Auteur : Bruno Haas

Auteur : Bruno Haas

 

Pirmin STEKELER, Hegels Wissenschaft der Logik. Ein dialogischer Kommentar, vol. 3, Die subjektive Logik. Die Lehre vom Begriff. Urteil, Schluß und Erklärung, Hamburg, Meiner, 2022, 1 196 p.

Avec ce troisième volume du commentaire de la grande logique, Pirmin Stekeler achève une contribution majeure et incontournable pour toute étude future de la philosophie hégélienne. Comme dans les deux volumes précédents, il parvient à donner une interprétation très détaillée et technique ; mais la lecture en est facile, les obscurités du texte hégélien sont souvent levées avec une grande élégance, et toujours illustrées à l’aide d’exemples bien informés, souvent tirés des sciences et des mathématiques, comme dans le commentaire exemplaire du mécanisme et du chimisme, mais aussi dans les pages consacrées à l’idée de vie.

L’ouvrage libère la philosophie hégélienne des surcharges métaphysiques qu’une exégèse peu rigoureuse, mais invétérée, avait introduites, et notamment les hypostases d’entités comme « l’esprit », « Dieu », le « savoir absolu », etc. Pour comprendre le discours sur « le monde », « l’esprit », « l’âme », etc., il faut savoir distinguer, nous dit-il, entre « l’hypostase ontique […] et l’objectivation scientifique » (p. 111). Si l’on pense que l’esprit ou l’âme se comportent comme des étants immatériels isolables, et particulièrement élevés, on se place du côté d’une hypostase ontique mal renseignée. L’esprit est « le domaine d’un agir individuel et commun – avec toutes ses conséquences et résultats » (notamment celles et ceux qui sont produits par la réflexion) qu’il s’agit donc de penser dans sa performativité.

Impossible de traverser ici tous les points forts de ce livre : je n’en relève que quelques-uns. Dans la théorie du concept, Hegel traite, selon l’auteur, de la façon dont la pensée découpe le monde et du statut logique de cette découpe (p. 300 sq.). Les distinctions génériques ont toujours aussi une fonction distributive (p. 304), je dirais « fonctionnelle », à l’intérieur d’un système de concepts déjà institué de façon intersubjective, puisqu’elles ne se limitent pas à classer ce qui se ressemble, mais permettent aussi de différencier (d’articuler les instances dans leurs rapports différentiels et fonctionnels) : voilà déjà l’idée générale du concept « concret ». Les « singularités » ne sont pas des tode ti aristotéliciens, objets de simple monstration, mais des lieux logiques où différents universaux génériques s’articulent (p. 342-343). Pas de référence à une singularité sans détermination générique de celle-ci.

Dans sa lecture de la syllogistique, l’auteur parvient à rendre leur sens et utilité spécifiques aux différentes figures sans se perdre dans les dérives des lectures qui ne reconnaissent que le syllogisme de la nécessité et congédient les autres censés être déficients. Ainsi, il donne une lecture non triviale de l’induction (p. 578-582) et reconnaît le voisinage structurel entre le syllogisme analogique de Hegel et l’abduction de Peirce (p. 591). Le syllogisme de l’analogie a un caractère modélisant (p. 590), il est donc basé sur une anticipation réglée, découverte d’un grand intérêt y compris dans le cadre de la discussion actuelle sur l’analogie dans les sciences.

Le commentaire sur les trois formes de l’objectivité apporte des éléments décisifs. P. Stekeler reconnaît à juste titre dans le mécanisme « absolu » une théorisation puissante des aspects les plus progressistes de la physique newtonienne (comme théorie de champs plutôt que de forces individuelles, p. 694 sq.), avec une lecture fort éclairante de ce paradigme scientifique à l’aide des figures du syllogisme (p. 700-702). Dans le chapitre sur le chimisme, on rencontrera une explication de la catalyse (p. 734) et une typologie des sciences physique, chimique et biologique, toujours à l’aide de la syllogistique. L’auteur s’applique particulièrement à démontrer le statut à part de la biologie, dans laquelle les médiations logiques sont organisées autour d’un moyen terme singulier de l’individu (p. 735-738). La spécificité de la biologie ne se comprend pas ici à partir de thèses ontologiques fortes, mais d’une description du statut logique des termes dans les médiations conceptuelles que cette science comporte (sur l’irréductibilité logique de la biologie, voir en particulier p. 737).

