EnglishTome 83, cahier 2, Avril-Juin 2020

Karl Löwith et l’homme sans monde

Une du cahier 2 de 2020Guillaume Fagniez, Karl Löwith: une anthropologie de l’homme sans monde. Avant-propos

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Karl Löwith, Monde et monde humain

Dans ce texte de 1960, Karl Löwith s’interroge sur l’origine de la « perte de monde » qui caractérise selon lui la situation de l’homme moderne. Il met au jour les sources judéo-chrétiennes de l’occultation du monde naturel par le monde humain et historique, et montre comment le subjectivisme de la philosophie moderne a encore renforcé cet acosmisme. Löwith indique ainsi la nécessité et la possibilité de repenser le monde naturel comme tel, au sein duquel l’homme pourrait trouver sa juste place.

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Christian Berner, Karl Löwith et la question de l’anthropologie. Une lecture à partir de L’individu dans le rôle d’autrui

Cette contribution se propose d’étudier l’anthropologie philosophique de Karl Löwith en partant de sa thèse d’habilitation, Das Individuum in der Rolle des Mitmenschen (1928). L’étude de cet ouvrage, dont Löwith nous dit qu’il est « pensé de manière anthropologique », permettra de poser le cadre initial de son anthropologie dont nous montrerons que la visée est éthique. C’est là sans doute, comme nous le montrerons en passant par la lecture de Löwith par Gadamer, que se joue la véritable distanciation avec l’ontologie heideggérienne, même lorsque la pensée de Löwith cherchera à expurger son anthropologie de tout anthropocentrisme.

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Guillaume Fagniez, Karl Löwith et la critique de l’existence historique

Cette étude examine la « critique de l’existence historique » de Karl Löwith, en éclairant son émergence, sa signification, et sa portée actuelle. On distingue ici l’enquête de Löwith sur les « présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire » et sa critique radicale du « monde historique ». Tout en mettant en évidence les difficultés d’un dépassement du paradigme moderne de l’histoire, l’article s’interroge sur la place de l’œuvre de Löwith au sein d’une réévaluation d’ensemble des rapports entre nature et histoire.

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Jean-Claude Gens, Karl Löwith. Le cosmos, la mer et le chaos

Löwith défend la thèse selon laquelle l’émergence et le déploiement des philosophies de l’histoire résultent de l’éclatement de l’unité du tout du monde tel que le pensaient les Grecs, c’est-à-dire d’un processus de « démondanisation » du monde. Si le monde historique en est ainsi venu à constituer le seul sens possible de la notion de monde en occultant la dimension naturelle de celui-ci, Löwith cherche à repenser le monde naturel à partir des Grecs, mais aussi de Nietzsche, en tant qu’il invite à renaturaliser l’homme. Ce qui nourrira encore la pensée de Löwith dans cette direction, c’est d’une part la possibilité que lui donnera son émigration au Japon entre 1936 et 1941d’un décentrement par rapport à la pensée occidentale, et d’autre part la lecture de Valéry auquel sera consacré son dernier livre en 1971.

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Entre philosophie et architecture

Mickaël Labbé, Entre philosophie et architecture. Avant-propos

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Mildred Galland-Szymkowiak, Schelling et larchitecture. De l’identité absolue au biomimétisme

L’article analyse le sens que prend l’architecture dans la philosophie de Schelling vers 1802/05. On montre comment ce dernier subvertit la thèse de l’architecture-art comme imitation de la simple construction, pour finalement définir l’art architectural par sa capacité à présenter, dans l’inorganique, des allégories de l’organique. On illustre pour finir concrètement différents niveaux de compréhension de cette caractérisation, d’une part avec des exemples tirés de Schelling, d’autre part avec des édifices architecturaux récents relevant à divers titres de la bioinspiration.

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Céline Bonicco-Donato, Déconstruction philosophique et déconstructivisme architectural

Parmi les nombreux dialogues noués entre courants architecturaux et théories philosophiques, celui qu’engage le déconstructivisme spatial avec la déconstruction derridéenne apparaît profondément original. Dépassant le stade de la simple interprétation où des architectes empruntent à des philosophes leurs concepts, il a, en effet, pris la forme d’une véritable collaboration qui n’a pas laissé la pensée de Derrida indemne : à l’épreuve du parc de la Villette, le philosophe a été conduit à modifier sa perspective sur la déconstruction, tant dans son contenu que dans ses frontières disciplinaires.

