Auteur : Giulia Belgioioso

 

LOMONACO, Fabrizio, Cartesio a Napoli. Le passioni dell’Anima. Traduzione e lettere tra ’600 e ’700, Rome, Aracne editrice, 2020, 260 p.

Ce volume contient la reproduction anastatique et en appendice les transcriptions de deux manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de Naples (par la suite BNN).

Le premier (Ms. XIII G 20, cc. 22) – La Filosofia Morale del Sig.r des Cartes intorno alle passioni dell’Anima e co[n] tale occasione di tutta la natura dell’uomo (par la suite Filosofia morale) – est la première traduction italienne (partielle) des Passions de l’âme (par la suite Passions). L’auteur est inconnu et Lomonaco estime pouvoir le dater de la fin du XVIIe siècle. Filosofia morale (p. 45-85) est, en fait, (1) la traduction intégrale des articles I à L de la première partie ; (2) des articles LI-CXLVI de la seconde partie. Le Ms. ne traduit pas (1) les deux derniers articles (CXLVII-CXLVIII) de la seconde partie ; (2) les manchettes ; (3) la troisième partie ; (4) les deux lettres avec les réponses qui précèdent les Passions (Bop I 2300-2331 ; AT XI, 301-326). En appendice (p. 201-256), se trouve la traduction d’Egidio Lofrano.

Le second (Ms. I E 13, cc. 2r.-57r., 64r.-182r., 211r.237r.) – Lettere cartesiane ad una signora – contient 24 lettres qui, selon Lomonaco à partir des données textuelles, ont été adressées de Piedimonte et de Naples entre mai et novembre 1728 par Niccolò Giovo à Aurora Sanseverino (Introduzione, p. 17). Lomonaco ne publie la reproduction que (1) de l’Indice degli Scritti riordinati. Lettere cartesiane (p. 89-90) et (2) des cinq lettres envoyées de Naples entre le 9 août et le 2 septembre 1728 (par la suite Lettere napoletane) (p. 93-197).

Giovo, à qui on a attribué (cf. L. Guerrini, « Note su traduzioni manoscritte delle opere cartesiane », in Giornale critico della filosofia italiana, LXXV, 1996, p. 500-507 et id., « Cartesianismo e meccanicismo nella Roma del primo Settecento », Nouvelles de la République des Lettres, 1996-II, p. 154-161) la première traduction intégrale des Passions et des Principia (Le Passioni ovvero gli Affetti dell’Anima et De’ Principi della Filosofia di Renato delle Carte: Ms. 220, cc. 122r.-211v.Ms. 2r.-116v., Biblioteca Casanatense, Roma), a traduit dans ce Ms quelques articles de la troisième partie des Passions et des passages extraits des Lettres de Monsieur Descartes de Clerselier (éd. anast. Lecce, Conte, 2003). Les cinq Lettere napoletane sont, de fait, composées selon le schéma suivant : dans la première moitié, traduction d’articles des Passions III (y compris les manchettes) ; dans la seconde moitié, traduction (pas littérale) d’extraits des lettres de Descartes à Élisabeth et à Chanut en 1646-1647 :

1. Lettre du 9 août 1728 : cc. 100r-106r (p. 93-105), traduction des articles CL-CLIX ; cc. 106r-112r (p. 105-117) traduction de la lettre à Élisabeth de septembre 1646 (Blet 570, p. 2280-2287 ; AT IV, 486-493) et des passages où Descartes commente les articles XVIII, XIX, XX, XXV du Prince de Machiavel. Giovo réunit en fait la question traitée dans l’art. CLIX (l’« humilité vicieuse » qui est le trait de qui s’humilie devant ceux dont il attend un bien ou craint un mal) aux questions traitées dans la lettre à Élisabeth de septembre 1646.

2. Lettre du 12 août 1728 : cc. 28r.-33v. (p. 119-130) traduction des articles CLX-CLXVI ; cc. 33v.-37v. (p. 130-138) traduction de la partie de la lettre à Chanut du 1er février 1647 dans laquelle Descartes répond à la question : « Lequel des deux dérèglements et mauvais usages est le pire, de l’amour ou de la haine » (BLet, 600, p. 2384 ; AT IV, 601).

3. Lettre du 18 août 1728 : cc. 10-15 (p. 139-149) traduction des articles CLXVII- CLXXVI ; cc. 15r.-18r. (p. 149-155) traduction des passages de la lettre à Élisabeth du 18 mai 1645, où Descartes introduit le concept de « contentement » (BLet 494, p. 2008-2011 ; AT IV, 201-204).

4. Lettre du 26 août 1728 : cc. 78r.-84v. (p. 157-170) traduction des articles CLXXVII-CXC ; cc.84v.-87v. (p. 170-156) traduction (non littérale) de la lettre à Élisabeth de novembre 1646 (BLet 578, p. 2316-2319 ; AT IV, 528-532).

5. Lettre du 2 septembre 1728 : cc. 88r.-95r. (p. 177-191) traduction des articles CXCI-CCIII ; cc. 95r.-98r. (p. 191-197) traduction de la partie de la lettre à Chanut du 6 juin 1647 où Descartes traite de la question « touchant les causes qui nous incitent souvent à aimer une personne plutôt qu’une autre, avant que nous en connaissions le mérite » (BLet 624, p. 2472 ; AT V, 56).

