Auteur : Jack Stetter

Michael DELLA ROCCA (ed.) : The Oxford Handbook of Spinoza, Oxford, Oxford University Press, 2017, 687 p.

Cet ouvrage contient vingt-sept contributions dues à des spécialistes de renom. Comme le note Della Rocca dans une introduction particulièrement accessible, il fut un temps où Spinoza n’était guère pris au sérieux dans les pays anglophones. On avait du mal à accorder de la valeur aux tentatives métaphysiques, dont celle de Spinoza, qui ne s’appuient pas sur les intuitions fournies par le sens commun. Mais avec l’importance croissante de philosophes tels que S. Kripke ou D. Lewis, avec la remise en cause des préjugés méthodologiques hérités des positivistes logiques, la scène philosophique est devenue plus réceptive à Spinoza, plus accueillante à la confiance qu’il accorde aux pouvoirs de l’intellect humain. En même temps, comme le montre le contenu du volume, cet intérêt pour Spinoza ne porte pas seulement sur sa métaphysique, mais il s’étend à présent à sa philosophie morale et politique. Ce dernier développement correspond à l’évolution générale de l’historiographie de la philosophie moderne dans les pays anglophones. En effet, depuis plusieurs décennies on s’est progressivement intéressé à la diversité et à la richesse des problèmes de la philosophie moderne, contrairement à ce qui a été assez souvent le cas antérieurement, lorsqu’on se bornait à ne discuter que des problèmes épistémologiques.

Ainsi, le Oxford Handbook of Spinoza témoigne d’un changement radical dans l’histoire de la réception de Spinoza dans la littérature anglophone. Pour ce qui est des contributions elles-mêmes, elles feront le bonheur du spécialiste de Spinoza. L’ensemble de sa philosophie est discuté en profondeur. Les analyses sont fidèles à la pensée de Spinoza et ouvertes sur les discussions actuelles de la philosophie dans le monde anglo-saxon. Les conclusions sont souvent novatrices et vont réellement faire avancer la compréhension du texte. Un souci de rigueur et d’équilibre parcourt le volume entier.

Les contributions sont les suivantes : « Introduction » (M. Della Rocca) ; « The Virtues of Geometry » (Aaron Garrett) ; « From Maimonides to Spinoza: Three Versions of an Intellectual Transition » (Kenneth Seeskin) ; « Spinoza and Descartes » (Tad M. Schmaltz) ; « The Building Blocks of Spinoza’s Metaphysics: Substance, Attributes, and Modes » (Yitzhak Y. Melamed) ; « But Why Was Spinoza a Necessitarian? » (Charlie Huenemann) ; « The Principle of Sufficient Reason in Spinoza » (Martin Lin) ; « Spinoza and the Philosophy of Science: Mathematics, Motion, and Being » (Eric Schliesser) ; « Representation, Misrepresentation, and Error in Spinoza’s Philosophy of Mind » (Don Garrett) ; « Finite Subjects in the Ethics: Spinoza on Indexical Knowledge, the First Person, and the Individuality of Human Minds » (Ursula Renz) ; « Spinoza on Skepticism » (Dominik Perler) ; « The Highest Good and Perfection in Spinoza » (John Carriero) ; « Spinoza on Mind » (Olli Koistinen) ; « The Intellectual Love of God » (Steven Nadler) ; « The Metaphysics of Affects or the Unbearable Reality of Confusion » (Lilli Alanen) ; « Spinoza’s Unorthodox Metaphysics of the Will » (Karolina Hübner) ; « Eternity » (Chantal Jaquet) ; « Spinoza’s Philosophy of Religion » (Carlos Fraenkel) ; « Spinoza’s Political Philosophy » (Michael A. Rosenthal) ; « Leibniz’s Encounter with Spinoza’s Monism, October 1675 to February 1678 » (Mogens Lærke) ; « Playing with Fire: Hume, Rationalism, and a Little Bit of Spinoza » (Michael Della Rocca) ; « Kant and Spinoza Debating the Third Antinomy » (Omri Boehm) ; « “Nothing Comes from Nothing”: Judaism, the Orient, and Kabbalah in Hegel’s Reception of Spinoza » (Paul Franks) ; « Nietzsche and Spinoza: Enemy-Brothers » (Yirmiyahu Yovel) ; « Spinoza’s Afterlife in Judaism and the Task of Modern Jewish Philosophy » (Michael L. Morgan) ; « Spinoza’s Releevance to Contemporary Metaphysics » (Samuel Newlands) ; « Literary Spinoza » (Rebecca Newberger Goldstein).

