Auteur : Claire Rösler-Le Van

Wenchao LI, Hartmut RUDOLPH (éd.), Leibniz im Lichte der Theologien, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, Studia Leibnitiana – Supplementa 40, 2017, 345 p.

La fameuse déclaration « Je commence en philosophe, mais je finis en théologien » (LH IV, 1, 4k, Bl. 39 [1714 ?]) pourrait faire croire que l’accès de Leibniz à la théologie serait tardif et résulterait de son parcours philosophique préalable. Or, en réalité, dès ses jeunes années, Leibniz s’est préoccupé de problématiques à la fois philosophiques et théologiques, ainsi que cet ouvrage s’emploie à le montrer à partir d’analyses variées mais complémentaires. Loin d’être un aspect anecdotique ou circonstanciel de sa pensée et de son œuvre, les approches théologiques de Leibniz sont aussi riches et solides en ce qui concerne la théologie naturelle (la métaphysique) que la théologie révélée (l’étude des mystères). Également reliées aux efforts de rapprochement des Églises menés tout au long de sa vie, les thèses du théologien Leibniz méritaient donc de devenir un objet de recherche à part entière.

Cet ouvrage contient seize exposés présentés lors d’un colloque international à Hanovre en 2013, rédigés en allemand (10), en anglais (5) et en français (1). Dans sa préface (p. 7-8), Wenchao Li, actuel directeur de la Leibniz-Editionsstelle à Potsdam, en charge des écrits politiques (Politische Schriften, A IV) dans l’édition académique des œuvres complètes de Leibniz, souligne qu’outre certains passages de sa correspondance ainsi que certains écrits connus depuis longtemps consacrés à la théologie, il est désormais possible d’accéder à de nombreux autres textes proprement théologiques concernant des problèmes d’herméneutique, d’exégèse, de liturgie, etc., qu’il convient d’examiner, afin de voir si Leibniz n’était qu’un philosophe intéressé par la théologie, ou bien s’il était à la fois et tout autant, philosophe et théologien au sens étroit du terme, ainsi que l’affirmait Fontenelle dans l’éloge funèbre du savant universel.

L’initiative de ce colloque revient à Hartmut Rudolph, prédécesseur de Wenchao Li à la direction de la Leibniz-Editionsstelle à Potsdam jusqu’en 2007. Dans son introduction (p. 9-18), Hartmut Rudolph met en lumière le lien étroit entre théologie naturelle et théologie révélée : les mystères de la foi chrétienne, qui dépassent la compréhension humaine, ne sauraient entrer en contradiction avec la raison ou avec la sagesse divine. Expert en théologie des controverses, Leibniz aborde également les mystères révélés dans le contexte de ses visées d’union des Églises. Hartmut Rudolph résume ensuite brillamment chacune des seize contributions de ce volume consacrées à divers thèmes de théologie positive, ce qui permet entre autres d’observer la permanence des préoccupations iréniques et la cohérence, postulée par Leibniz, entre la théologie naturelle et la théologie révélée.

Tout d’abord, Kiyoshi Sakai analyse l’origine des principes philosophiques de la théologie leibnizienne, en montrant que le philosophe recourt à deux paradigmes fondamentaux du Moyen Âge, à savoir d’un côté la définition augustinienne de la relation entre « res » et « signum », et de l’autre la coordination thomiste entre « res », « ratio » et « nomen », établissant ainsi un parallélisme entre un concept de « ratio » proche du réalisme, et un concept de « signum » proche du nominalisme (p. 31).

Maria Rosa Antognazza souligne ensuite le caractère fondamentalement pragmatique de l’argumentation théologique de Leibniz, lié à « une insistance théologique sur la pratique » (p. 37), dont la finalité sotériologique consisterait à aimer Dieu sur toutes choses. Dès les Demonstrationes Catholicae, le projet titanesque du jeune Leibniz, qui devait servir de cadre intellectuel à tous ses efforts ultérieurs, visait à appréhender toutes les sciences, en particulier la théologie aussi bien naturelle que révélée, de sorte à promouvoir la gloire de Dieu et, ce faisant, de contribuer au bien commun, en visant une stabilité européenne tout autant politique, religieuse que sociale. En dernière analyse, ce qui importerait pour Leibniz serait moins la foi en tel ou tel point de doctrine que, comme dans presque toutes ses recherches alliant sciences et politique, l’adoption d’une « attitude pratique » (p. 52) au service de la vie temporelle et éternelle.

