Auteur : Paolo Giuspoli

 

Agnese Di Riccio, Alfredo Ferrarin, Guido Frilli et Danilo Manca (dir.), La Psicologia di Hegel. Un commentario, Napoli, Istituto Italiano per gli Studi Filosofici Press, 2023, 357 p.

Ce volume n’est pas seulement un excellent instrument d’étude de la psychologie de Hegel, dans la version de l’Encyclopédie des sciences philosophiques de 1830 (§ 440-482) : il constitue aussi un point de repère important pour l’interprétation de la philosophie de l’esprit hégélienne.

Après une présentation générale (D. Manca, p. 15-23), l’ouvrage offre une vue d’ensemble des sources susceptibles d’éclairer l’étude de la psychologie hégélienne (G. Frilli, p. 25-33) en passant en revue près de deux siècles de littérature critique sur ce thème. (A. Di Riccio, p. 35-52). Puis, deux articles d’A. Ferrarin (p. 53-77 et 81-103) introduisent à l’examen de l’objet et de la fonction de la psychologie de Hegel dans le cadre du système. A. Ferrarin met en lumière la façon dont Hegel ne comprend pas seulement l’esprit comme conscience, comme je ou comme structure psychique, mais comme esprit incarné qui s’approprie des mécanismes et des procès organiques pour se réaliser en tant qu’unité psychophysique et se déterminer comme esprit libre.

L’un des fils conducteurs du traitement hégélien de l’« esprit théorique » est indéniablement le problème de l’objectivité des formes du connaître. Dans l’analyse de l’intuition, G. Califano (p. 105-143) discute de la façon dont ce qui est supposé être un donné sensible (ou la cause externe d’une intuition) est quelque chose qui se détermine en fonction de la pratique cognitive du sujet. L. Sala approfondit le thème (p. 145-173) en se référant à la conception hégélienne de l’activité représentative. Il remarque que Hegel ne comprend pas la représentation comme le lieu mental dans lequel doit être expliqué le rapport avec l’objet. L’activité représentative est plutôt examinée concrètement dans sa fonction d’appropriation : à travers le souvenir, les images déposées dans l’inconscient sont ramenées à la conscience et confrontées avec l’objet actuellement « intuitionné », devenant possession stable de l’intelligence, en tant que représentation de quelque chose d’effectivement existant. A. Di Riccio (p. 175-204) revient sur le même thème, en se concentrant sur la fonction théorique de l’imagination, et en montrant comment, à partir de l’Encyclopédie de 1817, Hegel comprend la reproduktive Einbildungskraft comme thätige Intelligenz, qui permet de dépasser l’intermittence des souvenirs et d’accéder au contrôle sur les images, en libérant celles-ci des conditions de l’intuition.

  1. Manca (p. 205-249) montre comment, dans le développement des écrits hégéliens, le signe linguistique possède une fonction de plus en plus centrale dans les modes par lesquels l’intelligence s’approprie l’intuition et parvient à transformer des représentations en pensées. Le développement des fonctions du penser jusqu’aux formes de compréhension rationnelle est l’objet de la contribution de F. Orsini (p. 251-284). Celui-ci souligne la façon dont Hegel conçoit le penser comme une activité spontanée, douée de reconnaissance et de récursivité, capable d’acquérir une autosuffisance au regard des conditions intuitives et de se manifester elle-même tout en montrant la structure du monde.

Un article de G. Frilli (p. 285-322) est consacré à l’esprit pratique, qui met en évidence la façon dont le vouloir constitue à la fois le développement complémentaire et la concrétisation des activités théoriques de l’esprit, en tant que capacité à se faire réalité, sans se perdre en celle-ci, mais en se réalisant comme liberté spirituelle. L’esprit libre est justement l’objet de l’article final de J.-F. Kervégan (p. 323-340) : celui-ci examine en quel sens Hegel conçoit la liberté comme « essence de l’esprit » et il discute les raisons pour lesquelles l’esprit subjectif libre, en tant qu’intelligence et volonté qui pense et veut sa propre liberté, est conçu par Hegel comme accomplissement de la psychologie et en même temps comme principe fondateur du droit, de la moralité et de l’éthicité.