Le présent ouvrage nous procure une base suffisamment rigoureuse pour que la recherche en matière de logique spéculative et de son histoire puisse avancer au-delà des querelles d’opinion sur un choix de sujets très restreint. À part quelques contributions récentes, il remplace définitivement les commentaires plus anciens, notamment en langue française.

Bruno Haas (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Pirmin STEKELER, Hegels Wissenschaft der Logik. Ein dialogischer Kommentar, vol. 3, Die subjektive Logik. Die Lehre vom Begriff. Urteil, Schluß und Erklärung, Hamburg, Meiner, 2022, 1 196 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXIII, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 149-186.

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Pirmin STEKELER-WEITHOFER, Hegels Wissenschaft der Logik. Ein dialogischer Kommentar, vol. 2 : Die objektive Logik. Die Lehre vom Wesen, Hamburg, Meiner, 2020, 1 008 p.

Avec ce second volume du commentaire de la logique hégélienne, P. Stekeler poursuit son entreprise de reconstruction et de reformulation scientifique dans le but de désenclaver l’étude de la logique spéculative, de la mettre en rapport avec la langue notamment de la philosophie analytique et de la logique moderne. Ce faisant, P. Stekeler identifie et développe les limites de ces dernières et les apports substantiels de « l’idéalisme absolu » qu’il comprend comme une « mathesis relativement a priori, c’est-à-dire une théorie de l’inférence différentielle par défaut, canonique et accessible à un apprentissage, qui constitue le cadre conceptuel pour toute compréhension moyenne [Normalfallverstehen] d’un langage » (p. 28). Expliquons. Comme dans le premier volume, Stekeler récuse l’atomisme logique et montre comment la Logique de l’essence établit une pensée proprement scientifique en partant de la construction logique d’une « essence » constituée de différences pertinentes obtenues par inférence (et qui ne sont donc pas des données immédiates) et d’identités, c’est-à-dire en réalité d’indifférences corrélatives, l’identité n’étant rien d’autre que le résultat d’une équation (d’une indifférenciation) entre termes différents (p. 268). Or l’essence est la forme logique par rapport à laquelle une apparence peut être objectivée (p. 176). Ces différenciations inférentielles deviennent canoniques par suite d’un usage intersubjectif, au sein duquel elles sont accessibles à tous.

En ce sens, P. Stekeler interprète la logique spéculative comme la poursuite conséquente de l’entreprise kantienne d’une logique transcendantale (p. 25). La présupposition, dans l’empirisme logique, de « données sensibles, de qualia, de token événementiels ou de quelque autre pseudo-entité élémentaire » méconnaît la nécessité, relevée par Hegel, de les établir à l’aide de l’appareil logique qui constitue « l’essence » (des concepts de la réflexion en passant par la logique modale jusqu’aux catégories de la substance et de la causalité). Les données prétendument « élémentaires » sont en réalité des constructions théoriques, plus ou moins bien fondées, mais toujours susceptibles d’être révisées, qui peuvent d’ailleurs se traduire très littéralement dans des réalisations techniques (p. 199). Il faut une « naïveté toute juvénile » pour croire dans la possibilité « d’une application immédiate de modèles mathématiques au monde réel » (p. 238).

Comme ce dispositif logique est présupposé dans toute approche d’un réel, la forme logique apparaît bien dans une position a priori par rapport à son application empirique. Néanmoins, l’apriorité est toujours relative à un contexte et à un cadre conceptuel délimitant ce contexte qui doit toujours déjà être donné, ce pourquoi Stekeler considère la logique de l’essence seulement comme une « mathesis relativement a priori » (p. 28) visant une reconstruction plutôt qu’une construction conceptuelle du réel.

Une des contributions majeures de ce commentaire consiste dans le fait qu’il parvient à articuler « sens et signification » (Sinn und Bedeutung, Frege), « nom et référent », « apparence et essence » d’une façon nouvelle et fort efficace. En effet, pour constituer l’identité d’un référent, il faut pouvoir s’y référer à l’aide de représentations différentes (p. 221). La différence entre les representamina est donc essentielle pour la constitution du référent lui-même dans son identité. Si la logique ne concerne d’abord que les relations entre représentations, il suffit de reconnaître que le référent peut lui-même être considéré comme représentation de ses représentations pour comprendre qu’il n’échappe pas au jeu des formes logiques, une fois qu’il y est inséré. Comme cela implique une corrélation entre les relations d’équivalence entre représentations (dimension inférentielle) et la relation de représentation elle-même (dimension référentielle), la distinction de Frege entre « sens et signification » se trouve fondée dans une corrélation développée par Hegel dès sa théorie de l’identité (p. 202). Il ne peut pas y avoir de Bedeutung (référence à quelque référent et partant une valeur de vérité) sans qu’il y ait Sinn, à savoir des relations d’équivalence entre représentations. Cette découverte amène l’auteur, plus loin, à reconnaître la pertinence proprement logique de la simple relation de nomination pour la constitution de quelque chose comme une « essence » au sens strictement scientifique précisé ici (p. 275). De façon analogue, l’auteur reconnaît dans le rapport « contradictoire » entre le positif et le négatif la relation entre l’objet et ses propriétés et, mieux encore, « entre le nom et le prédicat » (p. 265), autrement dit la relation propositionnelle.