Les deux manuscrits constituent un document important de la diffusion des Passions dans la région de Naples. Toutefois, l’enquête n’en est qu’à ses débuts et doit être approfondie. Du second Ms., il sera nécessaire de traduire les dix-neuf lettres envoyées de Piedimonte afin de comparer ce manuscrit avec celui trouvé à la Casanatense qui, comme mentionné, est la traduction complète des Passions. De cette façon, il sera possible d’établir (1) lequel des deux Ms. a été écrit en premier et si, et dans quelle mesure, l’un est redevable à l’autre ; (2) de quelle édition des Passions et de la Correspondance Giovo a traduit, du français (comme je suis portée à le croire) ou du latin ?

Une enquête plus détaillée sur la présence d’écrits cartésiens dans les bibliothèques napolitaines reste à faire, sur le modèle de celle faite il y a quelques années par Giovanna Vergari pour les bibliothèques romaines (G. Vergari, « Les premières éditions de René Descartes dans les bibliothèques romaines », liminaire du BC XXVI, 1998, p. 25-33 : www.cartesius.net). Nous ne disposons actuellement que du précieux Catalogo della mostra bibliografica e iconografica. Dalla scienza mirabile alla scienza nuova. Napoli e Cartesio (Naples, Istituto italiano per gli studi filosofici, 1997) relatif aux collections de la BNN.

Giulia BELGIOIOSO (Università del Salento)

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Pour citer cet article : LOMONACO, Fabrizio, Cartesio a Napoli. Le passioni dell’Anima. Traduzione e lettere tra ’600 e ’700, Rome, Aracne editrice, 2020, 260 p., in Bulletin cartésien LI, Archives de philosophie, tome 85/1, Janvier-Mars 2022, p. 172-174.</p

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KAMBOUCHNER, Denis, Descartes n’a pas dit […]. Un répertoire des fausses idées sur l’auteur du Discours de la méthode avec les éléments utiles et une esquisse d’apologie, Paris, Les Belles Lettres, 2015, 225 p.

Ce petit livre est divisé en vingt-et-un chapitres dont chacun examine un énoncé attribué à tort à D. et autour duquel se sont construites autant de « fausses idées » ; à partir de textes, fragments ou expressions tirés d’écrits cartésiens souvent ignorés (à tort), l’A. démontre la fausseté ou la partialité de telles jugements. Vingt-et-un énoncés attribués à tort à D. et qui ont souvent produit des visions simplistes et déformées de la philosophie cartésienne. Ainsi, « Dans les écoles, on n’apprend rien d’utile » (chap. 1), « Les sens nous trompent » (chap. 2), « Rien n’est vrai sinon ce qui est clair et distinct » (chap. 3), etc. Quelques exemples de simplifications : la « réduction de la matière à l’étendue, c’est-à-dire à l’espace », contre laquelle la Règle XIV montre que « tout ce que l’énoncé exprime est une sorte d’illusion d’optique sur l’opération cartésienne » (p. 124) ; ou encore, contre la supposée disqualification cartésienne des expériences, le rappel que « seule une ignorance malveillante fera penser que le Descartes physicien ait méprisé les expériences, alors qu’il a, peut-on dire sans exagérer, passé à les rechercher chaque jour de sa vie » (p. 136) ; ou, contre l’énoncé selon lequel « La morale parfaite est hors de portée », l’évidence que la morale « n’est pas la matière d’un livre : elle est pour partie affaire d’instructions, mais pour une très grande part, comme la méthode, affaire de pratique et de discipline intérieure. À cet égard, cela tout au moins est certain, elle n’est rien qui puisse s’enseigner » (p. 195) ; enfin, pour l’énoncé : « La générosité est passion de la liberté », l’A. mentionne les art. 153 et 154 des Passions de l’âme, selon lesquels « les généreux n’ont pas à vouloir se rendre libres, ils le sont déjà », alors que selon l’art. 161 la générosité est « une disposition qui s’acquiert » (p. 200) : la liberté « ne constitue pas la valeur suprême » (p. 202), son « but, c’est d’en faire un bon usage » (p. 203) pour « procurer, autant qu’il est en [soi], le bien général de tous les hommes » (Discours VI, AT VI 61, 26-28).

Ainsi l’A. démonte-t-il minutieusement et efficacement les contresens sur D. et contribue-t-il à lui restituer son vrai visage à l’encontre des « erreurs produites au long des années par la simplification polémique ou scolaire ou par des controverses entre les savants (p. 10). La littérature secondaire n’est évoquée qu’en passant pour souligner les « injustes filtrages que les lectures les plus instruites ne s’emploient pas toujours à déjouer » (p. 11). Les citations sont rares, et ne visent qu’à reconnaître des résultats partagés (avec J.-M. Beyssade, F. de Buzon, P. Guenancia) ou pour indiquer des sources de « simplifications » ou d’erreurs (comme Durkheim, Natorp et surtout Damasio, qui « n’a pratiquement rien lu de Descartes », p. 169). Nous retiendrons surtout les deux conclusions de cette enquête : d’abord, qu’aujourd’hui, tandis que « plus personne […] ne croit à la raison (on s’en moque, on la hait, on en doute, ou bien l’on en désespère) », D. « peut toujours nous servir d’horizon » (p. 224-225) ; ensuite que cela n’est possible qu’en retournant lire directement les textes du philosophe.

Giulia BELGIOIOSO

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Pour citer cet article : Giulia BELGIOIOSO, « KAMBOUCHNER, Denis, Descartes n’a pas dit […]. Un répertoire des fausses idées sur l’auteur du Discours de la méthode avec les éléments utiles et une esquisse d’apologie, Paris, Les Belles Lettres, 2015, 225 p. » in Bulletin cartésien XLVI, Archives de Philosophie, tome 80/1, Janvier-mars 2017, p. 147-224.

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