Paris

Bulletin Hobbes XXII (2010)

Revue critique des études spinozistes pour l’année 2008

LIMINAIRE

Séminaire du centre Thomas Hobbes (2009-2010)
Le politique : philosophie, histoire, sociologie

1. Éléments pour une recherche

1.1. « Bulletin Hobbes XXI. Bibliographie critique internationale des études hobbesiennes pour l’année 2007 », Archives de philosophie. Tome 72, cahier 2, été 2009, p. 345-366.

1.2. Boletín de la Asociación de Estudios Hobbesianos, María Lukac de Stier, Andrés Di Leo Razuk et Andrés Jiménez Colodrero (éds.), n°30, 2008, Buenos Aires..

2. Textes et traductions

2.1. HOBBES (Thomas), Tratado sobre el Cuerpo, traduction de Joaquín Rodríguez Feo, Madrid, Universidad Nacional de Educación a Distancia, 2008, 406 p.

2.2. HOBBES (Thomas), Tratado sobre el Hombre, traduction de Joaquín Rodríguez Feo, Madrid, Universidad Nacional de Educación a Distancia, 2008, 164 p.

2.3. HOBBES (Thomas), Tratado sobre el Ciudadano, traduction de Joaquín Rodríguez Feo, Madrid, Universidad Nacional de Educación a Distancia, 2008, 256 p.

2.4. HOBBES (Thomas), The Elements of Law, Natural and Politic : part I, Human nature, part II, De corpore politico ; with Three lives, introduction et notes par J.C.A. Gaskin, New York, Oxford University Press, 2008, 284 p.

2.5. HOBBES (Thomas), Translations of Homer. The Iliad and the Odyssey, édité par Eric Nelson, The Clarendon Edition of the Works of Thomas Hobbes, vol. XXIV-XXV, Oxford, Clarendon Press, 2008, 848 p.

2.6. TERREL (Jean), Hobbes : vies d’un philosophe, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 266 p. Contient Thomas Hobbes, « Vies en vers » et Richard Blackburne, « Suppléments à la vie de Hobbes », textes latins établis et traduits par Jean Terrel ; bibliographie, p. 249-257 ; index.

3. Publications collectives

3.1. LUKAC (María Liliana) (éd.), Perspectivas latinoamericanas sobre Hobbes, Buenos Aires, Educa, 2008, 272 p.

Cet ouvrage a pour origine un séminaire de philosophie politique animé par María Lukac de Stier, professeur à l’Université Catholique d’Argentine (UCA), fidèle contributrice du « Bulletin Hobbes » depuis des années et présidente de l’Association des Études Hobbesiennes d’Argentine. Consacré à l’œuvre de Hobbes, ce séminaire a rassemblé depuis plusieurs années de nombreux chercheurs d’Argentine, du Brésil, du Venezuela et du Chili, témoignant par là de la vitalité de la recherche hobbesienne en Amérique Latine. Quatorze contributions en espagnol, une en portugais et deux en anglais se trouvent ainsi rassemblées autour d’une triple perspective – historique, philosophique et politique – permettant d’appréhender le génie de Hobbes, mais aussi – comme le souligne Enrique Aguilar dans le Prologue (p. 11) – sa modernité. L’introduction offre un utile status quaestionis sur les recherches hobbesiennes : María Lukac y retrace avec finesse les diverses « perspectives » sur la pensée de Hobbes de Cromwell jusqu’à aujourd’hui (« Diversas perspectivas sobre el pensamiento hobbesiano », p. 15-37) et parvient de manière remarquable à remettre de l’ordre, de manière diachronique, dans la pluralité et la diversité de ces lectures. Elle relève que l’un des défauts majeurs de la plupart d’entre elles réside dans le fait de ne s’être souvent attachées qu’à un seul aspect de la pensée de Hobbes (p. 24), de n’être donc que des « interprétations fragmentaires […] prenant la partie pour le tout » (p. 31) alors qu’il faudrait, au contraire, « analyser le sens de Hobbes à la lumière de son œuvre » (p. 31) et restaurer, comme le fait par exemple David Johnston, l’unité de la métaphysique, de la théologie et de la politique dans le système hobbesien. La première partie (« Perspectives historiques ») porte sur la relation entre pouvoir et consentement (Margarita Costa, « Consento y poder en el Leviathan de Hobbes », p. 41-48). Elle revient – comme Andrés Di Leo Razuk (p. 49-60) et Andrés Jiménez Colodredo (« Hobbes y Tácito : balance y conclusiones », p. 71-93) – sur la question de l’ « authenticité » des discours anonymes connus sous le titre d’Horae Subsecivae et sur les intérêts théoriques supposés du « jeune Hobbes ». José Luis Galimidi s’interroge sur la présence d’un « germe de philosophie de l’histoire » (p. 61) dans l’herméneutique biblique de Hobbes (« Hobbes y el profetismo bíblico », p. 61-69). Eunice Ostrensky (« O sábio e o soldado. Thomas Hobbes e seu discípulo », p. 95-116) s’intéresse à la réception des Elements of Law et du De Cive par un contemporain de Hobbes, Dugley Digges (1613-1643), et quelques-uns de ses successeurs durant la décennie 1640. María Cristina Spadaro examine les points de convergence et de divergence entre Hobbes et les utopistes anglais du XVIIe siècle (« Thomas Hobbes : por qué no un utopista », p. 109-116). Jorge Alfonso Vargas clôt la première partie par un retour sur la réception de l’œuvre de Hobbes au Chili et sur son importance comme paradigme de la modernité (p. 117-130). La deuxième partie (« Perspectives philosophiques ») s’ouvre avec un texte du Finlandais Timo Airaksinen – seul auteur non latino-américain participant au volume – s’interrogeant sur le concept de « confiance » (trust) et sur ses implications à la fois politiques et morales (« Hobbes on trust », p. 133-145). Le texte suivant questionne le rôle joué par l’imagination dans l’anthropologie hobbesienne (« Imaginación, anthropología y política en el I », p. 147-157). Carlo Balzi revient sur le moment où commencerait la division entre « scientifiques » et « philosophes », notamment lors de la « controverse du vide » en 1641 qui opposa Hobbes aux membres de la Royal Society (« Hobbes y un extraño consenso filosófico », p. 159-171). Dans sa seconde contribution au volume, María Lukac met en évidence la rupture sémantique qu’accomplit Hobbes par rapport à la philosophie aristotélicienne et scolastique, notamment autour des termes de « natura », d’ « ars » et de « ratio » (« Ruptura con la filosofía clásica y giro semántico », p. 173-184). Andrés Rosler se concentre sur la critique du naturalisme politique au chapitre XVII du Léviathan (« Naturalismo y conflicto político en Hobbes », p. 185-194). Luciano Venezia offre enfin une intéressante discussion sur les restrictions imposées à la rationalité hobbesienne par les obligations morales (« El contractualismo de Thomas Hobbes : obligación moral y razones para actuar », p. 195-209). La troisième et dernière partie (« Perspectives politiques ») comprend quatre contributions : celle de Martín D’Ascenzo présente la conception hobbesienne du conseil et de la délibération (« Consejo y deliberación en la teoría de la institución del estado de Thomas Hobbes », p. 213-223). Jorge E. Dotti analyse l’évolution de l’interprétation que fait Carl Schmitt de l’œuvre de Hobbes de 1920 à 1960 (« Breves consideraciones sobre Schmitt, lector de Hobbes », p. 225-239). Javier Flax réfléchit de manière critique sur les us et abus de ce qu’il nomme la « matrice hobbesienne » dans la culture occidentale : à savoir une certaine conception anthropologique de l’homo œconomicus et un modèle basé sur la « compétition » des uns contre les autres instituant un « paradigme économique de la politique » (p. 241-262). Enfin, Renato Janine Ribeiro souligne avec justesse la pertinence intemporelle de certains concepts hobbesiens, notamment celui d’ « état de nature », au regard des problèmes contemporains tels que ceux du crime organisé et de la guerre civile (« Civil war and state of war in Hobbes », p. 263-269).

Delphine Thivet

4. Sources. Contexte historique et doctrinal

4.1. BURGESS (Glenn), « Royalism and Liberty of Conscience in the English Revolution », in MORROW John et SCOTT Jonathan (dir.), Liberty, Authority, Formality : Political Ideas and Culture, 1600-1900 : Essays in Honour of Colin Davis, Exeter, Imprint Academic, 2008, p. 9-28.

4.2. BUTLER (Todd), Imagination and Politics in Seventeenth-Century England, Aldershot, Ashgate, 2008, x, 200 p.

4.3. HORN (Anette), « Zeit gibt es überhaupt nicht – “Zeit ist das Phantasma des Früher und Später in der Bewegung” (Hobbes) : zum Zeitbegriff des englischen Empirismus », in Anette HORN, « Eine neue Vorstellungswelt herzustellen… : Aufsätze zu Jean Paul », Oberhausen, Athena, 2008, p. 99-102.

4.4. IORIO (Mario), « Thomas Hobbes – der Aristoteliker : Überlegungen zu seiner politischen Philosophie », Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie, 94, n° 3, 2008, p. 295-310.