Cette lecture qu’il mentionne comme « alternative » et dont l’explication reste sans doute rudimentaire me semble mériter la plus grande attention. – Comme il s’agit d’un commentaire complet, bien d’autres sujets y sont abordés et approfondis. Signalons notamment une interprétation technique nouvelle de la notion de Grund (« raison », ratio plutôt que « fondement ») et du Hervorgang à l’existence (p. 501-502), rendue possible par l’évacuation de la question leibnizienne « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » (p. 16). Signalons enfin les pages 880 et suivantes, consacrées aux catégories de la substance, causalité et causalité réciproque, où Stekeler développe une lecture fort rationnelle de la relation causale comme tautologie (p. 910). Le commentaire de Stekeler constitue un jalon important dans la connaissance scientifique de la logique spéculative ; on peut espérer qu’il aidera à faire disparaître l’usage dilettante qui en est fait, encore de nos jours, dans une partie importante de la littérature spécialisée.

Bruno HAAS (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Pirmin STEKELER-WEITHOFER, Hegels Wissenschaft der Logik. Ein dialogischer Kommentar, vol. 2 : Die objektive Logik. Die Lehre vom Wesen, Hamburg, Meiner, 2020, 1 008 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.</p

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Lars HECKENROTH, Konkretion der Methode. Die Dialektik und ihre teleologische Entwicklung in Hegels Logik (Hegel-Studien, Beiheft 71), Hamburg, Meiner, 2021, 433 p.

Cette thèse de doctorat, préparée sous la direction de Rainer Schäfer et de Klaus Düsing, reste tributaire d’une lecture « métaphysique », c’est-à-dire thétique, de la logique hégélienne comme affirmation de la vie, et en dernière conséquence de la vie divine. Elle se présente pourtant d’abord comme un travail sur la méthode. Paradoxe curieux, ce traité de la méthode qui tente de montrer que celle-ci coïncide avec le contenu et pour cette raison se détermine spécifiquement comme « vie », reste étrangement abstrait. Nulle part l’auteur ne se demande dans quel sens il peut être question de « méthode » dans une pensée qui d’une certaine façon récuse l’abstraction des « méthodes » traditionnelles et l’idée d’une application par subsomption d’un cas concret sous une règle abstraite. Même l’exposé de la distinction entre les trois types d’application que Hegel semble avoir élaborés dans les trois parties de sa Logique (« passage »/Übergang, p. 108-113, qui serait une « préfiguration rudimentaire » du « développement logique […] plus complexe » (p. 113), « paraître dans l’opposé »/Scheinen im Entgegengesetzten, p. 113-122, et « développement »/Entwicklung, p. 122-128) ne donne pas lieu, chez l’auteur, à une reconstruction rigoureuse de contenus catégoriels spécifiques appartenant à ces figures « méthodiques ». Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur nous explique que la méthode est auto-explication téléologique de la méthode, ce qui, à ses yeux, justifie la caractérisation du développement logique comme « vivant ». Cette caractérisation, précise-t-il, n’est pas ici une « métaphore », mais « l’expression adéquate de cette structure processuelle de la logique isomorphe avec les organismes vivants des plantes et des animaux » (p. 315). Cette remarque, bien entendu, n’est accompagnée d’aucun développement justifiant ladite « isomorphie », ni d’une théorie de l’isomorphie. Par ailleurs, il existe une littérature spécialisée sur la théorie du vivant qui aurait permis d’être plus précis. Dans la troisième partie, Lars Heckenroth développe son idée du « système logique » comme « métaphysique spéculative » et nous explique que la structure proprement dite (eigentlich) du « développement logique » est celle d’une spirale qui, tout en s’élevant, se rétrécit (p. 383). Cette « image » (ibid.) sert à illustrer le fait que, dans le développement logique, « les différents stades du contenu logique se médiatisent, se spécifient et retournent en eux-mêmes sous une forme enrichie, selon une structure de plus en plus concrète et de plus en plus complexe » (ibid.).

