Auteur : Paolo Giuspoli

Alessia GIACONE, La possibilità necessaria. Aristotele nella Dottrina dell’essenza di Hegel, Napoli-Salerno, Orthotes, 2017, 302 p.

Dans ce volume, l’auteure se propose de montrer comment Hegel clarifie et développe le sens proprement « métaphysique » de la conception aristotélicienne de l’essence dans la Science de la logique.

Un examen lexical et historico-conceptuel du to ti ên einai aristotélicien, mené à travers une discussion des interprétations de saint Thomas, Trendelenburg, Natorp, Owens et Aubenque, sert à introduire la recherche. Dans le premier chapitre, l’auteure examine la distinction entre dynamis et ousia dans la métaphysique d’Aristote, en insistant sur les aspects qui trouvent un prolongement dans la conception hégélienne du rapport entre Ansichsein et Wesen. Dans le second chapitre, l’auteure propose un excursus sur la genèse et la fonction de l’Erinnerung dans le système hégélien avant d’en venir, sur cette base, à énoncer la thèse centrale du volume : la conviction hégélienne selon laquelle « l’essence est l’être passé, mais passé intemporellement », ou selon laquelle elle est l’Erinnerung de l’être (p. 101), est un développement du concept aristotélicien d’ên tel qu’il apparaît dans la formule to ti ên einai.

Ce thème est développé plus avant dans le chapitre trois, qui montre que l’apparence selon laquelle l’être est premier vis-à-vis de l’essence n’a de validité que dans la mesure où l’être est próteron pròs hemâs, c’est-à-dire pour le connaître, tandis que la réflexion de l’essence est caractérisée comme próteron tê physei, comme substance et fondement de l’être. Conformément à un thème que des auteurs comme Dubarle, Lugarini et Vitiello ont déjà mis au centre de l’interprétation de la Science de la logique, l’auteure affirme : « Il n’y a pas de terme véritablement et proprement premier, parce qu’ils sont tous deux premiers ; la perspective, l’horizon de compréhension change, selon que l’enquête se situe dans le domaine du tò ón, de l’immédiat, ou dans celui du to ti ên einai, de la médiation réflexive, de la réflexion tant du noûs vers la chose, que de la chose sur elle-même » (p. 154).

Dans le quatrième et dernier chapitre (p. 195-274), l’auteure discute (à travers les interprétations de Baptist, Biasutti, Doz, Kervégan, Jarczyk et Longuenesse) l’articulation et la fonction de la section Wirklichkeit qui achève la doctrine de l’essence et la logique objective dans son ensemble, en montrant comment, dans la convergence des concepts de notwendig, absolut et wirklich, Hegel jette les bases du développement de l’Idée dans la logique subjective. L’auteure montre en particulier comment la notwendige, absolute Wirklichkeit est conçue par Hegel moyennant le développement des concepts aristotéliciens d’entelécheia et d’enérgeia, de façon à exprimer tant la signification d’effectivité que celle d’activité d’autoréalisation et de détermination de la fin. De cette façon, Hegel conçoit l’Idée non comme simple Ansichsein, mais comme tätig wirksam et wirklich, comme autoréalisation déterminée, transparente à soi et fin à soi.

Paolo GIUSPOLI (Università di Messina) (trad. J.-M. B.)

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Pour citer cet article : Paolo GIUSPOLI, « Alessia GIACONE, La possibilità necessaria. Aristotele nella Dottrina dell’essenza di Hegel, Napoli-Salerno, Orthotes, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Giovanna MIOLLI, Il pensiero della cosa. Wahrheit hegeliana e Identity Theory of Truth, Trento, Verifiche, 2016, 372 p.

Dans ce volume, Giovanna Miolli affronte le problème de la vérité chez Hegel en commençant par un examen critique de ce qu’il est convenu de nommer l’Identity Theory of Truth (chapitre 1, 29-103). Elle procède ensuite à une discussion précise des interprétations contemporaines qui soutiennent l’existence d’une affinité substantielle (T. Baldwin, F. Ellis, Ch. Halbig), ou qui soulignent l’existence de divergences inconciliables à de nombreux égards (R. Stern, B. Levey) entre l’Identity Theory of Truth et la conception hégélienne de la vérité (chap. 2, 105-163).

La discussion se développe sur un mode bilatéral dans la mesure où elle est menée tant par le biais d’un examen interne des options d’interprétation en question que par le biais d’un examen systématique interne des textes hégéliens, qui approfondit un certain nombre de distinctions conceptuelles essentielles pour la conception hégélienne de la vérité. La première est identifiée dans le rapport « forme-contenu » du penser conceptuel dans la Science de la logique (chap. 3, 163-246) : l’enquête se développe à travers l’examen de la théorie hégélienne de l’« Idée » comme unité du concept et de la réalité. Au cours de l’examen, il se révèle notamment que, chez Hegel, il est impossible de trouver trace des conditions d’une théorie de la vérité comme « exactitude » (Richtigkeit), Hegel considérant au contraire cette dernière comme l’expression d’une simple « vérité formelle ».