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Petra Lohmann, La vie bienheureuse comme tâche de l’architecture. Fichte et Schinkel

L’éducation à la vie, entendue en son sens le plus haut comme libre réalisation de soi, constitue la finalité constante de l’œuvre philosophique de Fichte. Au sens spéculatif, Fichte combine le concept d’image et la possibilité de proposer des visions du futur dans lesquelles l’image idéale ne vise pas à dépeindre la réalité, mais à l’inverse représente le futur. La transcription de ces images ou idées dans la réalité ne saurait s’effectuer qu’au moyen de l’art, offrant ainsi une vision sensuelle de l’idée de la vie immédiate. Cet article cherche avant tout à étendre cette idée bien connue des recherches fichtéennes au discours du philosophe sur l’architecture comprise comme un « symbole de la vie ».

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Mickaël Labbé, L’architecture de Paulo Mendes da Rocha. L’opportunité au-delà de la fonction

Paulo Mendes da Rocha (né en 1928 ; lauréat du prix Pritzker en 2006) est l’un des grands architectes de notre temps. Auteur d’une œuvre encore mal connue hors du Brésil, il est également un théoricien de l’architecture tout à fait original. Cet article vise à présenter synthétiquement les grands thèmes de cette pensée en architecture qui entretisse sans cesse esthétique et politique sous le mot d’ordre d’une architecture « opportune ».

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Luis Eduardo Gama, Amitié et solidarité. La politique de Hans-Georg Gadamer

La philosophie herméneutique est présentée en général comme une phénoménologie de la compréhension et une ontologie de l’existence et du langage humains. En cela, son potentiel analytique et critique de la réalité sociale et politique est limité. Néanmoins, certains des textes tardifs de Hans-Georg Gadamer tentent de traduire ces approches ontologiques en réflexions concrètes sur la praxis humaine dans nos sociétés contemporaines. Ils construisent alors les bases d’une véritable philosophie sociale et politique à vocation éminemment critique. A travers les notions d´amitié et de solidarité que l´auteur développe dans ses dernières années, cet article examine ce tournant politique de l’herméneutique.

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Bulletin d’études hobbesiennes III (XXXI)

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logo des Archives de philosophieFin mars 2020…

Dans le contexte actuel de crise sanitaire, la rédaction s’adaptera aux perturbations que cette crise ne manquera pas de susciter – imprimeur provisoirement à l’arrêt, distribution aléatoire, etc. En accord avec l’éditeur, la rédaction prendra les moyens jugés nécessaires – publication numérique précédant la publication imprimée – à la poursuite de son travail.
La publication concomitante de Karl Löwith et l’homme sans monde et Entre philosophie et architecture invite de manière inattendue le lecteur, s’il y consent et en voit la pertinence, à examiner sa relation à son environnement, plus largement au monde – qui peut exister sans l’homme. Archives de philosophie n’avait vraiment pas prévu, en programmant cette publication, un tel effet de lecture…

Karl Löwith et l’homme sans monde…

Ce dossier met nettement en évidence ce qui est au cœur de la réflexion de Löwith : la question de l’altérité, tôt présente à son esprit. Pour lui, l’altérité ne peut être véritablement saisie ni selon les chemins de l’interprétation herméneutique ni selon ceux de l’analyse descriptive en phénoménologie. Elle ne se limite pas non plus à autrui, qu’autrui soit l’autre à côté de moi ou l’autre en face de moi. Elle s’étend en effet à plus loin qu’autrui, à ce qui est propre au monde lui-même et se manifeste par une scission entre ce qui, du monde, est saisissable par l’homme et ce qui ne l’est pas. Or cette scission marque de fait une limitation par laquelle le monde atteste sa présence effective à l’homme et se met en même temps à distance de celui-ci : limitation qui se dresse comme borne mise aux prétentions humaines de mettre la main sur le monde comme sur une chose ; limitation où se signifie l’altérité du monde. Löwith prend à bras le corps la question de l’altérité mais en tant qu’altérité du monde lui-même.

Pour ce faire, Löwith s’engage dans l’examen critique de la modernité et de son déploiement dans l’histoire de la philosophie jusqu’à celle qui lui est contemporaine. Cet examen instruit peu à peu sa décision et sa tentative de porter philosophiquement un coup d’arrêt à ce déploiement historiquement amorcé par le premier acte de la modernité dans le passage du xvie au xviie siècle : la restauration de l’homme en tant que maître et interprète souverain de la nature. C’est que, selon Löwith, la modernité est prise dans une évolution où l’homme oublie peu à peu son inscription native dans le monde comme totalité – le monde physique, le cosmos – pour s’installer dans un face-à-face avec lui, comme s’il n’en faisait plus partie, et dans un rapport d’objectivation et de réification à lui. S’abstrayant du monde, l’homme le réduit à un objet tandis que la modernité devient oublieuse d’elle-même et du monde.

