Auteur : Alberto Jurado

 

Leonor Silvestri : Un amigo judí. Spinoza maestro de la libertad, Buenos Aires, Guarra Editora, 232 p.

Un ami juif. Spinoza, maître de la liberté contient une critique radicale de la « sociabilité empoisonnée » du monde actuel, en proposant la solitude comme la meilleure stratégie pour faire croître la puissance individuelle et supprimer ce qui nous attriste. Tout au long de dix chapitres, l’auteure traite des sujets actuels : depuis les neurosciences, la pandémie ou le bénévolat, jusqu’au stoïcisme et à l’épicurisme, faisant passer la réflexion à travers le filtre de Deleuze, Foucault, Judith Butler et Kropotkine, et avec des références à la littérature, à l’art et à la culture numérique.

C’est Antonio Damasio, et son ouvrage À la recherche de Spinoza, qui relie la pensée de Spinoza aux neurosciences. Celui-ci, contrairement à Descartes, ne pose pas une distinction stricte entre les animaux et les êtres humains par la conscience, mais par le conatus, profondément lié au corps. D’où vient l’idée, suggérée par Silvestri, de « devenir un ver de terre », s’appropriant la métaphore pour souligner le pouvoir d’écarter ce qui nous nuit et de rechercher ce qui nous est utile. S’appuyant sur les neurosciences, l’auteure soutient l’influence du corps sur l’esprit et la nécessité des expériences corporelles pour contrebalancer les « passions tristes » induites par la société.

D’autre part, se rapprochant des thèses béhavioristes de Skinner, Silvestri analyse la gestion du désir (cupiditas) dans le système capitaliste – où les individus sont amenés à désirer leur propre servitude. Comme le conatus est une force conservatrice de la nature de l’individu qui s’oppose au changement de son être, cela se traduit de nos jours par la compulsion individuelle de survivre à tout prix à l’intérieur du capitalisme, étant piégé dans la relation entre travail et consommation, système où le salaire engendre la tristesse et la consommation agit comme un placebo perpétuant un cycle de passions tristes. La critique spinoziste de la « métalepse », ou confusion des effets avec leurs causes, est un autre aspect paradoxal de notre culture qui obscurcit les véritables causes qui nous affectent. Face à celle-ci, qui nous incite au ressentiment, la solution passe par la résistance à la tristesse – un autre piège du capitalisme pour nous y soumettre.

Finalement Silvestri rencontre le Spinoza de Deleuze à propos de la distinction entre morale et éthique. Alors que la morale s’en tient à des idées inadéquates (idéologie capitaliste), l’éthique – fondée sur la raison spinozienne – propose des références qui nous permettent d’identifier ce qui convient à notre corps. L’éthique de Spinoza devient alors une alternative fondamentale face aux institutions actuelles qui perpétuent la tristesse et réduisent notre puissance d’agir. Car la véritable liberté dans la vie consiste à apprendre à discerner ce qui nous convient véritablement et à s’écarter des rencontres sociales qui nous plongent dans la tristesse. C’est ainsi que Spinoza devient notre « ami » dans la mesure où il nous aide à réfléchir en vue de nous libérer des obstacles du monde contemporain.

Alberto Jurado

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Pour citer cet article : Leonor Silvestri : Un amigo judí. Spinoza maestro de la libertad, Buenos Aires, Guarra Editora, 232 p., inBulletin de bibliographie spinoziste XLVII, Archives de philosophie, tome 88/4, Octobre-Décembre 2025, p. 173-202.

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