4.5. KAUFFMANN (Clemens), « England im 17. Jahrhundert : Thomas Hobbes », in Christoph HORN (dir.), Politischer Aristotelismus, Stuttgart, Metzler, 2008, p. 252-275.

4.6. MALCOLM (Noel), « The Making of the Ornaments : Further Thoughts on the Printing of the Third Edition of Leviathan », Hobbes Studies, 21, 2008, p. 3-37.

4.7. MALCOLM (Noel), TOLONEN (Mikko), « The Correspondence of Thomas Hobbes : Some New Items », Historical Journal, 51, n°2, 2008, p. 481-495.

4.8. NYQUIST (Mary), « Contemporary Ancestors of de Bry, Hobbes, and Milton », University of Toronto Quarterly. A Canadian Journal of the Humanities (UTQ), 77, n°3, été 2008, p. 837-875.

4.9. PARKIN (John), Taming the Leviathan : The Reception of the Political and Religious Ideas of Thomas Hobbes in England 1640-1700, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, xi + 449 p.

4.10. SORGI (Giuseppi), « Thomas Hobbes – A Page in the History of Sport Philosophy. A Race as a Metaphor », Hobbes Studies, 21, 2008, p. 84-91.

5. Études générales du système

5.1. EGGERS (Daniel), Die Naturzustandstheorie des Thomas Hobbes : eine vergleichende Analyse von « The Elements of Law », « De Cive » und den englischen und lateinischen Fassungen des « Leviathan », Berlin, De Gruyter, 2008, xvii + 600 p.

5.2. FISICHELLA (Domenico), Alla ricerca della sovranità. Sicurezza e libertà in Thomas Hobbes, Rome, Carocci, 2008, 1144 p.

5.3. GINZBURG (Carlo), Paura reverenza terrore. Rileggere Hobbes oggi, Università degli Studi di Parma, Facoltà di Architectura, 2008, 55 p.

Chez Hobbes, Carlo Ginzburg reconnaît « la première, fulgurante apparition » de l’idée de crainte – à savoir de la notion centrale de sa philosophie politique – précisément dans un passage de la traduction de Thucydide (chapitre 53 du livre II sur les effets de la peste à Athènes), où Hobbes traduit le verbe grec « apeirgein » (« refréner ») par le verbe anglais « to awe » (« intimider, remplir de crainte ») – « Neither the fear of the gods, nor laws of men awed any man ». L’auteur reconnaît la source éventuelle de cette expression (awe) dans un livre du pasteur anglican Samuel Purchas (1525 ?-1626) (connu par Hobbes). Il avait utilisé cette expression dans le cadre d’une polémique contre la conception instrumentale de la religion évoquée par Montaigne. Dans le Léviathan notamment, Hobbes associe l’origine de la religion à la crainte et à l’intimidation (awe), et utilise le même modèle – la crainte comme cause et l’intimidation comme effet – pour décrire l’origine de l’État. Ainsi, selon la thèse de Carlo Ginzburg, le pouvoir de l’État hobbesien ne réside pas seulement dans la force : il réside aussi dans la capacité d’engendrer de l’intimidation dans le sens du mot anglais « awe », sentiment identique à celui exprimé dans la yir‘ah de la Bible hébraïque : ce terme correspond à la vénération (du latin vereri, « avoir peur ») et renvoie à la véritable terreur – c’est-à-dire à une « terreur sacrée » à caractère religieux représentée notamment sur le frontispice de la première édition du Léviathan. L’auteur y voit une manière de considérer à nouveau frais le caractère « sécularisé » de la philosophie politique de Hobbes, cette dernière étant en réalité enracinée selon lui dans une théologie politique : « l’État, le “Dieu mortel” engendré par la peur, fait naître la terreur : un sentiment dans lequel se mêlent de manière inextricable la peur et l’intimidation. Pour se présenter comme autorité légitime, l’État a besoin des instruments (des armes) de la religion. C’est pourquoi la réflexion moderne sur l’État se fonde sur la théologie politique : une tradition inaugurée par Hobbes » (p. 39). Cette lecture du philosophe anglais reflète les conclusions de l’auteur sur les thèmes de l’actualité politique internationale (Carlo Ginzburg évoque en effet le terrorisme contemporain et les opérations militaires qui s’ensuivent comme un « Shock and Awe »).

Andrea Napoli (trad. D. Lapenna)

5.4. NEWEY (Glen), The Routledge Philosophy Guidebook to Hobbes and Leviathan, Abingdon, Routledge, 2008, vii + 228 p.

5.5. PETTIT (Philip), Made with Words : Hobbes on Language, Mind and Politics, Princeton, Princeton University Press, 2008, 183 p.

Philip Pettit est doté de qualités d’analyse que tout philosophe pourrait envier. Son nouveau livre applique ces qualités à la pensée de Thomas Hobbes d’une manière remarquable. Pettit s’intéresse à la thèse hobbesienne selon laquelle le langage est une invention humaine née de la curiosité humaine, invention dont les conséquences incluent la transformation de l’esprit humain et de la condition humaine : car sans discours, aucune vie civilisée entre des hommes n’aurait été possible, pas plus qu’elle ne l’est – comme Hobbes l’a observé – parmi les lions, les ours ou les loups. La paix, la société, les conventions et les républiques – toutes ont été « fabriquées à partir des mots ». La plus grande part du livre de Pettit est consacrée à l’exploration des implications de cette thèse. Elle éclaire en particulier la conception matérielle de l’esprit de Hobbes et les voies par lesquelles l’invention des mots a permis le surgissement d’une pensée ordonnée et classificatrice chez l’homme. De même, elle est attentive aux pertes qui accompagnent ces gains – notamment l’anxiété existentielle qui découle du fait d’être capable de diriger ses pensées vers l’avenir et de les classer comme des hasards potentiels dans ses perspectives futures. Les chapitres conclusifs examinent le remède proposé par Hobbes à cette condition malheureuse – « une république des mots ordonnés » rendue possible par « la puissance du contrat et de l’incorporation que les mots introduisent » (p. 115) ; puissance qui procède de l’ « état de nature second, mis en mots » dans lequel les individus contractent les uns avec les autres pour engendrer une république. L’examen est méticuleux et méthodique et beaucoup d’obscurités apparentes de la position hobbesienne se dissolvent sous l’effet de la lumière froide et pure dans laquelle il est conduit. On regrettera donc d’autant plus que Pettit omette nombre de sujets : notamment les perspectives de Hobbes sur la religion et, plus généralement, l’effet des mots sur la croyance. Ces perspectives sont délibérément écartées comme des questions « mystérieuses » ne faisant l’objet d’aucun réel intérêt philosophique (p. 5), tout comme ses perspectives sur l’imagination qui n’occupent que deux ou trois lignes (p. 14). La manière dont Hobbes conçoit la causalité se trouve elle aussi tenue à l’écart dans une brève annexe du chapitre premier et nous n’en entendons plus parler dans les pages qui suivent (p. 22-23). Bien sûr, toute attention est par nature sélective : personne ne peut tout prendre en considération, mais il demeure difficile de comprendre pourquoi ce sont ces sujets en particulier qui disparaissent de la réflexion de Pettit. Car tous trois sont inextricablement liés à la compréhension qu’a Hobbes du langage, de l’esprit et de la politique : la religion naît avec le langage, à partir de la curiosité humaine ; l’imagination, mise en mots, est ce que Hobbes appelle la « compréhension » (understanding) ; et la causalité ne mérite pas d’être mise de côté si, comme Hobbes le suggère, les mots sont les causes efficaces de l’action (étant des causes formelles, ou des essences, erronées). « Fabriquées à partir des mots » certes. On espère que Pettit ouvrira sa réflexion à ces thématiques à l’occasion d’une seconde édition.

Tim Stanton (trad. D. Thivet)

6. Études particulières du système

6.1 PHILOSOPHIE PREMIERE, LOGIQUE, LANGAGE ET SCIENCE

6.1.1. BAUMGOLD (Deborah), « The Difficulties of Hobbes Interpretation », Political Theory, 36, n°6, 2008, p. 827-855.

6.1.2. BERENSMEYER (Ingo), « Thomas Hobbes und die Macht der inneren Bilder », in Ingo BERENSMEYER (dir.), Mystik und Medien : Erfahrung – Bild – Theorie, Munich, Fink, 2008, p. 87-110.

6.1.3. DECKARD (Michael F.), « A Sudden Surprise of the Soul : the Passion of Wonder in Hobbes and Descartes », The Heythrop Journal, 49, n°6, 2008, p. 948-963.

6.2 ÉTHIQUE ET POLITIQUE. RELIGION ET HISTOIRE

6.2.1. ASTORGA (Omar), « El laberinto de la guerra : tres derivas hobbesianas », Revista de Filosofía, nº 59, 2, 2008, p. 43-57.