Bruno HAAS (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Lars HECKENROTH, Konkretion der Methode. Die Dialektik und ihre teleologische Entwicklung in Hegels Logik (Hegel-Studien, Beiheft 71), Hamburg, Meiner, 2021, 433 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.</p

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Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen zur Ästhetik. Vorlesungsmitschrift Adolf Heimann (1828/1829), hrsg. von Alain Patrick Olivier und Annemarie Gethmann-Siefert, Paderborn, Wilhelm Fink, 2017, xxxi-254 p.

On ne peut que saluer la publication du cours d’esthétique de 1828-1829, le dernier auquel le public n’avait pas encore accès depuis la publication successive des autres cours d’esthétique professés par Hegel en 1820-1821, 1823 et 1826. Dans l’introduction, les éditeurs soulignent à nouveau la nécessité de se reporter à ces sources de l’enseignement hégélien, plus directes selon eux que l’édition posthume de Hotho dans les Œuvres complètes. L’édition du texte est tout à fait utilisable, même si les principes éditoriaux laissent parfois à désirer. Les notes critiques s’adressent plutôt à un public estudiantin qu’à des spécialistes ; elles sont redondantes, notamment lorsqu’il s’agit de résumer tel argument kantien, schellingien ou schlégelien, et par ailleurs souvent lacunaires et sans renvoi à la littérature critique utilisée (par exemple au sujet des nombreuses œuvres d’art citées, dont on indique seulement, pour la plupart, le titre et le lieu actuel de conservation). L’édition du texte modernise l’orthographe (par exemple urteilen au lieu de urtheilen, Wert au lieu de Werth, Allgemeines au lieu de allgemeines, etc.) et ajoute parfois une ponctuation sans autrement le signaler. On peut cependant consulter une version dépourvue de ces corrections sur le site de Fink. Comme le texte est parfaitement intelligible avec l’orthographe et la ponctuation originales, on ne comprend pas le sens de cette intervention. Les deux versions sont par ailleurs surchargées d’une autre espèce de correction, jugée sans doute nécessaire pour l’intelligence du texte, mais souvent inutile, voire périlleuse. On connaît le style généralement elliptique des Mitschriften, auquel il va bien falloir s’habituer si l’on veut faire un usage critique rigoureux de ce type de source. Voici un choix de ces corrections pour le moins douteuses : « Mischt sich die Kunst mit ihren gefälligen Formen ein, so ist, wenn ihre Formen auch nur gefällig sind, wenn auch nicht schädlich, [die Kunst] doch [ein] Überfluß für’s Leben, [so daß] diese Kunst als etwas Spielendes dann gar nachteilig für den Zweck sein könnte. » (p. 5.) Il suffirait de proposer un seul « sie » pour en faire une phrase tout à fait compréhensible : « Mischt sich die Kunst mit ihren gefälligen Formen ein, so ist [sie], wenn ihre Formen auch nur gefällig sind, wenn auch nicht schädlich, doch Überfluß für’s Leben, diese Kunst als etwas Spielendes dann gar nachteilig für den Zweck sein könnte. » Et quelques lignes plus loin en parlant de Neigung und Pflicht : « Die Würde der Pflicht und [des] substanziellen Zweckes stellt sie [sich] entgegen als moralische Bestimmungen, d.h. [daß] die hinzutreten [zu] der Kunst. » Il suffit de supprimer l’ensemble des ajouts pour rendre même une certaine élégance à cette phrase : « Die Würde der Pflicht und substanziellen Zweckes stellt sie entgegen als moralische Bestimmungen, d.h. die hinzutreten der Kunst. » Pour qui serait choqué par la grammaire de la fin de cette phrase, il suffirait d’échanger l’ordre des mots et de dire « <…> die der Kunst hinzutreten ». Autre exemple : « Das dritte ist das Subjektive überhaupt, [in] jenem Kunstwerk der Skulptur, das in abstrakter Ruhe [ist], entgegengesetzt, wo ein Unterschied zwischen Innen und Außensein sich zeigt <…> » (p. 33), où il est dit que le troisième est opposé à l’œuvre qu’est la sculpture (et non point, comme le fait entendre la correction, qu’il est opposé à la sculpture dans cette œuvre, ce qui est inintelligible). À la page 37, je soupçonne une erreur de lecture : « durch Strafe wird es richtig » au lieu de « nichtig ». Puis p. 41 : « <…> so daß dem Individuum vom Ganzen nur Tat [zugehört] und ein Partikel zum Teil wird », où il s’agit de dire que dans l’action, l’individu ne possède qu’une part de la totalité qu’il ne domine pas. J’ai remarqué deux lieux où une correction semble manquer : « Das Schöne gefällt uns, weil [es] mehr als solche bestimmte substanzielle Einheit in uns ist » (p. 16, c’est-à-dire : il est en effet quelque chose comme une unité substantielle), et : « Der Künstler muß viel gesehen haben und [durch] das sinnlich Aufgefaßte als ein Sinnliches von einem Geistigen [darstellen, so] / [41] soll er Bildung [her]vorbringen. » En général, ces ajouts et corrections encombrent plus la lecture qu’ils ne la facilitent, du moins pour qui aborde le texte dans une optique scientifique et philologique. Pour qui veut s’introduire à la philosophie de l’art, ce texte ne saurait en aucun cas remplacer la lecture de la version éditée par Hotho, et encore moins l’étude des textes-clés rédigés et publiés par Hegel. Sous la plume de l’étudiant, les parties spéculatives du cours sont parfois défigurées d’une façon assez remarquable ; par exemple, l’exposé de la théorie kantienne est éloquent, qui brille par une confusion et une imprécision impossibles à imputer à Hegel lui-même. Les problèmes textuels sont particulièrement nombreux dans la partie introductive et générale, le texte devenant plus fluide à partir de la seconde partie. La comparaison avec le carnet offert par Hegel à Victor Cousin, et édité par Alain Patrick Olivier, montre bien une différence de qualité extrêmement suggestive et me semble prouver que ce texte en langue française reste l’une des sources les plus autorisées de la première section de l’esthétique. Comme ce genre de textes ne saurait guère servir à un public d’étudiants et d’amateurs, on ne peut qu’exprimer le souhait de les voir édités selon des standards philologiques plus sévères.