Finalement, ce volume ne fournit pas seulement un guide varié, complet, rigoureux et actualisé pour l’étude (paragraphe par paragraphe) de la psychologie de Hegel, mais aussi une discussion précise des principaux problèmes méthodologiques, ontologiques et épistémologiques qui en ont innervé la structure, en en faisant un point de repère important pour l’interprétation de la philosophie hégélienne.

Paolo Giuspoli, Università di Messina [trad. J.-M. Buée]

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Pour citer cet article : Agnese Di Riccio, Alfredo Ferrarin, Guido Frilli et Danilo Manca (dir.), La Psicologia di Hegel. Un commentario, Napoli, Istituto Italiano per gli Studi Filosofici Press, 2023, 357 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXV, Archives de philosophie, tome 88/4, Octobre-Décembre 2025, p. 131-172.

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Alessia GIACONE, La possibilità necessaria. Aristotele nella Dottrina dell’essenza di Hegel, Napoli-Salerno, Orthotes, 2017, 302 p.

Dans ce volume, l’auteure se propose de montrer comment Hegel clarifie et développe le sens proprement « métaphysique » de la conception aristotélicienne de l’essence dans la Science de la logique.

Un examen lexical et historico-conceptuel du to ti ên einai aristotélicien, mené à travers une discussion des interprétations de saint Thomas, Trendelenburg, Natorp, Owens et Aubenque, sert à introduire la recherche. Dans le premier chapitre, l’auteure examine la distinction entre dynamis et ousia dans la métaphysique d’Aristote, en insistant sur les aspects qui trouvent un prolongement dans la conception hégélienne du rapport entre Ansichsein et Wesen. Dans le second chapitre, l’auteure propose un excursus sur la genèse et la fonction de l’Erinnerung dans le système hégélien avant d’en venir, sur cette base, à énoncer la thèse centrale du volume : la conviction hégélienne selon laquelle « l’essence est l’être passé, mais passé intemporellement », ou selon laquelle elle est l’Erinnerung de l’être (p. 101), est un développement du concept aristotélicien d’ên tel qu’il apparaît dans la formule to ti ên einai.

Ce thème est développé plus avant dans le chapitre trois, qui montre que l’apparence selon laquelle l’être est premier vis-à-vis de l’essence n’a de validité que dans la mesure où l’être est próteron pròs hemâs, c’est-à-dire pour le connaître, tandis que la réflexion de l’essence est caractérisée comme próteron tê physei, comme substance et fondement de l’être. Conformément à un thème que des auteurs comme Dubarle, Lugarini et Vitiello ont déjà mis au centre de l’interprétation de la Science de la logique, l’auteure affirme : « Il n’y a pas de terme véritablement et proprement premier, parce qu’ils sont tous deux premiers ; la perspective, l’horizon de compréhension change, selon que l’enquête se situe dans le domaine du tò ón, de l’immédiat, ou dans celui du to ti ên einai, de la médiation réflexive, de la réflexion tant du noûs vers la chose, que de la chose sur elle-même » (p. 154).

Dans le quatrième et dernier chapitre (p. 195-274), l’auteure discute (à travers les interprétations de Baptist, Biasutti, Doz, Kervégan, Jarczyk et Longuenesse) l’articulation et la fonction de la section Wirklichkeit qui achève la doctrine de l’essence et la logique objective dans son ensemble, en montrant comment, dans la convergence des concepts de notwendig, absolut et wirklich, Hegel jette les bases du développement de l’Idée dans la logique subjective. L’auteure montre en particulier comment la notwendige, absolute Wirklichkeit est conçue par Hegel moyennant le développement des concepts aristotéliciens d’entelécheia et d’enérgeia, de façon à exprimer tant la signification d’effectivité que celle d’activité d’autoréalisation et de détermination de la fin. De cette façon, Hegel conçoit l’Idée non comme simple Ansichsein, mais comme tätig wirksam et wirklich, comme autoréalisation déterminée, transparente à soi et fin à soi.