Le philosophe vénézuélien présente dans cet article l’influence exercée par la pensée hobbesienne, à travers le concept de guerre, sur des doctrines politiques distinctes, voire même antagonistes, telles que le libéralisme juridique de Kant, le décisionnisme de Carl Schmitt et le néomarxisme d’Antonio Negri. Concernant Kant – qui a explicitement écrit contre Hobbes –, Astorga suggère que le philosophe allemand a utilisé deux perspectives clairement différenciées à partir desquelles il en est arrivé à la politique. L’une utilise les exigences critiques appliquées au domaine de la rationalité pratique. L’idée de l’État y apparaît comme une conséquence immanente de l’idée de droit qui a prédominé tout au long de son œuvre et dont l’expression exacte se trouve dans la Métaphysique des mœurs. L’autre a recours de manière très hobbesienne à l’histoire appréhendée du point de vue des tendances égoïstes et concurrentielles caractérisant la nature humaine. Cette deuxième perspective ne s’épuise pas dans les textes dédiés à la philosophie de l’histoire mais elle réapparaît aussi dans ses réflexions sur la paix. Astorga affirme que de même que, dans sa philosophie de l’histoire, Kant se sert de l’idée de guerre pour expliquer l’origine du progrès, dans sa philosophie politique, il utilise la guerre afin d’expliquer l’origine de la paix sur le plan international. Dans le cas de Schmitt, l’influence de la pensée hobbesienne est évidente. Schmitt reprend de manière explicite l’anthropologie hobbesienne centrée sur la crainte de la mort et la guerre comme principe de justification du politique. Le concept d’État – selon Schmitt – présuppose le concept de politique ; or ce concept présuppose, à son tour, l’idée de guerre et la reconnaissance de l’ennemi. En comparant l’importance de l’idée de guerre dans la pensée de Kant et dans celle de Schmitt, Astorga soutient que Kant croit aux possibilités juridiques de la paix, alors que Schmitt mésestime la force constitutive du juridique et admet explicitement que la guerre est la base des relations politiques à l’échelle globale. Enfin, Astorga présente l’interprétation du néomarxiste italien Antonio Negri en montrant l’importance de l’ « état de guerre » dans son livre consacré à la « multitude ». Negri y considère l’ « état de guerre » non comme une condition permettant à l’État de justifier une nation, mais comme une situation globale, prolongée et presque indéfinie. Pour Negri, la politique s’exprime comme guerre, à tel point que chez lui l’état de « guerre perpétuelle » se substitue à l’espérance kantienne de la paix perpétuelle. Dans la Préface de son livre, Negri se distancie de Hobbes. Alors que le philosophe anglais, au début de la modernité, part des classes sociales naissantes pour arriver à la forme moderne de la souveraineté, le mouvement inédit mis en lumière par Negri, né à l’aube du postmodernisme, s’inverse puisqu’il part des nouvelles formes de souveraineté vers une société globale. En d’autres termes, Hobbes légitime théoriquement l’État-nation, alors que Negri défend le passage de l’État impérial à la multitude. Astorga conclut que la raison pour laquelle des penseurs, si éloignés sur le plan théorique, se rencontrent autour de la doctrine hobbesienne réside dans l’existence d’une base anthropologique commune ayant pour centre la catégorie de pouvoir.

María Lukac de Stier (trad. D. Thivet)

6.2.2. BARNOUW (Jeffrey), « Reason as Reckoning : Hobbes’s Natural Law as Right Reason », Hobbes Studies, 21, 2008, p. 38-62.

6.2.3. BOHORQUEZ (Jose Tovar), « Leyes de naturaleza y cumplimiento del pacto en Hobbes », Praxis Filosofica, 27, 2008, p. 89-101.

6.2.4. BOOTLE ATTIE (Katherine), « Re-membering the Body Politic : Hobbes and the Construction of Civic Immortality », English Literary History, 75, n°3, 2008, p. 497-530.

6.2.5. BRANDA CORINA (Ines), « Razon natural y racionalidad politica en el Leviatan de Thomas Hobbes », Res Publica. Revista de filosofia politica, 20, n°11, 2008, p. 67-94.

6.2.6. BRANDT (Reinhard), « Der Leviathan und das liberale Commonwealth. Staatsrecht und Strafrecht bei Hobbes und Locke », Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 56, n° 2, 2008, p. 205-220.

6.2.7. BÜRGIN (Ariane), Endliches Subjekt : Gleichheit und der Ort der Differenz bei Hobbes und Rousseau, Munich, Fink, 2008, 188 p.

6.2.8. CIHAN (Mustafa), « Machiavelli Hobbes’da Insan Dogasi Sorunu », Kaygi. Uludag Üniversitesi Fen Edebiyat Fakültesi Felsefe Dergisi, 11, fin 2008, p. 165-179 [article en turc].

6.2.9. CROMARTIE (Alan), « The God of Thomas Hobbes », Historical Journal, 51, n°4, 2008, p. 857-879.

6.2.10. DUNGEY (Nicholas), « Thomas Hobbes’s Materialism, Language, and the Possibility of Politics », Review of Politics, 70, 2008, p. 190-220.

6.2.11. FRATESCHI (Yara), A física da política. Hobbes contra Aristóteles, Campinas, Editora da UNICAMP, 2008, 172 p.

Ce livre reproduit, avec des différences mineures, une thèse doctorale soutenue à l’Université de São Paulo (Brésil) en 2003. Son point de départ est la critique par Hobbes de la thèse aristotélicienne de la nature politique de l’homme. Après une introduction synthétique, le livre se divise en trois chapitres suivis de brèves considérations finales. L’auteur cherche à montrer que la théorie politique hobbesienne se construit à partir de la substitution du principe aristotélicien de l’ « animal politique » par celui qu’elle nomme le « principe de l’intérêt propre » (beneficio proprio). Pour ce faire, elle s’appuie sur les affirmations de Hobbes à propos de l’élan naturel des hommes orienté non pas vers la vie en communauté mais vers la préservation de soi et la satisfaction de son intérêt. Ainsi, dans le premier chapitre, intitulé « Fondement de la vie politique » (p. 17-46), elle analyse la critique que fait Hobbes, à partir du De Cive, du principe aristotélicien du « zoon politikon ». Selon Hobbes, l’affirmation selon laquelle l’homme est un animal politique est fausse parce qu’elle découle d’un examen superficiel et erroné de la nature humaine. Pour le démontrer, il s’agit de prouver que les hommes cherchent la compagnie des autres non pour eux-mêmes mais parce qu’ils reçoivent de ceux-ci honneur ou avantage. Frateschi souligne l’opposition entre nature et hasard sur laquelle l’argument hobbesien est construit. Ce qui est par nature ne fait l’objet d’aucun choix et ne dépend point des circonstances : en résumé, il ne peut en être autrement. Au contraire, l’association politique est pour Hobbes l’objet d’un choix, elle dépend des circonstances : ce choix, en plus d’être un moyen de satisfaire le désir premier de l’homme qui est de satisfaire son intérêt, fait apparaître clairement le caractère non naturel de l’association politique. Pour l’auteur, la substitution au principe de « zoon politikon » du« principe de l’intérêt propre » dans le champ éthique et politique s’accompagne de la substitution d’une conception téléologique de la nature par une autre conception mécanique niant l’existence de la cause finale. Frateschi conclut justement que cette nouvelle conception de la nature permet de comprendre pourquoi, dans le système hobbesien, la nature n’associe pas les hommes et pourquoi le consentement ne peut être obtenu que de manière artificielle. Cette thématique se trouve abordée dans le chapitre II intitulé « Nature et Nature humaine » (p. 47-91), subdivisé en quatre parties (« Sur les parties de la philosophie et la méthode », « Théorie du mouvement », « Les facultés cognitives et les passions humaines », « Bien et mal »). Dans le troisième chapitre « Une raison calculatrice » (p. 93-148), l’auteur examine la critique hobbesienne de la notion traditionnelle de raison. La négation de l’existence de recta ratio montre qu’il n’existe point de commune mesure naturelle du vrai et du faux, ou du bon et du mauvais : c’est pourquoi ces notions ne peuvent être stipulées que de manière artificielle par la raison d’un juge ou d’un arbitre. Celui-ci diffère des parties en conflit non en ce qu’il possèderait une raison infaillible, mais parce qu’il est le détenteur d’une autorité et parce que sa sentence vaut pour tous ceux qui ont préalablement consenti à l’honorer. D’autre part, la raison calculatrice perçoit que le droit illimité sur toutes choses ne garantit au final aucun droit : par conséquent il convient de restreindre ce droit illimité afin de pouvoir jouir de facto d’un droit quelconque. Ce raisonnement conclut à la nécessité d’instituer un pouvoir commun capable de rendre l’accord stable et durable. Le moyen en est le pacte par lequel l’État surgit comme une souveraineté absolue, une solution unique pour établir la paix et la sécurité, moyens les plus efficaces de garantir la préservation de soi, le désir premier et naturel de tout homme. À la fin du livre, Frateschi analyse la tension entre le droit illimité du souverain et le droit de résistance du sujet : à ses yeux, il ne s’agit pas d’une contradiction interne de la théorie hobbesienne. Analysant les divers courants juridiques et politiques, l’auteur se refuse à classer la doctrine de Hobbes parmi les jusnaturalistes ou les positivistes, d’une part, parmi les libéraux ou les partisans du despotisme, d’autre part. Pour Frateschi toute tentative d’étiqueter cette philosophie entraîne une simplification excessive de la pensée hobbesienne (p. 152). En guise de conclusion, on reconnaîtra dans cette interprétation de nombreuses réussites, bien qu’elle mériterait, sur certains points, d’être plus approfondie. Le sujet abordé ayant déjà été amplement traité par de multiples commentateurs, un état de la question aurait enfin semblé le bienvenu.