À l’origine, la modernité ne confond pas la restauration de l’homme en tant que maître et interprète souverain de la nature avec une instauration de sa toute-puissance sur le monde ; elle destine encore moins le monde à être ravalé aussi bien au rang d’un objet de savoirs qu’à celui d’un objet malléable à merci par le moyen de techniques riches de multiples potentialités transformatrices. Certes, en son premier acte la modernité promet à l’homme un progrès perpétuel de son savoir, dont la réforme des institutions politiques et les mutations de la morale seront les résonances effectives, et le fruit, une vie meilleure. Si elle promet un progrès perpétuel du savoir, elle insiste toutefois fermement sur le fait que ce progrès est une tâche remise à l’homme qu’elle oblige à l’égard du monde. Or l’homme ne retiendra que la promesse du progrès. Celle-ci prend peu à peu les traits d’une certitude exerçant une emprise de plus en plus forte sur son esprit tandis que le progrès comme tâche s’estompe et cède la place au progrès poursuivi comme fin – tant dans le champ de la connaissance que dans celui de la politique. En ce sens, l’esprit de l’homme moderne néglige de lui faire entendre et reconnaître que le progrès du savoir, promis par la modernité en son premier acte, s’accompagnait inséparablement d’une exigence qu’elle adressait à l’homme et à laquelle elle liait ses promesses : l’exigence pour l’homme de tenir compte avec sérieux de ses propres limites humaines en tant qu’elles sont en lui l’exact répondant de la limitation que le monde lui oppose. Emportée dans cette évolution, la modernité devient oublieuse de cette exigence et, en ce sens, d’elle-même ; elle se montre corrélativement oublieuse du monde, du monde dans son altérité.

La modernité aboutit comme nécessairement à une dénaturation du monde physique et à la perte du monde lui-même. C’est en effet la nature elle-même du monde qui est atteinte et altérée, la nature du point de vue de sa fonction et de sa signification, telles qu’elles lui incombaient en Antiquité grecque. Ainsi, Anaximandre, premier des présocratiques à écrire un traité sur la nature (φύσις) est en même temps le premier à user du terme nature (φύσις) auquel il assigne une fonction de représentation de la genèse et de la mise en ordre du monde (κὀσμος). Cette représentation n’emprunte rien au divin. Elle repose sur la capacité qu’a l’homme d’observer et de réfléchir ce qui se donne à ses sens et à son intelligence, sans perdre de vue que la nature dira toujours plus de sa capacité à se représenter – le plus justement possible ou non – le monde qu’elle ne révèlera le monde lui-même et ce qu’il est. En effet, le monde ne se confond pas avec la représentation que l’homme s’en fait sous le nom de nature car la nature est intrinsèquement investie d’une autre fonction que celle de représenter : une fonction de limitation. Aristote la met en lumière quelques siècles plus tard dans sa « philosophie physique » – pour reprendre son expression en Métaphysique Ε1 – ou philosophie de la nature. Chez Aristote en effet, la nature couvre le champ des connaissances exposées dans tous les traités sur le vivant d’une part, la Physique et le Traité du Ciel d’autre part. Ici, le Traité du Ciel inscrit une frontière où se marque le passage de la philosophie physique à la « philosophie théologique » – pour reprendre l’expression d’Aristote en Métaphysique Ε1 –, seule à même de donner un sens aux résultats ultimes atteints dans la philosophie de la nature. La nature ne saurait en effet tout expliquer et tout représenter du monde (κὀσμος). Elle indexe au contraire le monde d’une limitation telle qu’il se dérobera toujours aux tentatives de l’homme de mettre la main sur le tout qu’il est. Quelques siècles plus tard, en Antiquité latine, Cicéron fera de la nature (natura) dans les Académiques l’incessante présence qui attire l’esprit humain et l’oblige aussitôt à pratiquer la sage suspension de ses jugements (cf. II XLI 127-128). Sénèque, dans les Questions naturelles, verra dans la nature un impératif adressé à l’homme de se tenir à une distance respectueuse du monde : « la nature ne nous livre pas d’un coup le secret des choses du monde. Nous nous croyons introduits ; elle nous arrête à l’entrée » (VII XXX 6).
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Qu’elle taise ses propres exigences originaires quand l’homme s’entête dans l’objectivation et la réification du monde, alors la modernité se rend complice d’une dénaturation du monde. Elle se montre oublieuse de l’altérité du monde, que la nature avait exactement pour fonction de rappeler. La survenue de l’histoire, si capitale pour l’interprétation des événements vécus au fil du temps par l’humanité, ajoute par ailleurs un élément supplémentaire et décisif à la dénaturation du monde : l’effacement du monde lui-même au bénéfice du monde humain – Löwith montrant combien la tradition théologique du christianisme y a eu sa part. L’altérité du monde n’est plus alors seulement oubliée, elle est annihilée. Le dossier Karl Löwith et l’homme sans monde, coordonné avec acuité par Guillaume Fagniez, réunit un texte de Löwith et des articles montrant comment Löwith travaille à remettre l’homme devant l’altérité du monde. Le monde ne sera jamais la chose de l’homme. Que l’homme persiste à l’oublier, les crises sanitaires ou climatiques viennent alors le lui rappeler sans ménagement aucun.