La seconde distinction conceptuelle concerne la notion d’« identité » : l’auteure montre (chap. 4, 247-276) comment la notion d’identité à la base de l’Identity Theory of Truth, qui s’exprime dans la coïncidence entre le contenu propositionnel d’un jugement et un fait, n’a pas d’analogue dans la philosophie hégélienne. Pour Hegel le rapport entre concept et objet ne découle pas de la comparaison entre des éléments extérieurs : le concept est « identité négative avec soi », qui se développe, non à travers une simple opération d’adéquation extrinsèque entre la forme du connaître et la réalité extérieure, mais comme le procès d’auto-manifestation de la « vraie » réalité de l’objet, comme la totalité de l’objet, en laquelle les différences sont reconnues comme moments du procès de développement par auto-différenciation du tout en ses moments. L’achèvement de cette auto-manifestation conceptuelle du réel est l’auto-compréhension de la rationalité logique, l’« idée absolue » : ce procès d’auto-manifestation conceptuelle du tout est ce qui définit la vérité au sens propre chez Hegel et, par rapport aux modèles traditionnels d’« adéquation », celle-ci peut être définie comme procès d’« auto-adéquation ».

La troisième distinction conceptuelle fondamentale concerne le rapport entre forme logique et contenu du jugement ( chap. 5, 277-339). Miolli souligne que la théorie hégélienne du jugement ne porte pas sur son contenu représentatif particulier, mais considère d’abord sa structure en fonction de l’examen de la forme logico-conceptuelle du rapport entre les éléments du jugement (c’est-à-dire les déterminations conceptuelles d’universalité, de particularité, de singularité). Au cours de l’enquête, l’auteure démontre que Hegel est très loin de soutenir que l’identité entre concept et objet puisse être exprimée en un jugement, comme identité entre un contenu propositionnel et un état de choses.

Au total, le volume présente un examen critique, mené avec clarté et rigueur, d’un courant significatif des interprétations contemporaines de Hegel, qui démontre que la philosophie de Hegel n’est pas assimilable à une Identity Theory of Truth. En même temps, à travers une lecture attentive de la Science de la logique, le volume éclaire la caractéristique de la théorie hégélienne de la vérité comme auto-manifestation conceptuelle et comme « savoir de soi » rationnel, en en mettant en évidence le « potentiel théorique » pour la recherche philosophique contemporaine.

Paolo GIUSPOLI (Università di Messina) (trad. J.-M. B.)

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Pour citer cet article : Paolo GIUSPOLI, « Giovanna MIOLLI, Il pensiero della cosa. Wahrheit hegeliana e Identity Theory of Truth, Trento, Verifiche, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802

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Luca CORTI, Ritratti hegeliani. Un capitolo della filosofia americana contemporanea, Roma, Carocci, 2014, 295 p.

Le volume offre une introduction approfondie à ce mouvement philosophique contemporain appelé « néo-hégélianisme analytique ». Corti aborde ce domaine thématique – comme cela ressort du titre – en examinant la spécificité de l’interprétation de Hegel proposée par les auteurs de cette « renaissance hégélienne » américaine : Wilfrid Sellars (chap. 1, p. 29-58), John McDowell (chap. 2, p. 59-110), Robert Brandom (chap. 3, p. 111-180), Robert Pippin (chap. 4, p. 181-223) et Terry Pinkard (chap. 5, p. 235-269).

Ces cinq « portraits » sont dressés soigneusement, aussi bien en ce qui concerne le développement ample et varié de leur production (même les écrits les plus récents sont pris en considération) qu’en ce qui concerne la spécificité de la contribution théorique offerte par chaque auteur. Le volume présente néanmoins un profil unitaire : Corti montre comment les points fondamentaux de la théorie sellarsienne sur le rapport entre intuition et concept, dans le cadre de l’élaboration d’une théorie normative de la forme conceptuelle, sont à la base du débat contemporain sur Hegel et sur l’héritage de l’idéalisme allemand. En ce sens, l’interprétation offerte par Sellars de la philosophie kantienne (en particulier en ce qui concerne la constitution transcendantale de l’expérience) peut être considérée comme l’acte fondateur du néo-hégélianisme contemporain de matrice normativiste (p. 271).

Dans leur ensemble, souligne Corti, les développements du néo-hégélianisme contemporain sont caractérisés par un mélange de « lexiques » : le lexique de la tradition kantienne/hégélienne et celui de la tradition wittgensteinienne. En ce sens, des concepts clés comme ceux de règle, de norme, d’expérience, de raison, de transcendantal ont subi des déplacements sémantiques ou, dans certains cas, de véritables transpositions, qui ont radicalement redessiné leur signification. C’est le cas de l’usage kantien et hégélien du terme « Vernunft », relativement à l’expression « realm of reasons » et à la conception actuelle du « game of giving and asking for reasons ». Ces transpositions rendent parfois difficilement reconnaissables les « portraits de Hegel » dessinés par ces auteurs. D’un autre côté, de telles combinaisons ont permis l’ouverture de nouveaux horizons interprétatifs que Corti présente et examine dans ce volume, comme par exemple les débats autour du « contenu non conceptuel » et autour du rapport entre langage, norme et concept ; les enquêtes sur la généalogie des concepts et sur l’origine du normatif ; les discussions sur le holisme conceptuel et le holisme métaphysique ; les perspectives nouvelles sur la nature de l’« agency » ; enfin, les développements des théories de la reconnaissance sociale et les études sur la liberté comme auto-normativité. Une ample bibliographie (p. 277-295) conclut cette excellente étude introductive.

Paolo GIUSPOLI (Università di Messina) (trad. Giulia Valpione)

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Pour citer cet article : Paolo GIUSPOLI, « Luca CORTI, Ritratti hegeliani. Un capitolo della filosofia americana contemporanea, Roma, Carocci, 2014 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.

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Du même auteur :

  • Paolo GIUSPOLI, « Le concret de la raison. Ontologie et perspective transcendantale dans l’élaboration de la Science de la logique », Archives de Philosophie, 2012, 75-2, 217-234.