María Lukac de Stier (trad. D. Thivet)

6.2.12. HAMMAR (Bjorn), « Metonimias del Estado soberano », Utopia y Praxis Latinoamericana. Revista Internacional de Filosofia Iberoamericana y teoria Social, 13, n°43, 2008, p. 33-48.

6.2.13. HAYES (Peter), « Pirates, Privateers and the Contract Theories of Hobbes and Locke », History of Political Thought, 29, n°3, 2008, p. 461-484.

6.2.14. KOTTMAN (Paul A.), A Politics of the Scene, Stanford, CA, Stanford UP, 2008, viii + 260 p. Voir en particulier la partie I (« Political Theory and the Expropriation of the Scene. From Theater to Theory » ; « Hobbes ; or, Politics without a Scene » ; « The Image of the Leviathan : Figural Unity at the Limits of Representation »).

6.2.15. LAMONT (William), « Authority and Liberty : Hobbes and the Sects », in MORROW John et SCOTT Jonathan (dir.), Liberty, Authority, Formality : Political Ideas and Culture, 1600-1900 : Essays in Honour of Colin Davis, 2008, p. 29-44.

6.2.16. MARTINICH (A. P.), VAUGHAN (Sharon), WILLIAMS (David Lay), « Hobbes’s Religion and Political Philosophy : A Reply to Greg Forster », History of Political Thought, 29, n°1, 2008, p. 49-64.

6.2.17. MITCHELL (Joshua), « Religion and the Fable of Liberalism : The Case of Hobbes », Theoria. A Journal of Social and Political Theoria, 115, avril 2008, p. 1-16.

6.2.18. MUNIER (Paul), « Entre crainte et consentement. Le rapport du citoyen au souverain chez Hobbes », Tracés, n°14, 2008, p. 77-101.

6.2.19. PATAPAN (Haig), SIKKENGA (Jeffrey), « Love and the Leviathan : Thomas Hobbes’s Critique of Platonic Eros », Political Theory, 36, n°6, 2008, p. 803-826.

6.2.20. REINERS (Derek), « Biological Correctness : Thomas Hobbes’ Natural Ethics », Hobbes Studies, 21, 2008, p. 63-83.

6.2.21. SKINNER (Quentin), Freiheit und Pflicht : Thomas Hobbes’ politische Theorie, traduit de l’anglais par Karin Wördemann, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2008, 142 p.

La remarquable étude, riche et concise, de la théorie politique de Hobbes que nous propose Quentin Skinner s’appuie sur les cours (Adorno-Vorlesungen) qu’il a donnés à Francfort en 2005. Il s’y concentre sur l’évolution du concept de liberté et sur ses changements de forme, depuis le De cive jusqu’au Béhémoth. Il se limite certes à la théorie politique mais, en même temps, il la replace avec beaucoup d’érudition dans le contexte historique dont il brosse des tableaux brefs et vivants, tout en proposant des réflexions qui dépassent largement ce cadre, et qui font de ce petit opuscule à la fois une introduction réussie à l’œuvre de Hobbes et une étude ouvrant de nouvelles pistes pour les chercheurs, dirigée en particulier contre une interprétation des écrits du philosophe encline à le réduire à n’être qu’un théoricien du pouvoir souverain à l’argumentation pragmatique. Quentin Skinner commente tout d’abord la soif de paix inhérente à l’être humain, en partant de la « thèse fondamentale » selon laquelle la raison nous pousserait à rechercher cet état, parce qu’il nous promet les plus grands « bienfaits ». Il y a pourtant là des difficultés foncières qu’il n’est pas aisé de surmonter : « Le problème auquel nous sommes confrontés est que la paix est pour nous un besoin élémentaire, la guerre en revanche notre destin naturel » (p. 35 sq.). L’anthropologie philosophique aux contours résolument négatifs, ou pessimiste-réaliste, choisie par Hobbes, a pour centre « l’hostilité », qui semble ancrée dans la nature humaine – volonté de domination et de s’imposer, désir et jouissance du pouvoir, autant de facteurs qui s’opposent à la paix – parce qu’ils évoquent la pulsion indomptée, une obstination à agir, présentes au cœur de la « liberté naturelle », et les « luttes de concurrence » (p. 36). Aussi est-il nécessaire de limiter la « liberté naturelle » et le libre usage que l’on peut en faire, mais ceci aussi pour des raisons pragmatiques : « Bien que dans l’état de nature, nous ayons le droit de faire tout ce que nous voulons, nous sommes loin de posséder la force qui nous rendrait capables d’user de manière importante de cette liberté naturelle » (p. 37). L’ « accord contractuel » au prix du renoncement au droit naturel amène Hobbes à considérer que l’homme s’assujettit parce qu’il renonce à des droits élémentaires, s’approchant ainsi d’un état ressemblant beaucoup à celui de l’esclave. Au bout du compte, il parvient à cet état qui le contente – vivre en paix – et il obtient « la jouissance des biens de consommation qu’offre la vie » (p. 43). Que reste-t-il de liberté ? La réponse de Skinner est la suivante : « Les libertés qui nous restent reflètent simplement le fait que le hasard a voulu qu’aucune loi n’ait été faite pour en empêcher l’exercice. Cependant, le souverain est toujours libre de promulguer de telles lois, contre lesquelles il ne saurait y avoir d’objections » (p. 44). Hobbes met très longtemps à définir la liberté explicitement ; en revanche, il ne cesse de faire remarquer que nous la perdons dès que nous sommes empêchés de nous comporter conformément à notre volonté. C’est dans le De Cive qu’il formulera enfin une détermination au bout du compte négative : « La liberté (pour la définir) n’est rien d’autre que l’absence de tout ce qui entrave le mouvement ». Pour Skinner, dans le De Cive, Hobbes « insiste sur le fait que les sujets des souverains absolus n’ont pas moins de légitimité à se considérer comme détenteurs d’une libertas civilis que les hommes qui vivent en démocratie. C’est pourquoi il peut – tout comme ses opposants – présenter son argumentation comme une théorie de la citoyenneté, mais il peut en outre intituler son livre De Cive, du citoyen » (p. 80). Skinner discute également la problématique de la liberté telle qu’elle est exposée dans le Léviathan et dans le Béhémoth. Il qualifie d’ « un aplomb stupéfiant » l’affirmation selon laquelle serait libre quiconque « ne serait pas empêché physiquement de mobiliser ses forces selon son bon vouloir » (p. 97). La soumission à la domination d’autrui en revanche ne serait pas une perte de liberté, du moins pas lorsque l’on peut « agir selon sa volonté propre et selon ses forces propres, sans rencontrer la résistance d’obstacles extérieurs » (p. 101), ce qui n’entre pas forcément en contradiction avec l’existence d’un système de domination tel que le présente le Léviathan. « Si la conservation de notre vie ou de notre santé est en jeu, l’obstacle arbitraire constitué par notre crainte des conséquences induites par une transgression de la loi ne suffira pas à déterminer notre volonté ; ainsi notre liberté naturelle s’avère-t-elle intacte » (p. 103). Être en accord avec le pouvoir souverain signifie, tout comme ce fut le cas dans l’état de nature antérieur, avoir la conscience de sa liberté. Plus tard, dans le Béhémoth, Hobbes exigera l’allégeance au « Parlement croupion » dominé par Oliver Cromwell ; il mérite une « obéissance scrupuleuse », et pas seulement pour des raisons pragmatiques ou tactiques. « La raison en est que ceux qui ont accepté sa protection et qui en retour en reçoivent la vie et la liberté physique, ont de toute évidence manifestement accepté d’être ses sujets. Ceci signifie donc – et encore une fois, pour des raisons qui ne sont pas seulement pragmatiques – qu’ils ont le devoir, qu’il s’agit de remplir scrupuleusement, de se soumettre entièrement au nouveau gouvernement » (p. 131). Cette étude de Quentin Skinner, qui argumente avec intelligence, mérite de nombreux lecteurs avertis, tout en sachant s’adresser à ceux qui ne sont pas spécialement versés dans la philosophie de Hobbes. Ce petit livre engage à méditer et à interroger l’œuvre de Thomas Hobbes à nouveaux frais.

Thorsten Paprotny (trad. F. Wilmann)

6.2.22. SKINNER (Quentin), « Hobbes and Republican Liberty », Ethics, 119, 2008, p. 198-202.

6.2.23. SKINNER (Quentin), Hobbes and Republican Liberty, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, xxiii + 245 p.