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Entre philosophie et architecture…

Dirigé par Mickaël Labbé, un des pionniers en France d’une philosophie de l’architecture, ce dossier ménage un excellent accès aux circulations entre philosophie et architecture. Le procédé retenu pour ouvrir cet accès n’est pas celui d’une argumentation conduite à plusieurs voix pour exposer les conditions a priori qui rendent possibles ces circulations mais de montrer comment ces dernières ont concrètement lieu et participent de manière effective à la rencontre entre les deux, quand elle a lieu. Le parcours proposé privilégie pour cela des figures emblématiques de l’histoire de la rencontre entre philosophie et architecture, mais aussi des figures contemporaines.

Les études réunies dans ce dossier montrent, et c’est leur force, que rien ne saurait déterminer à l’avance que philosophie et architecture entrent en dialogue, soit parce qu’il s’imposerait à la philosophie comme moment nécessaire à sa tâche de se constituer comme système ou proposition de sens, soit parce qu’un architecte déciderait de se tourner vers une philosophie et son auteur avec le projet de s’en inspirer. Quand la rencontre entre philosophie et architecture a lieu, elle est d’abord résonance, non pas entre un système philosophique ou de pensée, d’un côté, et un art maîtrisé avec habileté, de l’autre, mais entre deux personnes concrètes habitées ou animées par une fin qu’elles ont en commun : la vie bienheureuse pour Fichte et Schinkel, par exemple. Et quand la rencontre a lieu, les effets produits sont imprévisibles. Ils peuvent survenir sous la forme d’une interrogation ravivée sur le rapport entre rationalité et nature ; d’un regard et d’une réflexion renouvelés sur l’intrication entre l’organique – le vivant – et l’inorganique ; d’une autonomie et d’une liberté préservées ou confirmées mais non sans à coups – déstabilisants et féconds à la fois – pour l’une et l’autre ; d’un entrelacs entre esthétique et éthique ou esthétique et politique qui recompose les rapports entre espace privé et espace public tout comme les rapports entre le monde comme κὀσμος et le monde de l’homme.
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C’est retrouver ici la question de l’altérité du monde…

…avec laquelle l’homme doit compter, notamment quand il se représente, soit par des plans ou une maquette autrefois, soit par l’outil informatique aujourd’hui, un bâtiment à construire en un lieu donné et selon les conditions physiques que ce lieu lui impose – zone sismique, inondable, sol ferme ou meuble etc. L’architecture rappelle ainsi à la philosophie que l’homme n’est pas tout puissant par rapport au monde mais dépend de celui-ci et de son ordre : ce qui n’anéantit ni n’aliène l’inventivité humaine pour un Christian Wolff (1679-1754) dans les Principes de la fortification ou architecture de guerre (1710), l’architecture comme art s’enracinant pour lui dans les facultés de l’homme, dont celles d’inventer et se représenter ce qu’il invente. Pour Wolff toutefois, l’homme ne peut pas inventer et créer sans avoir conscience de ce qui n’est pas lui et dans lequel il est : le monde. Selon l’ordre systématique donné par Wolff à sa métaphysique, une Cosmologia generalis (1731) doit alors donner à l’homme les principes de la connaissance du monde et nécessairement précéder une Psychologia empirica (1732) permettant à l’homme d’éprouver le monde comme cet autre sans lequel et en dehors duquel il ne peut ni être ni agir – alors que le monde, lui, peut être sans l’homme.

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