appendices savants et fort utiles : a) une note sur la copie manuscrite du texte des Meditationes récemment découverte à Toulouse, par son « découvreur », J. S. Hyman ; b) une remarquable synthèse sur « les traductions françaises anciennes des Meditationes » par F. de Buzon, qui réévalue notamment l’importance de l’édition donnée par Clerselier en 1661 ; c) la table des articles réalisée en 1673 par René Fédé pour la troisième édition française des Méditations ; et puis encore une chronologie ; une bibliographie raisonnée de 40 pages, un « Index des matières des Objections et Réponses et des textes d’accompagnement » et un « Index des noms » tous les deux extrêmement détaillés et qui constituent des instruments de travail inédits autant que précieux.

Tout cela offrirait à soi seul une puissante raison de se procurer ces deux volumes, mais nous avons, pour ainsi dire et conformément aux recommandations des Évangiles (Jean 2,10) gardé le meilleur et, quantitativement parlant, la plus grande partie du volume II, pour la fin : 350 pages de notes (en petits caractères) qui constituent comme un commentaire suivi, à ce jour sans équivalent, de tous les textes présentés dans ces volumes. On y trouve, outre le relevé des différences entre latin et français déjà évoqué, des mises au point techniques sur les thèses délicates ou controversées ; des indications sur les « lieux parallèles » cartésiens où les questions traitées dans les Méditations et Réponses sont également abordées ; assez souvent et de façon parfois novatrice, des pistes de recherches sur les origines doctrinales des divers thèmes et concepts mobilisés par D. Cette dernière partie de l’annotation exprime l’un des axes interprétatifs majeurs de ce travail, ainsi synthétisé par D. Kambouchner dans son Introduction (p. 60) : « replacer l’opération complexe des Méditations dans la perspective historique la plus différenciée. [Cette opération] n’est ni naïve, ni violente, mais savante au plus haut degré ».

Une telle profusion fait qu’on est là en face d’un travail hors-norme et à ne pas mettre entre toutes les mains, notamment celles des élèves de terminale ou des cartésiens débutants : ils pourraient être déconcertés par le caractère massif et savant de l’ensemble et on préférera donc pour eux des éditions plus scolaires. Mais ceux qu’intéresse une approche technique de la pensée cartésienne trouveront plus que largement de quoi nourrir leurs réflexions dans ces volumes : les introductions et les notes sont de haut niveau et tiennent compte du dernier état de la recherche. La multiplicité des contributeurs constitue aussi cette entreprise en une sorte de livre-bilan des travaux de ces dernières décennies sur la métaphysique cartésienne et confère à l’ensemble une pluralité (dans l’ensemble bien réglée, même si certains désaccord apparaissent parfois, par exemple entre J.-L. Marion d’une part, p. 38, et V. Carraud et G. Olivo d’autre part, p. 342, sur l’intérêt des Objections de Hobbes) des voix et des interprétations qui l’apparente, pour le meilleur, aux Companions anglo-saxons. Le seul regret tient au fait qu’alors que tout ce que contiennent ces volumes le désigne pour devenir « l’édition de référence » des Méditations, ils ne peuvent cependant complètement prétendre à ce titre, en raison de ce qu’ils ne contiennent pas : le texte latin des Objections et Réponses qui figure, lui, dans AT (dont la pagination est, comme il se doit, indiquée en marge des textes ici donnés). La présentation de l’ensemble est de grande qualité, malgré quelques scories qui pourraient donner matière à cavillations chez un esprit porté sur les choses nugatoires : quelques alinéas ont subsisté dans un texte latin des Meditationes supposé continu ; on relève de rares coquilles (par ex. la curieuse mention d’une « note 627 » p. 979) ; un seul titre courant « Objections et Réponses » est donné là où il aurait été plus commode de différencier davantage.

À la fin de son introduction, D. Kamboucher explique qu’une lecture digne de ce nom des Meditationes doit « s’attacher à défaire les préjugés et simplifications de toutes sortes dont ce texte extraordinaire a fait l’objet, pour en enregistrer tout à la fois la subtilité sans pareille, la fascinante architecture et la provocante perfection » (vol I, p. 61). Ces deux volumes sont l’instrument idéal pour accompagner une telle opération. Décidément donc, et derechef : un ouvrage désormais indispensable aux études cartésiennes.

Denis MOREAU (Université de Nantes)

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Pour citer cet article : Denis MOREAU, « René Descartes, Méditations métaphysiques. Objections et Réponses. Lettre au père Dinet, sous la dir. de Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, Paris, Gallimard, coll. Tel, 2018 », in Bulletin cartésien XLIX, Archives de Philosophie, tome 83/1, janvier-mars 2020, p. 151-222.

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Methodos, 2016, « Figures du signe à l’âge classique », et « Pierre Macherey : avec Foucault, avec Descartes »

La livraison 2016 de la revue Methodos. Savoirs et textes contient un intéressant article de Martine Pécharman, « Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique de Port-Royal ». L’A. y montre, de façon convaincante, qu’on a tort de penser que l’intérêt des Messieurs pour la théorie du signe est tardif (les chapitres ajoutés à la cinquième édition de la Logique en 1683) et avant tout déterminé par les questions théologiques de polémique eucharistique qui avaient été abordées dans les années 1670 par la Perpétuité de la foi. Ainsi, la théorie port-royaliste du signe, ici précisément restituée et analysée, notamment dans son rapport au thème de la représentation, n’apparaît pas comme un ajout tardif à L’Art de penser, mais comme un des axes structurants de cette tentative de mise au point d’une logique cartésienne.