Les historiens font leur propre histoire, mais ils ne la font pas entièrement à leur guise ; en particulier, ils ne la font pas dans des circonstances qu’ils auraient choisies, mais dans des circonstances existant avant eux, données et transmises à partir du passé. Ils intègrent ainsi à leur écriture de l’histoire leurs propres préoccupations, passions, préjugés et imagination, et tirent ainsi d’eux-mêmes des inférences à propos des actions passées et aussi une historiographie. Quentin Skinner fait de l’histoire depuis un certain temps déjà. Son dernier livre est une réponse aux circonstances actuelles et celui dans lequel ses préoccupations, ses passions et son imagination apparaissent de manière on ne peut plus évidente. Son objectif principal est de comparer deux théories rivales de la nature de la liberté humaine. La première, qui a pour origine l’Antiquité classique et qui a pris une importance considérable en Angleterre dans les décennies qui précédèrent l’éclatement de la guerre civile anglaise en 1642, suggère que la liberté n’est possible que sous une forme de gouvernement dans laquelle la soumission à la volonté arbitraire d’autrui est totalement absente, parce que sa simple présence réduirait les êtres humains à la condition d’esclave. La deuxième, celle des écrits de Thomas Hobbes, suggère que la liberté est possible sous n’importe quelle forme de gouvernement, parce qu’elle n’est rien d’autre que le fait de se mouvoir conformément à ses puissances naturelles sans rencontrer aucun obstacle – ce qui pourrait tout autant être possible dans une monarchie absolue que dans une république, à Constantinople ou à Lucques. L’attention de Skinner se concentre sur la théorie de Hobbes. Il cherche à montrer, d’abord, comment cette théorie a été développée en opposition consciente à la théorie républicaine à laquelle il la compare, puis, comment le désaccord entre Hobbes et les théoriciens républicains l’a conduit à raffiner de manière significative et à amplifier les aspects de sa théorie de la liberté dans les trois versions de sa théorie politique : les Elements of Law, le De Cive et le Léviathan. Skinner aborde la théorie politique de Hobbes non seulement comme un système d’idées en développement – qu’il analyse avec sa lucidité habituelle – mais aussi comme une intervention polémique dans les conflits idéologiques de son temps. Avec Hobbes, écrit-il, « une furieuse polémique » sous-tend toujours la « surface trompeusement lisse de l’argumentation » (p. xvi) ; il en est de même avec Skinner. Il y a au moins deux dimensions où ses arguments fonctionnent de manière polémique : la méthode et la politique. Concernant la première, Hobbes and Republican Liberty poursuit l’effort de Skinner pour persuader les historiens de prendre au sérieux deux perspectives perspicaces : celle de Weber d’une part, celle du dernier Wittgenstein d’autre part. Chez Weber, les acteurs politiques doivent être capables d’exposer leurs projets comme légitimes, et ce qui est considéré comme légitime dépend des concepts et des catégories selon lesquels ces acteurs agissent. Ici, comme dans beaucoup d’écrits récents de Skinner, le point essentiel repose sur des termes nietzschéens frappants : ces concepts et catégories sont compris comme des signes et des produits de la volonté, laquelle vise à imposer ses préférences à d’autres (en admirateur de Wodehouse, Skinner ne souhaite pas tenir compte du reproche de Jeeves à l’égard de Wooster selon lequel Nietzsche serait « fondamentalement fragile »). L’idée centrale de Wittgenstein consiste en ce que les mots sont des actions : ils ne sont pas à part ou au-dessus de la réalité, mais ils sont partiellement constitutifs de la réalité elle-même. Pris ensemble les arguments wébériens et wittgensteiniens suggèrent que les concepts et les catégories politiques font inévitablement partie d’un champ de bataille et qu’il n’existe nul lieu surplombant la bataille d’où on pourrait examiner les concepts et les catégories avec lesquels on se bat : s’engager dans l’argumentation politique, c’est entrer dans la bataille. Ce langage pourrait paraître trop théâtral, pourtant cela n’est pas qu’une question d’ornement ou de style. Skinner, pour qui les auteurs sont des acteurs politiques, les traite comme les personnages d’une pièce de théâtre idéologique, combattant pour imposer leur volonté à leurs adversaires et, plus largement, au monde social. De même que leurs actions et parfois leurs croyances résultent du contexte, c’est la situation qui détermine leurs rôles. Ces rôles sont joués devant des spectateurs, au Parlement, à la Cour ou ailleurs, et par leur interaction ils développent l’intrigue qui mène – dans ce cas « très important » (p. 212) – au dénouement. L’action se déroule étape par étape, avec un petit nombre d’acteurs seulement dans chaque scène parce que c’est leur interaction qui produit le développement jusqu’à ce que le rideau final tombe et que nous soyons invités à réfléchir sur la tragédie – si la pièce était telle – dont nous avons été les témoins. Pour Skinner, la pièce est tragique non seulement dans sa conception, mais aussi dans ses conséquences. L’époque inaugurée par Hobbes est celle dans laquelle nous avons été rendus complètement insensibles à tout ce qui menace notre liberté. Nous pensons et parlons de la liberté en ses termes – comme l’absence d’interférence – et aspirons seulement à être laissés seuls afin d’abir comme nous le voulons. Cela encourage une certaine passivité qui glisse facilement vers la servilité, une gratitude pitoyable envers le pouvoir qui nous laisse céder à nos besoins et à nos inclinations privées. D’où la deuxième dimension de la polémique de Skinner : comme des provocations conçues pour nous réveiller de notre passivité politique, pour opposer les lignes de conduite louées par les théoriciens républicains qu’il admire et pour nous éveiller à la possibilité, ici et maintenant, de dangers réels et urgents pour la liberté, à la possibilité de dépendance à la volonté arbitraire d’un État omni-incompétent. Lorsque Skinner conclut en écrivant que, bien que Hobbes « ait gagné la bataille […] il convient de se demander s’il a gagné la dispute (argument) » (p. 216), il rejoint lui-même la bataille.

Il n’est pas nécessaire de partager ses préoccupations ou ses passions pour reconnaître les vertus de ce livre élégant et érudit. Skinner intègre en effet dans son commentaire de la théorie politique de Hobbes un commentaire fin des stratégies pour la diffuser (un bonus qui passe curieusement inaperçu dans la préface). Mais il convient de remarquer comment ses préoccupations et passions façonnent tout à fait l’image de Hobbes et la signification qu’il développe. « Mon hypothèse directrice », écrit Skinner, « est que même les œuvres les plus abstraites de la théorie politique ne sont jamais au-dessus de la bataille : elles font partie de la bataille elle-même » (p. xvi). Nous avons vu pourquoi il en est ainsi ; mais beaucoup de ce que Hobbes lui-même a écrit tend à suggérer qu’il a pensé la bataille comme futile et que son intention était d’y mettre un terme une fois pour toutes, non pas d’y contribuer. Selon lui, ce qui est nécessaire pour la survie terrestre et le bien-être des êtres humains a été généré par l’ordre civil, qui a – à son tour – institué la souveraineté comprise comme un élément d’existence nécessaire pour nous tous. Il a nommé dès lors « paix » la condition dans laquelle toute pensée de la bataille est bannie. Parler, comme Skinner le fait, d’un Hobbes résistant aux auteurs républicains au nom de la paix (p. xv), fait courir le risque de ne la traiter que comme la cessation d’hostilités succédant à la victoire d’un des combattants. Mais la paix est davantage que cela et elle est différente de l’absence de combat. C’est seulement par la bataille que les deux peuvent être différenciées, et seulement en menant la guerre contre la propension à combattre – c’est-à-dire la volonté de dominer – existant dans la nature humaine elle-même que la paix telle que Hobbes la comprend peut se réaliser. Et si Hobbes a gagné une bataille contre les républicains, il n’est pas sûr qu’il ait gagné cette guerre.

Tim Stanton (trad. D. Thivet)

6.2.24. SREEDHAR (Susanne), « Defending the Hobbesian Right of Self-Defense », Political Theory, 36, n°6, 2008, p. 781-802.

6.2.25. STANTON (Timothy), « Hobbes and Locke on Natural Law and Jesus Christ », History of Political Thought, 29, n°1, 2008, p. 65-88.

6.2.26. STASI (Daniele), « Razionalità e forma politica nella teoria politico-giuridica di Hobbes », Idee, 23, n°67, 2008, p. 151-169.

Dans l’état civil hobbesien, la rationalité de l’action individuelle est établie par le souverain. L’ordre social est ainsi fondé sur une différence qualitative (un rapport d’asymétrie) entre l’action du souverain et celle du citoyen. La rationalité de l’action de l’individu est définie par l’action du souverain, mais la rationalité de l’action du souverain ne peut pas être déterminée sur la base de la distinction rationnel/non rationnel. Dans le cadre de cette interprétation « arbitraire » de l’action souveraine, l’auteur met en lumière le parallélisme entre la représentation de l’ordre présente chez Hobbes et celle qui est typiquement pré-moderne ; la première attribue au souverain le rôle que la deuxième attribue à Dieu : « La volonté divine est le fondement de ce qui est “bien” dans la sémantique théologico-traditionnelle, la volonté du souverain est le fondement de ce qui est “rationnel” dans la société civile hobbesienne. Tant le contenu de la souveraineté divine que celui de la volonté du souverain sont indéfinissables ou, si l’on veut utiliser une expression à caractère plus religieux, sont “imperceptibles” » (p. 164).

Andrea Napoli (trad. D. Lapenna)

6.2.27. STEINBERGER (Peter J.), « Hobbes, Rousseau, and the Modern Conception of the State », The Journal of Politics, 70, n°3, 2008, p. 595-611.

6.2.28. THIVET (Delphine), « Thomas Hobbes : A Philosopher of War or Peace ? », British Journal for the History of Philosophy, volume 16, n°4, novembre 2008, p. 701-721.

