Auteur : Julia Roger

STAQUET, Anne, Descartes avance-t-il masqué ? Bruxelles, Académie royale de Belgique, L’Académie en poche, 2015, 128 p.

L’A. explore la signification et la portée de la formule bien connue du jeune D. : « Larvatus prodeo » (Cogitationes privatae, AT X 213, 4-7). Son point de départ est l’étude de la compatibilité entre le concept cartésien de vérité et le processus rhétorique de la dissimulation. La compatibilité serait assurée pourvu qu’on distingue deux temps : le temps de l’exercice philosophique intolérant à toute stratégie de dissimulation et celui de la transcription de cet exercice autorisant des formes de dissimulation qu’il convient alors de déterminer. Sans toutefois envisager que son larvatus prodeo puisse renvoyer à l’anonymat qu’il vise au moment où il a le projet de publier un traité qui est probablement le Studium bonae mentis en 1620 (cf. V. Carraud et G. Olivo in Descartes, Étude du bon sens. La recherche de la vérité et autres écrits de jeunesse, Paris, 2013, p. 82-83, n. 67 – BC XLIV), les dix courts chapitres de ce livre considèrent ce qu’admet le « système cartésien » en matière de « travestissement » (p. 15-16) littéraire lorsqu’il s’agit de le communiquer publiquement. L’A. prend appui sur trois dossiers principaux pour passer de l’hypothèse d’un D. trompeur et masqué à celle d’un D. « n’ayant eu recours qu’à la réserve et au secret et aucunement à des formes plus actives de dissimulation ou de simulation » (p. 67) : au chap. 6, « la question de la transsubstantiation » dans les lettres de D. à Arnaud du 4 juin 1648 en réponse à celle du 3 juin 1648 (AT V 184-191 et 194) ; au chap. 7, les confidences de D. à Mersenne dans la lettre du 28 janvier 1641 (AT III 297-298) ; enfin, aux deux derniers chapitres, l’évolution des échanges de D. avec Régius, en confrontant notamment la lettre de janvier 1642 (AT III 491-492) avec celle de juillet 1645 (AT IV 256). L’A. invite finalement à distinguer l’attitude consistant à garder pour soi certaines pensées lorsque le contexte n’est pas favorable à leur publicité et celle qui consiste à affirmer le contraire de ce qu’on pense – ce que n’a jamais fait D. Une forme de « prudence » dans laquelle s’atténuerait le larvatus prodeo aurait gagné le D. de la maturité, devenu conscient qu’il n’est pas bon de tout dire et de tout écrire, en négligeant le contexte d’énonciation et l’intersubjectivité du dialogue philosophique. Il aurait été éclairant que l’A. indique en quoi la désaccoutumance progressive des esprits à leurs préjugés constitue le principe recteur des livres cartésiens depuis la publication des Essais qui taisent littéralement la principialité des principes. Elle aurait ainsi pu faire remonter à plus tôt la vigilance de D. à l’égard de cette prégnance des préjugés et montrer en quoi leur considération, de même qu’elle joue à plein dans la méthode, détermine en réalité le plan et l’ordre de l’ensemble de ses publications (et de ses inédits !).

Julia ROGER

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Pour citer cet article : Julia ROGER, « STAQUET, Anne, Descartes avance-t-il masqué ? Bruxelles, Académie royale de Belgique, L’Académie en poche, 2015 » in Bulletin cartésien XLVI, Archives de Philosophie, tome 80/1, Janvier-mars 2017, p. 147-224.