Consacrée également aux fondements de la connaissance théologique, l’étude de Daniel J. Cook est centrée sur l’herméneutique biblique. Selon lui, Leibniz a reconnu l’Ancien comme le Nouveau Testament en tant que révélations divines, dont l’authenticité n’est pas fondée sur le récit des miracles, mais sur la correspondance entre les prophéties de la Bible hébraïque et leur accomplissement dans le Nouveau Testament. Ainsi, Leibniz serait un « textualiste » (p. 60) portant une attention particulière au sensum literalis de la Bible, qu’il convient d’étudier de manière historico-philologique. En affirmant que les mystères de la foi ne sont pas contraires à la raison, même s’ils dépassent la compréhension humaine, Leibniz se présente également comme un rationaliste dont la foi chrétienne se fonde sur un Dieu conçu comme être rationnel, ce qui le distingue tout autant des déistes que des sceptiques de son temps. Cette contribution confirme la thèse précédente en mettant en lumière une composante pragmatique de la théologie révélée chez Leibniz.

Brigitte Saouma suppose que Leibniz, qui disposait d’une connaissance pour ainsi dire encyclopédique de la philosophie et de la théologie médiévales, devait connaître, de façon directe ou non, les idées de Bernard de Clairvaux, théologien alors extrêmement influent. Même si, jusqu’à présent, l’édition de l’Académie n’indique guère de références à l’abbé cistercien, les idées de Leibniz sur les rapports de Dieu à sa création, en particulier concernant l’anthropologie théologique ainsi que les concepts d’« image » et de « ressemblance », se situent dans la tradition augustinienne et bernardienne.

À la suite des exposés précédents consacrés aux liens de la théologie de Leibniz avec la tradition patristique et médiévale ainsi qu’avec le texte biblique, Irena Backus traite de la position de Leibniz sur la prédestination (déterminisme versus libre-arbitre) par rapport à Hobbes, Newton et Clarke. Concernant les substances intelligentes, Leibniz parle d’une « nécessité hypothétique » non mécanique, contrairement à Hobbes. À la question unde malum, qui trouve son origine exclusivement dans des causes mécaniques selon Hobbes, Leibniz oppose la nécessité par laquelle Dieu, dans sa perfection, choisit le meilleur de tous les mondes possibles. Finalement, leurs divergences s’expliqueraient par leur conception respective de Dieu. Conçu comme primum movens d’une chaîne de causes, le Dieu de Hobbes relève d’une théologie réformée concevant la prédestination de façon anti-arminienne. Quant à Newton, sa conception de Dieu implique une intervention continuelle dans sa création, en tant qu’auteur de la gravitation, alors que la conception leibnizienne renvoie à une harmonie préétablie, décriée par Clarke, qui reproche à cette thèse de mener à l’athéisme. Concernant la question du libre-arbitre et de la nécessité, Clarke aurait adopté une position intermédiaire entre Newton et Leibniz. Il partagerait l’unde malum et la nécessité morale de Leibniz, tout en se démarquant de sa conception philosophique et théologique de la nécessité.