6.2.29. WEBER (Dominique), « Hobbes, l’inspiration enthousiaste et la vocation prophétique », Revue de Métaphysique et de Morale, 3, juillet-septembre 2008, p. 295-308.

6.2.30. WHIPPLE (John), « Hobbes on Miracles », Pacific Philosophical Quarterly, 89, n°1, 2008, p. 117-142

L’adoption de plus en plus répandue de la thèse dite de « Strauss » a freiné la recherche sur Thomas Hobbes en Amérique du Nord comme en Angleterre. Selon Leo Strauss, des figures intellectuelles telles que Hobbes – ayant vécu et écrit dans une ère de contrainte idéologique et même de danger – ont adopté une stratégie de dissimulation de leurs opinions véritables sur le plan religieux en reconnaissant et en vénérant de manière apparente les piétés traditionnelles des croyants, tout en fournissant à leurs lecteurs les plus intelligents des signes de leur insincérité et de leur dessein subversif. Les éléments religieux dans l’œuvre de Hobbes ont ainsi souvent été interprétés comme des éléments de non sincérité, conduisant plus d’un éditeur du Léviathan a simplement omettre les troisième et quatrième livres de l’œuvre, supposant que les lecteurs « modernes » n’y trouveraient aucun intérêt. La recrudescence récente de la ferveur religieuse au sein de nombreuses traditions fait donc sonner de manière plutôt creuse toutes les prétentions à promouvoir la « sécularité » moderne et le rejet des éléments religieux de l’œuvre de Hobbes convainc moins. L’article de Whipple témoigne d’une tendance inverse cherchant à comprendre un moment interprétatif de la pensée de Hobbes avant d’y découvrir le signe d’un athéisme secret. La discussion sur les miracles dans le chapitre XXXVII du Léviathan a souvent été vue comme problématique dans la mesure où l’on y trouve deux définitions, apparemment contradictoires. Les ambiguïtés de la discussion ont bien sûr mené au soupçon selon lequel Hobbes ne tiendrait pas compte de la possibilité d’un miracle afin de favoriser des explications naturalistes compatibles avec ses propres hypothèses scientifiques. Jusqu’à la fin de son article, Whipple tarde à révéler sa conscience d’une opinion protestante orthodoxe sur les miracles, peut-être pour créer un effet de style ; cela lui permet en effet de laisser ouverte la question de la sincérité de Hobbes (cf. Robert Bruce MULLIN, Miracles and the Modern Religious Imagination, New Haven, CN, Yale University Press, 1996, où Mullin cite Luther disant que toutes les affirmations de miracles survenus à son époque étaient le fait d’« un comportement stupide » du diable conçu pour « chasser les gens çà et là » [p. 13]). Les théologiens protestants ont insisté sur l’importance du texte biblique dans la vie chrétienne, la plupart d’entre eux étant d’accord avec l’affirmation de Calvin selon laquelle la confiance des croyants ne devrait reposer que sur les promesses de Dieu présentes dans le texte sacré de la Bible et non sur d’autres genres de signes et merveilles qu’ils pourraient affirmer avoir expérimenté personnellement ou qui auraient été attestés par leurs contemporains (sur la théologie de la promesse, Ronald F. THIEMANN, Revelation and Theology : The Gospel as Narrated Promise, Notre Dame, IN, University of Notre Dame Press, 1985). En fait, Hobbes partageait l’opinion orthodoxe des protestants de son temps : les miracles avaient été offerts par Dieu à l’Église à ses débuts et il avaient cessé avec la fin des apôtres (Keith THOMAS, Religion and the Decline of Magic : Studies in popular beliefs in sixteenth and seventeenth century England, New York, Oxford University Press, 1997). Les commentateurs contemporains de Hobbes révèlent, de manière assez fréquente, une pensée magique de la religion en découvrant un athéisme secret dans des positions qui n’indiquent en fait que le caractère éclairé de la connaissance religieuse de Hobbes. Le potentiel subversif latent de sa position disparaît alors et nous laisse face à une tâche d’analyse textuelle. Hobbes décrit d’abord le miracle dans le langage courant comme « une œuvre excellente de Dieu » qui « ne s’est jamais ou très rarement produite », de sorte que « quand il se produit, nous ne pouvons imaginer qu’il l’a été par des moyens naturels mais par la main immédiate de Dieu ». Après quelques distinctions et exemples précieux, Whipple s’intéresse à ce qu’il nomme la « définition officielle » du miracle par Hobbes : « une œuvre de Dieu (en plus de son opération par le cours de la nature, ordonné lors de la création) faite pour rendre manifeste à ses élus la mission d’un ministre extraordinaire en vue de leur salut ». Le ton d’admiration de la première définition a été abandonné dans la seconde. Whipple explique que la première définition consiste pour Hobbes à rendre compte des miracles tels qu’ils sont généralement compris, tandis que la deuxième reflète la signification du miracle dans une perspective chrétienne. Cela permet de laisser ouverte la question de savoir si les miracles doivent arriver de « la main immédiate de Dieu » et de souligner que leur définition doit inclure une référence à la mission de celui qui opère le miracle, à savoir, à la proclamation de l’Évangile. En ce qui concerne la première conclusion, Whipple note justement que nous devons distinguer la réaction de tout témoin face à un événement miraculeux de la question de savoir si l’événement résulte d’une suspension de la loi naturelle. Dieu peut avoir construit le monde depuis sa fondation de façon à parfois produire un phénomène jamais ou rarement expérimenté. Un tel événement serait alors cause d’étonnement et d’admiration pour les témoins sans représenter une suspension du cours habituel, ordonné, de la nature. Il s’agit d’une possibilité sur laquelle Whipple n’insiste pas, et seule une analyse historique mieux informée de ces questions pourrait placer Hobbes dans la perspective plus ample de la théologie chrétienne. Whipple ne mentionne pas non plus le fait que le terme « ordonné » employé par Hobbes fait écho à un débat soutenu à l’intérieur de la théologie chrétienne concernant la prescience divine des événements singuliers contingents. L’article de Whipple éclaircit cependant de nombreuses questions importantes concernant la compréhension qu’a Hobbes des miracles .

George Wright (trad. D. Thivet)

7. Réception et influence. Extrapolations

7.1. ALTINI (Carlo), « “Potentia” come “potestas”. Un’interpretazione della politica moderna tra Thomas Hobbes e Carl Schmitt », La cultura, 46, n°2, 2008, p. 307-328.

7.2. ANDERSON (Margaret), « Stoic Constructions of Virtue in « The Vicar of Wakefield » », Journal of the History of Ideas, 69, n°3, 2008, p. 419-439.

7.3. BOYD (Jonathan), « The Lion and the Ox : Oakeshott’s Engagement with Leo Strauss on Hobbes », History of Political Thought, 29, n°4, 2008, p. 690-716.

7.4. BUTTON (Mark), Contract, Culture, and Citizenship. Transformative Liberalism from Hobbes to Rawls, University Park, PA, Pennsylvania State University Press, 2008, 280 p.

7.5. CERVELATTI (Matteo), FORTUNATO (Piergiuseppe), Sunde (Uwe), « Hobbes to Rousseau. Inequality, institutions and development », The Economic Journal, 118, 531, 2008, p. 1354-84.

7.6. DEGRYSE (Annelies), « The Sovereign and the Social : Arendt’s Understanding of Hobbes », Ethical Perspectives : Journal of the European Ethics Network, 15, n°2, 2008, p. 239-258.

7.7. DIMOCK (Susan), « Why All Feminists Should Be Contractarians », Dialogue : Canadian Philosophical Review, 47, 2008, p. 273-290.