Mais l’essentiel de ce numéro de Methodos est constitué par un copieux dossier consacré à Pierre Macherey. Trois articles y concernent les études cartésiennes : deux portent sur le remarquable ouvrage Querelles cartésiennes (Lille, 2014 ; cf. BC XLV, p. 201-202), et ils sont complétés par un long et bel article de P. Macherey lui-même.

Dans « Pour une ‘histoire réelle de la philosophie’ », Ph. Sabot offre une vue synthétique de deux de ces fameuses querelles étudiées par Macherey : Alquié/Gueroult et Foucault/Derrida. L’essentiel de l’article porte sur la « querelle de la folie » entre ces deux derniers. Sa principale contribution est de commenter une réponse à Derrida que Foucault avait fait paraître en 1972 dans une revue japonaise (donnée dans les Dits et Écrits, Paris, Gallimard-Quarto, 2001, t. I, texte 104, p. 1149-1163) et qui est devenue, dans une version notablement abrégée, l’appendice « Mon corps, ce papier, ce feu » (texte 102 dans le même volume) que Foucault ajouta à la réédition de l’Histoire de la folie cette même année 1972. Ce texte japonais, bien moins fréquenté par les amateurs de D. que cet appendice, offre quelques intéressantes précisions sur la façon dont Foucault concevait cette querelle au plan académique, évaluait ses enjeux méthodiques et institutionnels, et se prononçait sur la question des rapports entre histoire et philosophie.

L’article d’É. Mehl « Une polémographie de la modernité » est plus ambitieux. Il montre comment, à des degrés divers, ces différentes querelles cartésiennes des années 1950-1970 ont été déterminées par le « spectre de Heidegger » qui, de façon multiforme, hantait alors la philosophie française, y compris là où on ne l’attendait pas forcément, comme chez Foucault. L’article montre bien les implications de ce « moment heideggérien » de la philosophie française sur les études cartésiennes de cette période, mais il insiste aussi sur ce que ces approches heideggériennes conservaient de rudimentaire si on les compare aux « outils interprétatifs beaucoup plus précis, et beaucoup plus puissants » qui seront ensuite mis en oeuvre par J.-L. Marion et son école. Dans la foulée de l’ouvrage de Macherey et en un redoublement que n’auraient pas désavoué Borges, et Foucault avec lui, ces deux articles entreprennent donc d’écrire et d’évaluer l’histoire de l’histoire de la philosophie cartésienne, en montrant comment elle a entériné, voire déployé, les lignes de forces de la vie intellectuelle française. Dans trente ou quarante ans, un autre Macherey pourra-t-il en dire autant des débats cartésiens des années 1990-2010 ? La question mérite d’être posée.

Le plat de résistance cartésien de ce numéro est constitué par l’article de P. Macherey « Marcher en forêt avec Descartes ». Le texte se présente d’abord comme une sorte de libre méditation, nourrie de nombreuses références (Dante, Péguy, de riches considérations sur le rôle de la forêt dans l’imaginaire occidental) autour de la « seconde maxime » de la « morale par provision » du Discours de la méthode. Il se déploie ensuite dans un commentaire très méticuleux de la Meditatio I. Macherey montre qu’on peut la relire à l’aide de cette seconde maxime, qui permet d’en éclairer d’un jour nouveau, au prisme du thème de la « résolution », les lieux les plus canoniques (fonction du doute, usage de la vetus opinio qui conduit au Dieu trompeur, malin génie). L’article est indéniablement riche, quoiqu’un peu touffu – il est vrai que le sujet y porte, et que l’A. semble se méfier, en comparant D. le voyageur à Leibniz l’ingénieur, de ce qu’il appelle les forêts trop « travaillées, revues et corrigées, tracées au cordeau, soigneusement entretenues ». Il est stimulant, et ce n’est assurément pas rien que d’indiquer un chemin peu pratiqué pour parcourir un texte aussi rebattu que la Meditatio I. Sans en faire nécessairement un reproche, on signalera que l’A. privilégie une lecture interne et autonome des textes auxquels il s’intéresse, et ne tient donc pratiquement pas compte de tout ce qui a pu être écrit en matière de commentaire cartésien sur la morale par provision, et singulièrement sur la deuxième maxime, depuis une trentaine d’années. Les plus historiens ou sourcilleux des lecteurs pourront, à la suite de V. Carraud taquinant M. Serres (BC XXVI, p. 80), s’interroger sur le « marcher » du titre de l’article, dans la mesure où l’on voit mal pourquoi notre « cavalier français qui partit d’un si bon pas » aurait abandonné sa monture pour se livrer aux joies, et périls, de la randonnée pédestro-sylvestre. Plus sérieusement, le principal regret qui vient à la lecture de cet article est à la mesure des contentements qu’il offre : il semble supposer, comme sa condition de possibilité, une thèse globale et essentielle sur la fonction « fondationnelle » de la morale par provision ou, si l’on préfère sur l’enracinement éthique de l’arbre de la philosophie cartésien. Il est dommage que cette thèse n’ait pas été plus explicitement mise au jour, et davantage développée.

Denis MOREAU

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Pour citer cet article : Denis MOREAU, « Methodos, 2016, « Figures du signe à l’âge classique », et « Pierre Macherey : avec Foucault, avec Descartes » » in Bulletin cartésien XLVII, Archives de Philosophie, tome 81/1, Janvier-mars 2018, p. 171-223.