Jack STETTER

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Pour citer cet article : Jack STETTER, « Michael DELLA ROCCA (ed.) : The Oxford Handbook of Spinoza, Oxford, Oxford University Press, 2017 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XL, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 857-889.

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Michael LEBUFFE : Spinoza on Reason, Oxford, Oxford University Press, 2017, 217 p.

Cet ouvrage est destiné aussi bien à un public de non-spécialistes curieux de mieux cerner le statut de la raison chez Spinoza, qu’à des spécialistes avertis des débats les plus importants sur le sujet. Il situe Spinoza dans son contexte philosophique, le met en perspective avec des figures centrales, comme Avicenne, Maïmonide, Thomas d’Aquin, Descartes et Leibniz.

Depuis plusieurs décennies, la recherche a montré que le découpage de la période moderne entre écoles « rationaliste » et « empiriste » est inadéquat pour rendre compte de la variété des développements qui s’y expriment. Les nouvelles orientations se proposent de respecter la diversité des positions philosophiques, sans les ranger sous des modèles extérieurs à leurs préoccupations. Ainsi, l’habitude de considérer Descartes et Leibniz comme « rationalistes » dans leurs efforts de déterminer en quoi l’esprit raisonne à partir des idées qui ne sont pas fournies par les sens est trompeuse : pour s’en tenir à Dieu comme fondement ou garant de la véracité de nos raisonnements, on doit noter la divergence des points de vue. Il est donc bien difficile de dire que ce terme de « rationaliste » décrit une seule et même tendance présente chez ces philosophes aussi différents et, par ailleurs, opposés sur de nombreux points.

À cet égard, Spinoza occupe une place importante, car parmi les soi-disant « rationalistes », il paraît être le seul à ne faire aucune concession sur le plan métaphysique quand il s’agit de savoir si l’intelligibilité du tout est à la portée de l’homme. Par ailleurs, le fait qu’il ait une telle confiance dans les pouvoirs de l’intellect continue de nourrir les débats aux États-Unis, notamment grâce aux travaux de Michael Della Rocca, pour lequel le « Principe de la Raison Suffisante » oriente sa philosophie de façon radicale. Il est donc heureux de voir LeBuffe revenir sur le statut général de la raison chez Spinoza avec une analyse très précise et nuancée. En ce qui concerne la métaphysique « rationaliste » de Spinoza, LeBuffe essaie de réconcilier les lectures de Michael Della Rocca et d’Edwin Curley, pour lesquels, respectivement, Spinoza est un idéaliste et un matérialiste. Au passage, il discute du « théomorphisme » de Spinoza, c’est-à-dire non pas le fait que Dieu soit comme l’homme, mais que l’homme soit comme Dieu, dans la mesure où il accède au moins partiellement à la raison des choses.

Un des soucis principaux de LeBuffe est la recherche d’un fil directeur pour expliquer le concept de la raison, de la métaphysique à l’épistémologie et à l’éthique. Passant donc à l’examen de la raison comme idée logique et psychologique, puis à la raison pratique, LeBuffe suggère que le concept d’explication joue un rôle prépondérant. Comme il le montre, l’étude minutieuse du texte spinoziste révèle que déjà sur le plan psychologique et cognitif, Spinoza a développé une théorie de la raison comme idée ouverte aux sens par le biais des propriétés communes des corps ; celles-ci nous expliquent les natures communes des corps et, avec elles, les lois de la nature. Ainsi, Spinoza paraît atténuer l’opposition « rationaliste » / «empiriste » sur le plan épistémologique. Si le statut du troisième genre de connaissance reste plus spéculatif et sujet à discussion, il est clair que pour LeBuffe il vaudrait mieux nuancer la dichotomie des deux genres de connaissance à la lumière du concept de raison qui les informe l’un et l’autre. Néanmoins, LeBuffe est tout aussi sensible au fait que lorsqu’il s’agit de la raison comme ce qui autorise ou motive une éthique, Spinoza semble bien prêt à ériger la raison en modèle explicatif, en opposition à ce que les sens nous font désirer ou à ce en quoi ils nous instruisent. En ceci, on n’aurait peut-être pas tort de décrire Spinoza comme « rationaliste » dans le sens classique du terme. En conclusion, LeBuffe passe à l’analyse de la raison chez Spinoza comme concept clé de son étude théologico-politique, car elle est mise en opposition à la croyance aux miracles. Il montre enfin comment le concept de la raison permet de rendre compte du lien entre l’Éthique et le TTP.

Jack STETTER

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Pour citer cet article : Jack STETTER, « Michael LEBUFFE : Spinoza on Reason, Oxford, Oxford University Press, 2017 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XL, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 857-889.

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