7.8. DOCKÈS (Pierre), Hobbes. Économie, terreur et politique, Paris, Éditions Économica, 2008, 282 p.

L’originalité de la pensée de Pierre Dockès réside dans son souci d’intégrer dans l’analyse économique contemporaine des phénomènes selon lui trop souvent négligés par cette dernière, à savoir, les phénomènes de pouvoir et d’autorité. C’est en ce sens qu’à la « main invisible » d’Adam Smith mettant essentiellement l’accent sur les mécanismes d’autorégulation à l’œuvre dans l’échange, il oppose le tableau antithétique de la « guerre de tous contre tous » de Thomas Hobbes, se faisant par-là même l’avocat d’« une autre économie politique, une économie plus hobbesienne que smithienne, prenant le pouvoir au sérieux » (p. 137). L’intérêt de P. Dockès s’est centré ces dernières années sur l’étude de l’œuvre du philosophe de Malmesbury, synthèse brillante à ses yeux entre la « pensée des contrats » et la « pensée du pouvoir » (p. 42). Il en résulte ce nouvel ouvrage, à la fois savant et didactique, consacré à la philosophie politique de Hobbes. Pierre Dockès y poursuit un double objectif : à la fois lire l’œuvre du philosophe anglais d’« un point de vue économico-politique » (p. 16) – c’est-à-dire en insistant tout particulièrement sur l’intérêt de la théorie du contrat pour la théorie économique aujourd’hui, voire sur sa modernité à de nombreux égards (p. 87, 91, 109, 168, 233) – et explorer une partie souvent négligée dans les études hobbesiennes classiques, à savoir des considérations économico-politiques avant la lettre offertes au chapitre XXIV du Léviathan en particulier (voir le chapitre VI – « L’économie de la République »). Les principaux points de la philosophie politique de Hobbes se trouvent ainsi directement reliés aux débats théoriques de l’économie contemporaine, en particulier ceux portant sur l’enforcement endogène des contrats et l’échec de la coordination décentralisée d’agents économiques poursuivant leur intérêt personnel : comment contraindre ces derniers à tenir leurs engagements et comment établir par suite une interaction véritablement coopérative entre tous ? Déduite de la célèbre hypothèse de la « guerre de tous contre tous » qui caractérise l’état de nature, la solution de Hobbes réside pour l’auteur dans l’émergence d’une « coalition autoritaire » (p. 95) essentiellement fondée sur « un élément de peur » (p. 163). C’est en ce sens que Pierre Dockès parle d’un « État de terreur » (p. 15) aux antipodes de la vision irénique et optimiste de la tradition libérale. L’institution du pouvoir étatique, « le plus grand des pouvoirs humains », apparaît en effet comme le seul moyen à même d’instaurer un « ordre contractuel » (p. 40), c’est-à-dire un ordre garantissant un système de droits de propriété et assurant aux sujets de la République la poursuite sereine de leur activité industrieuse (« industry » dans le vocabulaire hobbesien). L’auteur insiste en ce sens sur l’antériorité logique du lien politique sur le lien économique (p. 33). S’il reconnaît le fait que la théorie de Hobbes semble parfois annoncer des idées libérales, en particulier l’idée selon laquelle « une fois établies et garanties la propriété et la sûreté des échanges de droits de propriété par des conventions, l’État n’a plus à intervenir  » (p. 41 ; voir aussi p. 217), Pierre Dockès refuse toutefois de considérer le philosophe anglais comme l’un des précurseurs du « libéralisme économique » (p. 32), du « laisser-faire » (p. 39) ou encore de l’« économie de marché » (p. 40). Il insiste au contraire sur le « mercantilisme » des observations économiques présentes dans le Léviathan (p. 227 sq. ; 240). Il note en effet que, pour Hobbes, l’intervention de l’État dans la vie économique à titre de réglementation et de contrôle demeure requise et que seule l’accumulation de richesses fait selon lui la force de l’institution étatique. Le lecteur familier de l’œuvre de Hobbes appréciera en outre les éclairages qu’offre l’auteur sur l’analyse hobbesienne de la valeur et des prix, de la production, de la répartition et de la transformation des richesses en argent, ainsi que sur ses considérations liées à la circulation monétaire au sein de l’État, à la question de l’équité fiscale (p. 232-233) ou au commerce extérieur (p. 236). On saisit ainsi d’autant mieux grâce à ce livre la richesse de la théorie politique de Hobbes qui, non content d’avoir établi logiquement les conditions de la paix civile, s’est engagé à promouvoir en outre – certes de manière plus modeste – celles de la prospérité et de l’abondance matérielle des individus au sein de la société civile.

Delphine Thivet

7.9. DOYLE (Michael), CARSON (Geoffrey), « Silence of the Laws ? Conceptions of International Relations and International Law in Hobbes, Kant and Locke », Columbia Journal of Transnational Law, 46, n°3, 2008, p. 648-666.

7.10. DREITZEL (Horst), « Hobbes-Rezeptionen : zur politischen Philosophie der frühen Aufklärung in Deutschland », in Hans Erich BÖDEKER (dir.), Strukturen der deutschen Frühaufklärung 1680-1720, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2008, p. 263-307.

7.11. DRURY (Joseph), « Haywood’s Thinking Machines », Eighteenth-Century Fiction, 21, n°2, hiver 2008-2009, p. 201-228.

7.12. FARNETI (Roberto), « A Political Theology of the Empty Tomb : Christianity and the Return of the Sacred », Theoria. A Journal of Social and Political Theory, 116, août 2008, p. 22-44.

7.13. FELDMAN (Karen), « Binding Words : Conscience and Rhetoric in Hobbes, Hegel, and Heidegger », Review of Metaphysics, 62, 2008, p. 131-133.

7.14. FLEYFEL (Antoine), « Richard Simon, critique de la sacralité biblique », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 88, n°4, 2008, p. 469-492.

7.15. GOLDENBAUM (Ursula), « Indivisibilia vera : how Leibniz came to love mathematics », in Ursula GOLDENBAUM et Douglas JESSEPH (dir.), Infinitesimal differences : controversies between Leibniz and his contemporaries, Berlin, De Gruyter, 2008. p. 53-94.

7.16. GRUNDY (W. P.), « No Letters : Hobbes and 20th-Century Philosophy of Language », Philosophy of the Social Sciences, 38, n°4, p. 486-512.

7.17. HERB (Karlfriedrich), « Gesellschaft gestalten : Machtfragen. Vier philosophische Antworten ; Machiavelli, Hobbes, Arendt und Foucault », Die politische Meinung, 53, n° 459, 2008, p. 68-76.

7.18. HUTTON (Sarah), SCHUURMAN (Paul) (dir.), Studies on Locke : Sources, Contemporaries, and Legacy : in honour of G.A.J. Rogers, Dordrecht, Springer, 2008, xix + 289 p. Voir en particulier : Tom Sorell, « Hobbes, Locke and the State of Nature », p. 27-43 ; Stuart Brown, « The Sovereignty of the People », p. 45-57 ; Luc Foisneau, « Personal identity and human mortality : Hobbes, Locke, Leibniz », p. 89-105 ; Sarah Hutton, « Some Thoughts concerning Ralph Cudworth », p. 143-157.

7.19. LAMB (Jonathan), « Swift, Leviathan, and the Persons of Authors », in HUDSON Nicholas et SANTESSO Aaron (dir. et introd.), Swift’s Travels. Eighteenth-Century British Satire and Its Legacy, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 25-38.

7.20. LUCASSEN (Leo), « Between Hobbes and Locke. Gypsies and Limits of the Modernization Paradigm », Social History, 33, n°4, 2008, p. 423-441.

7.21. LUCKSCHEITER (Stefan), Seele und Fürst bei Leibniz : eine Studie zu Leibniz’ Metaphysik der Substanz und des Körpers und zu ihrer Bedeutung für die Geschichte der politischen Ideen zwischen Hobbes und Rousseau ; mit einem Anhang einiger bislang unveröffentlichter kleiner Texte von Leibniz, Berlin, Humboldt-Univ., Diss., 2008, 201, 17 p.

7.22. MCCLURE (Christopher), « Stopping to Smell the Roses : Rousseau and Mortality in the Modern World », Perspectives on Political Science, 37, n°2, 2008, p. 99-108.

7.23. MEHRING (Reinhard), « Thomas Hobbes im konfessionellen Bürgerkrieg : Carl Schmitts Hobbes-Bild und seine Wirkung im Kreis der alten Bundesrepublik », Leviathan, 36, n° 4, 2008, p. 518-542.

7.24. MENGAL (Paul), « La Fable de l’idée », in ARTIGAS-MENANT Geneviève (dir. et introd.), COUPRIE Alain (dir.), PINTO-MATHIEU Elizabeth (dir.), L’Idée et ses fables. Le rôle du genre, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 17-23.

7.25. MEYERS (Peter Alexander), STRUEVER (Nancy S.), « Esquisse sur la modernisation de la rhétorique comme enquête politique », Littérature, 149, 2008, p. 4-23.

7.26. MOORE (Keith), « A Grangerized Copy of Weld’s History of The Royal Society », Notes & Records of the Royal Society of London, 62, n°2, 2008, p. 245-250.

7.27. MUULSOW (Martin), « The Libertine’s Two Bodies : Moral ‘Persona’ and Free Thought in Early Modern Europe », Intellectual History Review, 18, n°3, 2008, p. 337-347.

7.28. MURI (Allison), « Enlightenment Cybernetics : Communications and Control in the Man-Machine », Eighteenth Century : Theory and Interpretation, 49, n°2, été 2008, p. 141-163.

7.29. PALLADINI (Fiammetta), « Pufendorf disciple of Hobbes : The nature of man and the state of nature. The doctrine of socialites », History of European Ideas, 34, n°1, 2008, p. 26-60.

7.30. PARRISH (Rick), « Violence Inevitable : The Play of Force and Respect in Derrida, Nietzsche, Hobbes and Berlin », International Philosophical Quarterly, 48, 2008, p. 555.

7.31. RIBEIRO RENATO (Janine), « Democracy versus Republic : Inclusion and Desire in Social Struggles », Diogenes, 55, n°4, 2008, p. 45-53.

7.32. ROGERS (Melvin L.), « Republican Confusion and Liberal Clarification », Philosophy and Social Criticism, 34, 2008, p. 799-824.

7.33. SMAW (Eric), « An Analysis of the Philosophy of Universal Human Rights : Hobbes, Locke, and Ignatieff », International Philosophical Quarterly, 48, n°1, 2008, p. 39-58.

7.34. SPADARO (Maria Cristina), « Aportes de la concepcion hobbesiana del sujeto a la reconstruccion de una etica », in DURAN-ANDRES HEBRARD Cecilia (dir.), Actas de las VI Jornadas de investigacion en filosofia para profesores, graduados y alumnos 2006, tome II, Buenos Aires, Ed. Al Margen, 2008, p. 53-57.