Bruno HAAS (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Bruno HAAS, « Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen zur Ästhetik. Vorlesungsmitschrift Adolf Heimann (1828/1829), hrsg. von Alain Patrick Olivier und Annemarie Gethmann-Siefert, Paderborn, Wilhelm Fink, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Aakash Singh RATHORE & Rimina MOHAPATRA, Hegel’s India. A Reinterpretation with Texts, New Delhi, Oxford University Press, 2017, 324 p.

Le volume contient une introduction de 80 pages, suivie des textes majeurs écrits par Hegel sur le sujet, à savoir la recension de l’article de Humboldt sur la Bhagavad-Gita, puis des extraits des Leçons sur la philosophie de l’histoire, des Leçons sur la philosophie de l’art, des Leçons sur la philosophie de la religion, de l’Encyclopédie de 1830, des Leçons sur l’histoire de la philosophie ainsi que trois autres textes. Les deux auteurs n’ont pas recours aux nombreux cours dorénavant accessibles dans des éditions critiques. Les textes sont réédités selon leurs traductions anciennes en anglais et ne sont pas annotés. – L’essai introductif a le mérite de relativiser, en suivant la ligne interprétative de Herling (The German Gita, 2006), les lieux communs d’une critique facile qui ne veut voir dans la philosophie hégélienne qu’eurocentrisme et manie du système. Dans une brève recontextualisation, les auteurs rappellent que la polémique hégélienne, voire son ton parfois dédaigneux, visent souvent bien plutôt les « romantiques » que l’Inde classique (p. 20), même si Hegel participe bien entendu d’une atmosphère intellectuelle portée vers le colonialisme et corrélativement à une surestimation de sa propre importance au plan mondial. Ceci étant dit, en soulignant la simple quantité de textes consacrés par Hegel à l’Inde, les auteurs suggèrent que Hegel y réagit à un problème et à une inquiétude de fond, à savoir à une proximité réelle entre sa propre pensée et celle qu’il entrevoit dans les sources indiennes mises à sa portée par les traductions de Wilikins, Colebrooke, A. W. Schlegel, etc. C’est cette proximité qui aurait incité Hegel à surévaluer la différence (p. 24). Suit un résumé et une discussion des thèmes hégéliens concernant l’Inde. Le regard critique de Hegel sur le dharma (morale familiale ; p. 26 sq.) est partagé par nombre de penseurs indiens. Le symbolisme « fantastique » et effréné de l’art indien répond à une structuration inconsciente du symbole où l’absolu et la diversité sensible sont radicalement séparés (p. 34-39). Malgré l’absence d’une véritable individualité dans les pratiques religieuses indiennes, Hegel relève de façon récurrente la « trinité » hindoue dont il expose la dialectique. La proximité avec sa propre conception apparaît encore dans l’exposé des trois « qualités » (les guņas, p. 68). Toutefois, le mouvement dialectique indien retourne à son point de départ et semble manquer d’un véritable progrès au sens de l’Aufhebung. De plus, on résume la présentation hégélienne des philosophies Sankhya et Nyaya, sans apport philologique supplémentaire. – L’essai introductif pose un problème important que l’interprétation de la pensée hégélienne a trop ignoré par le passé : qu’en est-il en effet de l’interprétation hégélienne de l’Inde ? Nous en savons étonnamment peu ; derrière la polémique parfois facile (et dans le cas des cours, filtrée par l’esprit des éditeurs, voire des notes d’élèves) se cache une véritable pensée systématique qui mériterait d’être reconstruite et revue dans le détail. Les auteurs font le point sur l’état de la discussion. Il faudrait alors, et avant tout, reprendre les nombreuses traductions évidemment problématiques du genre guņa = qualité, prakrti = nature, purusha = esprit, se demander à quoi correspond bien le « soi » et l’« âme » (atman ?), etc., travail qui avait été entamé par Halbfass dans ses études classiques, mais qui est loin d’être achevé.