Paolo GIUSPOLI (Università di Messina) (trad. J.-M. B.)

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Pour citer cet article : Paolo GIUSPOLI, « Alessia GIACONE, La possibilità necessaria. Aristotele nella Dottrina dell’essenza di Hegel, Napoli-Salerno, Orthotes, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Giovanna MIOLLI, Il pensiero della cosa. Wahrheit hegeliana e Identity Theory of Truth, Trento, Verifiche, 2016, 372 p.

Dans ce volume, Giovanna Miolli affronte le problème de la vérité chez Hegel en commençant par un examen critique de ce qu’il est convenu de nommer l’Identity Theory of Truth (chapitre 1, 29-103). Elle procède ensuite à une discussion précise des interprétations contemporaines qui soutiennent l’existence d’une affinité substantielle (T. Baldwin, F. Ellis, Ch. Halbig), ou qui soulignent l’existence de divergences inconciliables à de nombreux égards (R. Stern, B. Levey) entre l’Identity Theory of Truth et la conception hégélienne de la vérité (chap. 2, 105-163).

La discussion se développe sur un mode bilatéral dans la mesure où elle est menée tant par le biais d’un examen interne des options d’interprétation en question que par le biais d’un examen systématique interne des textes hégéliens, qui approfondit un certain nombre de distinctions conceptuelles essentielles pour la conception hégélienne de la vérité. La première est identifiée dans le rapport « forme-contenu » du penser conceptuel dans la Science de la logique (chap. 3, 163-246) : l’enquête se développe à travers l’examen de la théorie hégélienne de l’« Idée » comme unité du concept et de la réalité. Au cours de l’examen, il se révèle notamment que, chez Hegel, il est impossible de trouver trace des conditions d’une théorie de la vérité comme « exactitude » (Richtigkeit), Hegel considérant au contraire cette dernière comme l’expression d’une simple « vérité formelle ».

La seconde distinction conceptuelle concerne la notion d’« identité » : l’auteure montre (chap. 4, 247-276) comment la notion d’identité à la base de l’Identity Theory of Truth, qui s’exprime dans la coïncidence entre le contenu propositionnel d’un jugement et un fait, n’a pas d’analogue dans la philosophie hégélienne. Pour Hegel le rapport entre concept et objet ne découle pas de la comparaison entre des éléments extérieurs : le concept est « identité négative avec soi », qui se développe, non à travers une simple opération d’adéquation extrinsèque entre la forme du connaître et la réalité extérieure, mais comme le procès d’auto-manifestation de la « vraie » réalité de l’objet, comme la totalité de l’objet, en laquelle les différences sont reconnues comme moments du procès de développement par auto-différenciation du tout en ses moments. L’achèvement de cette auto-manifestation conceptuelle du réel est l’auto-compréhension de la rationalité logique, l’« idée absolue » : ce procès d’auto-manifestation conceptuelle du tout est ce qui définit la vérité au sens propre chez Hegel et, par rapport aux modèles traditionnels d’« adéquation », celle-ci peut être définie comme procès d’« auto-adéquation ».

La troisième distinction conceptuelle fondamentale concerne le rapport entre forme logique et contenu du jugement ( chap. 5, 277-339). Miolli souligne que la théorie hégélienne du jugement ne porte pas sur son contenu représentatif particulier, mais considère d’abord sa structure en fonction de l’examen de la forme logico-conceptuelle du rapport entre les éléments du jugement (c’est-à-dire les déterminations conceptuelles d’universalité, de particularité, de singularité). Au cours de l’enquête, l’auteure démontre que Hegel est très loin de soutenir que l’identité entre concept et objet puisse être exprimée en un jugement, comme identité entre un contenu propositionnel et un état de choses.