7.35. WINBORNE (Warner R.), « Modernization and Modernity : Thomas Hobbes, Adam Smith, and Political Development », Perspectives on Political Science, 37, n°1, 2008, p. 41-49.

7.36. WETTERS (Kirk), The Opinion System : Impasses of the Public Sphere from Hobbes to Habermas, New York, Fordham University Press, 2008, xvi, 292 p.

Complément bibliographique pour l’année 2007

8.1. ALTHAUS (Horst), « Heiden », « Juden », « Christen ». Politische Kontroversen von Hobbes bis Carl Schmitt, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2007, 557 p.

Cet ouvrage paru en 2007 ne s’avère en aucun cas une étude de la philosophie politique de Thomas Hobbes. Il s’agit d’une analyse du discours philosophique et politique dans le cadre d’une histoire de la culture – se présentant sous forme de brèves études, – qui trouve chez Hobbes son point de départ et s’y rattache pour poursuivre des réflexions finissant assez curieusement par mener à Carl Schmitt. Ces deux penseurs paraissent dès lors faire en quelque sorte le lien, du point de vue de l’histoire des idées, entre des auteurs aux argumentations fort différentes, tels Pascal et Kant ou Kierkegaard et Gobineau. Le point fort de ce livre est en même temps sa faiblesse évidente, car il est incontestable que des pensées profondes nous sont proposées pour chacun des auteurs, mais elles se dissolvent dans des réflexions dont on peut supposer qu’elles n’ont plus cours, nous entraînant néanmoins dans d’interminables digressions pour mettre en évidence l’étroite imbrication entre éléments religieux et domination politique. Dans la partie consacrée à Hobbes, Althaus nomme certes à juste titre quelques-uns des moments connus, caractéristiques de sa philosophie de l’État ; ainsi ce dernier est-il qualifié de « grand monstre », nécessaire selon l’auteur pour « mettre un terme au chaos des réalités préétatiques » (p. 9) ; en revanche, il fait l’économie de la problématique du caractère fictionnel du prétendu « état de nature ». Puis, il expose l’essentiel des réflexions de Hobbes sur la théorie du contrat ; suit également une présentation succincte mais éclairante des réalités historiques de l’époque, par exemple l’Église d’Angleterre. Althaus déplore de manière un peu générale le fait que Hobbes laisse son lecteur « dans le flou » au sujet de « son opinion personnelle » tout en identifiant dans la phrase suivante, à juste titre du reste, l’absence d’illusion comme moment central de la philosophie hobbesienne, ce qui interdit pourtant de se mettre ostensiblement, voire inconsidérément, du côté de tel ou tel parti dans certaines discordes. Ainsi, Althaus présente-t-il Thomas Hobbes comme un penseur qui « édifie un théâtre du monde baroque, prend des personnages de la mythologie et de l’histoire, les jette dans des guerres, des tromperies et des intrigues, et pour finir, non content de faire tomber le rideau, va jusqu’à détruire également la scène, laissant le spectateur seul devant le vide » (p. 14). Là-dessus, il aurait pu continuer d’interroger le problème du nihilisme dans l’œuvre de Hobbes, un problème tout à fait digne d’intérêt et de réflexion. Cependant, il se tourne aussitôt vers des remarques plus secondaires sur le rôle de la papauté à cette époque, et fait de Hobbes un « procureur » au service de l’absolutisme, un royaliste qui aurait néanmoins reconnu que « les problèmes politiques ne peuvent être résolus que par l’étude de l’origine des lois du pouvoir, c’est-à-dire de l’État, tout en sachant, en toute lucidité, qu’ils sont au bout du compte insolubles » (p. 20). Par la suite, Althaus relève aussi à demi-mots des parentés avec la pensée politique de Carl Schmitt (p. 493 sq.). Certes, il est juste de dire que pour Schmitt, un monde pacifié aurait été une « terre sans politique » (p. 494), il ne conviendrait pas moins d’en démarquer la théorie politique de Hobbes, qui fait explicitement de la paix l’objectif de l’État, et par là également de l’action politique, en sorte que l’on n’est certes pas obligé de faire du philosophe anglais un précurseur des « recherches sur la paix » mais que l’on peut malgré tout montrer clairement ce qu’il ne fut pas, à savoir un belliciste à l’affût des conflits.

Thorsten Paprotny (trad. F. Wilmann)

8.2. BALLARINI (Adriano), Il teorema di Hobbes. Interpretazione del diritto moderno, Turin, Giappichelli, 2007, 91 p.

8.3. GROSS VILLANOVA (Marcelo), Lei Natural e Lei Civil na Filosofia Política de Thomas Hobbes, Goiania, Tendenz, Santa Cruz do Sul, Edunisc, 2007, 116 p.

L’auteur brésilien prend pour point de départ un problème déjà formulé, dans l’Antiquité classique, par Sophocle dans Antigone : le conflit entre la légalité et la moralité, entre l’obéissance à la loi de la cité ou à la loi des dieux, ou – selon les termes de Hobbes lui-même, entre la loi civile et la loi naturelle. Il se propose de répondre à la question suivante : « quel type de relation existe-t-il entre la loi civile et la loi naturelle chez Hobbes ? La légitimité de la loi positive repose-t-elle sur elle-même ou sur quelque chose d’antérieur à elle ? N’y a-t-il pas un paradoxe chez Hobbes ? Comment concilier une théorie de l’État absolu et la reconnaissance de lois antérieures à l’État ? » (p. 17). Pour Gross Villanova, la recherche de réponses à ces questions contribuerait à élucider d’autres oppositions dans la doctrine hobbesienne, telles celles de la logique contre la rhétorique, l’absolutisme contre le libéralisme, ou le théisme contre l’athéisme. Son investigation se déroule selon trois chapitres intitulés respectivement « La primauté de la loi civile » (p. 19-50), « La primauté de la loi naturelle » (p. 51-69) et « Projet de réconciliation » (p. 71-81), suivis d’une brève conclusion (p. 83-85). Dans les Elements of Law, le De Cive et le Léviathan, l’auteur examine attentivement les passages se rapportant aux relations entre la loi naturelle et la loi civile, relations qui peuvent être qualifiées de relation d’exclusion totale (une loi de nature oblige in foro interno et une loi civile in foro externo) ou, au contraire, de relation d’inclusion totale (la loi de nature et la loi civile se contiennent l’une l’autre et ont un champ d’application identique). Il examine aussi les diverses interprétations classiques de la bibliographie secondaire qui s’appuient sur l’un ou l’autre type de relation. Finalement, dans son troisième chapitre et dans la conclusion, Gross Villanova propose une réconciliation possible entre les deux ordres, naturel et civil, afin de comprendre l’effort que Hobbes accomplit pour dissoudre le conflit entre la compréhension morale et l’agir social et pour présenter un « modèle cognitif et esthétique » alternatif à la conception selon laquelle la loi civile ne peut exister sans la loi naturelle (p. 84). Cependant, l’auteur reconnaît que ce processus de réconciliation n’atteint pas sa plénitude chez Hobbes, ce qui explique pourquoi des interprétations opposées et contradictoires continuent de voir le jour. En conclusion, il compare l’attitude de Hobbes à celle du roi Salomon à ce sujet. A nos yeux, cette analogie n’est pas des plus convaincantes. Bien que l’ouvrage témoigne d’un travail original et rigoureux, on peut noter certaines imprécisions dans le nombre des lois de nature attribuées au Léviathan (p. 20).

María Lukac de Stier (trad. D. Thivet)

8.4. HOBBES (Thomas), Leviathan, édité par Marshall Missner et Daniel Kollack, New York, Pearson Longman, 2007, 304 p.

8.5. SCORSI (Silvio), Thomas Hobbes tra giusnaturalismo e positivismo giuridico, Rome-Viterbon, Il Filo, 2007, 116 p.

8.6. STASI (Daniele), Thomas Hobbes. Modernità e teoria politica, Turin, Cantalupa, Effatà, 2007, 207 p.

Complément bibliographique pour l’année 2005

9.1. SCHUHMANN (Karl), « Leibniz’ Briefe an Hobbes », Studia Leibnitiana, 37, n° 2, 2005, p. 147-160.

 

Reproduction interdite

Ce bulletin est réalisé par le Centre Thomas Hobbes de l’Université Paris Descartes (Sorbonne). Directeur : Y.C. Zarka, Professeur de philosophie politique à l’Université Paris Descartes (Sorbonne). Directeur adjoint : F. Lessay, Professeur de civilisation britannique à l’Université de Paris 3  – Sorbonne Nouvelle. Secrétaire scientifique du bulletin : D. Thivet.
Ont collaboré à ce numéro : D. Lapenna, A. Napoli, T. Paprotny, T. Stanton, M. L. de Stier, D. Thivet, F. Wilmann, G. Wright, Y.C. Zarka. Des indications bibliographiques ont été fournies par J. Monserrat Molas pour l’Espagne, par M. Lukac de Stier pour l’Amérique latine hispanophone et lusophone, par A. Napoli pour l’Italie, par S. Probst pour l’Allemagne, par Tim Stanton pour le Royaume-Uni, par G. Wright pour les États-Unis. La mise en place de l’ensemble a été assurée par D. Thivet.

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