Auteur : Javier Peña

 

Cemal Bâli Akal, Z. Efe Antalyali, Marcela Rosales (ed.) : ¿Qué le dice Spinoza al jurista?, traducción de M. Rosales, Villa María (Córdoba, Argentina), Eduvim, 143 p.

Ce volume rassemble les travaux d’une publication précédente en turc, à laquelle s’ajoute la contribution de Marcela Rosales, responsable de la préparation de cette édition. Avec des accents différents, les auteurs répondent aux questions posées au juriste par la philosophie juridico-politique de Spinoza.

Spinoza a une conception singulière de la loi, non normative, comme la puissance d’agir (potentia) due aux lois nécessaires de la Nature. C’est pourquoi le thème central de sa philosophie du droit – observe M. Walther dans « Derecho natural, derecho civil y derecho internacional en Spinoza » − est la relation entre ce pouvoir naturel et la « potestas » législative des dirigeants. Il n’y a pas de rupture entre le droit naturel et le droit civil, car le pouvoir politique repose sur celui de la multitude : l’organisation collective du pouvoir commun garantit l’autonomie de tous, en particulier dans la démocratie. Cette voie de coopération conforme à l’équité ouvre également la voie à la paix internationale.

Pfersmann (« La normatividad del derecho en el naturalismo de Spinoza ») souligne au commencement le strict naturalisme spinoziste qui n’admet pas un espace normatif différencié pour le droit de la nature et le droit positif, tel que le positivisme juridique le prône. Cependant, le réductionnisme psychosociologique ne suffit pas pour rendre compte de l’autonomie des normes juridiques, qui survivent à leurs causes structurales et persistent à travers le temps. Pour surmonter cet obstacle il faut penser le droit – science ou discours prescriptif soutenu par des sanctions et des compensations – comme un outil créé par l’effort collectif conscient de la société en vue de son autonomie.

La question posée par Akal : « ¿Qué le dice Spinoza al jurista ? » a reçu une réponse audacieuse à partir de Kelsen. Le juriste autrichien se retrouve avec le philosophe néerlandais dans leur approche immanentiste et anti-idéaliste, opposée au dualisme et à l’idéalisme naturaliste, et rapportée du naturalisme épicurien. En outre, Kelsen soutient un positivisme juridique non volontariste, dans lequel la juridicité constitue une structure pure et autonome, sans transcendance de l’État. D’ailleurs, les deux penseurs s’accordent également sur l’anti-contractualisme, ainsi que sur la notion de démocratie basée sur l’autonomie, le rejet des valeurs absolues, l’accord entre les individus et la tolérance. Il vaut la peine de souligner la section consacrée à l’intégration des migrants dans la démocratie, étayée par des textes du Traité politique de Spinoza.

Dans le chapitre « La inocencia de la multitud », Rosales s’interroge sur la place de la peine de mort, la peine pénale maximale, dans la philosophie politique de Spinoza. Étant donné l’innocence de la puissance de chaque individu dans la condition naturelle de son agir – passionnel ou rationnel –, ne serait-ce pas attenter à la multitude libre si celle-ci défaisait une seule de ses parties ? Après une référence à la vision biopolitique du pouvoir chez Canetti et Foucault, Rosales rappelle que l’objectif du pouvoir politique chez Spinoza est de préserver l’autonomie de la multitude, car le crime a son origine dans la mauvaise constitution du corps social, de sorte qu’un État qui condamne à mort n’a pas atteint la plénitude propre à la multitude libre dans la démocratie.

Enfin, le volume reprend l’article « Esse sui iuris y ciencia política » de Paolo Cristofolini, à la mémoire duquel cet ouvrage est dédié. Cristofolini souligne la pertinence de la notion sui iuris esse, extraite du droit privé romain. Elle implique pour l’individu ou le citoyen de ne pas se soumettre au pouvoir d’un autre et d’utiliser sa propre raison pour se gouverner en autonomie et bien gérer ses passions. Car vivre selon la raison est pour le philosophe une exigence fondamentale qui vaut autant pour l’individu que pour la civitas ; c’est pourquoi le Traité politique cherche une méthode adéquate à l’ordre rationnel de la vie publique. Le texte soutient que le philosophe hollandais propose une connaissance du genre « science intuitive » dans l’Éthique, selon un parcours qui procède déductivement, de la nature humaine aux mécanismes institutionnels de canalisation rationnelle des passions dans des conditions spécifiques. Le philosophe, sans s’accorder avec les utopistes ni vouloir occuper le rôle du législateur, montre les passages qui mènent de l’être passif à l’autonomie du sujet actif.

Javier Peña

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Pour citer cet article : Cemal Bâli Akal, Z. Efe Antalyali, Marcela Rosales (ed.) : ¿Qué le dice Spinoza al jurista?, traducción de M. Rosales, Villa María (Córdoba, Argentina), Eduvim, 143 p., inBulletin de bibliographie spinoziste XLVII, Archives de philosophie, tome 88/4, Octobre-Décembre 2025, p. 173-202.

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Jesús ROMERO SANCHEZ: Spinoza. La política a la luz de su filosofía, Córdoba, Almuzara, 156 p.

Ancien militant et dirigeant de mouvements et partis politiques de gauche, l’auteur examine les thèmes et les problèmes les plus importants de la politique contemporaine à l’aide de ce qu’il qualifie comme « la lentille Spinoza ». Il défend l’actualité du philosophe, vraie source d’inspiration pour une politique rénovatrice, en écartant la compréhension « académique » et réductrice de l’histoire de la philosophie… À vrai dire, l’ouvrage porte moins sur la philosophie de Spinoza que sur l’expérience politique de l’A. et sa manière d’envisager un certain nombre de thèmes généraux, tels que la démocratie, l’écologie, le féminisme et le capitalisme à l’âge de la mondialisation, ou d’autres thèmes plus particuliers, comme la vie interne des partis politiques, la transition politique espagnole, l’Union européenne, l’évolution du parti espagnol Podemosou la pandémie de Covid-19. Dans ce cadre, la pertinence du recours à Spinoza est loin d’être évidente. À partir de quelques citations, l’A. formule des conjectures ; il soutient ainsi que la revendication spinoziste du corps, par opposition au dualisme cartésien, est susceptible de fonder une politique féministe, ou que Spinoza inspire les courants écologiques puisqu’il comprend l’homme comme une partie de la Nature, loin du préjugé anthropomorphique. Et quand les textes manquent pour certains sujets (comme la prostitution féminine ou l’Union Européenne), il imagine ce que Spinoza aurait pensé…

Concernant la démocratie, l’auteur la comprend comme le pouvoir de constitution de la multitude, en rejetant toute médiation représentative ainsi que le constitutionnalisme, et en soutenant que le pacte social relève d’un consensus déséquilibré à la convenance du capitalisme. Une telle lecture, inspirée de Negri, néglige l’examen précis des concepts et des institutions, l’analyse des textes, l’attention au contexte historique et culturel, les commentaires des spécialistes. En somme, Spinoza sert de prétexte à une analyse de la réalité politique actuelle.

Javier PEÑA

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Pour citer cet article : Jesús ROMERO SANCHEZ: Spinoza. La política a la luz de su filosofía, Córdoba, Almuzara, 156 p., in Bulletin spinoziste XLIV, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 205-230.</p

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