Au total, le volume présente un examen critique, mené avec clarté et rigueur, d’un courant significatif des interprétations contemporaines de Hegel, qui démontre que la philosophie de Hegel n’est pas assimilable à une Identity Theory of Truth. En même temps, à travers une lecture attentive de la Science de la logique, le volume éclaire la caractéristique de la théorie hégélienne de la vérité comme auto-manifestation conceptuelle et comme « savoir de soi » rationnel, en en mettant en évidence le « potentiel théorique » pour la recherche philosophique contemporaine.

Paolo GIUSPOLI (Università di Messina) (trad. J.-M. B.)

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Pour citer cet article : Paolo GIUSPOLI, « Giovanna MIOLLI, Il pensiero della cosa. Wahrheit hegeliana e Identity Theory of Truth, Trento, Verifiche, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802

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Luca CORTI, Ritratti hegeliani. Un capitolo della filosofia americana contemporanea, Roma, Carocci, 2014, 295 p.

Le volume offre une introduction approfondie à ce mouvement philosophique contemporain appelé « néo-hégélianisme analytique ». Corti aborde ce domaine thématique – comme cela ressort du titre – en examinant la spécificité de l’interprétation de Hegel proposée par les auteurs de cette « renaissance hégélienne » américaine : Wilfrid Sellars (chap. 1, p. 29-58), John McDowell (chap. 2, p. 59-110), Robert Brandom (chap. 3, p. 111-180), Robert Pippin (chap. 4, p. 181-223) et Terry Pinkard (chap. 5, p. 235-269).

Ces cinq « portraits » sont dressés soigneusement, aussi bien en ce qui concerne le développement ample et varié de leur production (même les écrits les plus récents sont pris en considération) qu’en ce qui concerne la spécificité de la contribution théorique offerte par chaque auteur. Le volume présente néanmoins un profil unitaire : Corti montre comment les points fondamentaux de la théorie sellarsienne sur le rapport entre intuition et concept, dans le cadre de l’élaboration d’une théorie normative de la forme conceptuelle, sont à la base du débat contemporain sur Hegel et sur l’héritage de l’idéalisme allemand. En ce sens, l’interprétation offerte par Sellars de la philosophie kantienne (en particulier en ce qui concerne la constitution transcendantale de l’expérience) peut être considérée comme l’acte fondateur du néo-hégélianisme contemporain de matrice normativiste (p. 271).

Dans leur ensemble, souligne Corti, les développements du néo-hégélianisme contemporain sont caractérisés par un mélange de « lexiques » : le lexique de la tradition kantienne/hégélienne et celui de la tradition wittgensteinienne. En ce sens, des concepts clés comme ceux de règle, de norme, d’expérience, de raison, de transcendantal ont subi des déplacements sémantiques ou, dans certains cas, de véritables transpositions, qui ont radicalement redessiné leur signification. C’est le cas de l’usage kantien et hégélien du terme « Vernunft », relativement à l’expression « realm of reasons » et à la conception actuelle du « game of giving and asking for reasons ». Ces transpositions rendent parfois difficilement reconnaissables les « portraits de Hegel » dessinés par ces auteurs. D’un autre côté, de telles combinaisons ont permis l’ouverture de nouveaux horizons interprétatifs que Corti présente et examine dans ce volume, comme par exemple les débats autour du « contenu non conceptuel » et autour du rapport entre langage, norme et concept ; les enquêtes sur la généalogie des concepts et sur l’origine du normatif ; les discussions sur le holisme conceptuel et le holisme métaphysique ; les perspectives nouvelles sur la nature de l’« agency » ; enfin, les développements des théories de la reconnaissance sociale et les études sur la liberté comme auto-normativité. Une ample bibliographie (p. 277-295) conclut cette excellente étude introductive.

Paolo GIUSPOLI (Università di Messina) (trad. Giulia Valpione)

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Pour citer cet article : Paolo GIUSPOLI, « Luca CORTI, Ritratti hegeliani. Un capitolo della filosofia americana contemporanea, Roma, Carocci, 2014 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.

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Du même auteur :

  • Paolo GIUSPOLI, « Le concret de la raison. Ontologie et perspective transcendantale dans l’élaboration de la Science de la logique », Archives de Philosophie, 2012, 75-2, 217-234.