Bruno HAAS (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Bruno HAAS, « Aakash Singh RATHORE & Rimina MOHAPATRA, Hegel’s India. A Reinterpretation with Texts, New Delhi, Oxford University Press, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Johannes-Georg SCHÜLEIN, Metaphysik und ihre Kritik bei Hegel und Derrida (Hegel-Studien, Beiheft 65), Hamburg, Meiner, 2016, 392 p.

Ce livre relate les interventions de Derrida au sujet de Hegel et de son rôle dans l’histoire de la métaphysique comme aboutissement de celle-ci, tout en examinant de près le rapport entre les remarques, en partie critiques et déconstructivistes d’une part, et la philosophie hégélienne dans son ensemble d’autre part. Or, si Derrida, en théorisant la « clôture » de la métaphysique, la « dépasse » au sens de verwinden plutôt que überwinden (Heidegger) en se plaçant sur ses marges, la pensée de Hegel, selon l’auteur, constitue déjà une critique de la métaphysique représentationnelle et formule une grande partie des observations derridiennes, quoique dans un autre langage. Le livre expose son argument d’une façon fort claire et lisible ; d’une manière générale, il est mieux informé sur Hegel que sur Derrida dont il ignore (volontairement ?) tout rapport à la psychanalyse, notamment lacanienne, dont l’ascendant inavoué sur Derrida, notamment dans son interprétation du rapport entre frère et sœur (voir : Glas), ne saurait être sous-estimé. Le thème de l’inceste n’est même pas évoqué dans la mise en perspective de ce passage. L’élégant résumé de l’idée de clôture de la métaphysique (p. 53) avec les quelques clarifications fort à propos sur le rapport entre déconstruction derridienne et Destruktion heideggérienne (p. 56) nous engagent dans un parcours qui aboutit à une relecture de la logique du Begriff, Urteil et Schluß où l’auteur insiste sur le fait que Hegel y décrit l’expression langagière des relations logiques entre les moments du concept, jugement et syllogisme comme déficientes (opaques), anticipant ainsi l’idée derridienne d’un différer irréductible de tout dire. La relecture du chapitre sur les déterminations de la réflexion insiste sur le caractère « impur » (c’est-à-dire contaminé par son rapport à l’identité) de la différence hégélienne, par quoi elle serait avant la lettre une réalisation de la différance derridienne.

Bruno HAAS (Technische Universität Dresden)

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Pour citer cet article : Bruno HAAS, « Johannes-Georg SCHÜLEIN, Metaphysik und ihre Kritik bei Hegel und Derrida (Hegel-Studien, Beiheft 65), Hamburg, Meiner, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.

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Du même auteur :

  • Bruno HAAS « Kant et la raison comme fonctionnalité logique », Archives de Philosophie, 2004, 67-3, 379-398.