Ulrich Becker se demande comment le théologien rationaliste Leibniz envisage la religion vécue. Sa distinction entre la vénération extérieure de Dieu et la « piété véritable » est influencée par les courants piétistes. Parmi les rares témoignages de la piété leibnizienne connus à ce jour, on peut mentionner des prières et un poème sur la passion, datant de 1684, qui reflète moins la theologia crucis des réformés qu’une conception de l’amour divin soucieuse de la béatitude des hommes. Un témoignage particulier de la piété de Leibniz se trouve dans l’élégie sur la mort de la Reine Sophie-Charlotte qui relève d’une théologie théocentrée. Le Christ n’y apparaît pas comme médiateur ou sauveur, mais comme fondateur de la « religion la plus pure et la plus éclairée » (p. 147), enseignant une piété nouvelle. Poursuivant cette analyse christologique, Mattia Geretto étudie les énoncés de Leibniz sur l’incarnation et la nature du Christ, conçu comme theanthroopos. L’incarnation serait la raison ultime de la création du mundus optimus. C’est pourquoi on pourrait parler d’une réponse « christocentrique » (p. 150) à la question : pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ? Dans le De Persona Christi (1680-1684), le mystère de l’incarnation joue un rôle central. Ainsi, le Christ theanthroopos, constituerait la pierre angulaire de la théologie de Leibniz.

S’intéressant à un autre aspect de la sotériologie, Peter Antes s’interroge sur les positions de Leibniz au sujet de la possibilité d’obtenir le salut dans les religions non-chrétiennes. Leibniz ne considérait pas le judaïsme comme une menace pour les chrétiens. Concernant l’islam, il distinguait l’aspect religieux de l’aspect politique. Par rapport à l’enseignement du prophète Mahomet, le philosophe avait adopté la position chrétienne usuelle à son époque. En revanche, son attitude à l’égard des Chinois, dont il appréciait tout particulièrement la théologie naturelle, était nettement plus ouverte. En se fondant sur la miséricorde de Dieu et en s’appuyant sur des auteurs anciens, Leibniz a admis la possibilité de rédemption pour les non-chrétiens, et a repoussé l’idée que les enfants non baptisés ainsi que les païens soient voués à la damnation éternelle.

Jaime de Salas consacre son exposé à l’analyse de la correspondance de Leibniz avec son ami Ernest de Hesse-Rheinfels, converti au catholicisme. Cette importante correspondance, qui s’est déroulée sur plus de dix ans, était surtout destinée au rapprochement des confessions catholique et luthérienne, et notamment à l’établissement de liens avec le catholicisme français. Dans le contexte des différentes étapes des efforts iréniques et œcuméniques de Leibniz, le contributeur étudie la position du philosophe vis-à-vis de la théologie officielle. Leibniz pensait possible une entente entre théologiens, les difficultés résultant avant tout d’obstacles politiques. Les efforts de Leibniz au service du bien commun, fondés sur des arguments rationnels, se seraient heurtés à l’identification des catholiques à leur Église, pensée comme institution centrale pour leur foi, tandis que le projet religieux de Leibniz visait l’ensemble des chrétiens dans le respect de leurs différences. Cette étude confirme à nouveau que la théologie leibnizienne avait un objectif pratique. Pour l’atteindre, le philosophe théologien a redéfini les concepts d’amour et de justice, en atteste son interprétation des trois degrés du droit naturel présentés dans cette correspondance, mais évoqués aussi lors des négociations auxquelles il a participé en raison de sa position à la Cour de Hanovre. Ainsi, tout au long de sa vie, sa méthode et son argumentation ont été imprégnées de son dévouement à la théologie.

Dans les deux dernières décennies de la vie de Leibniz, Jan Rohls indique avec pertinence que le rapprochement entre les deux confessions protestantes a joué un rôle primordial pour le philosophe. La théologie sacramentelle et la doctrine de l’élection au salut ont constitué les deux principaux points litigieux entre luthériens et réformés. L’auteur n’a souhaité approfondir que le second point portant sur l’élection de la grâce et sur la prédestination. Cette étude analyse d’abord les raisons historiques qui ont fait qu’en 1697, tant la Cour du prince Électeur réformé de Berlin que la Cour luthérienne de Hanovre avaient intérêt à favoriser le rapprochement entre les deux confessions protestantes. La Kurtze Vorstellung […] rédigée en 1697 par le prédicateur réformé de la Cour de Berlin Daniel Ernst Jablonski, et la réponse intitulée Unvorgreiffliches Bedencken […], composée en 1699 par Leibniz et l’Abbé de Loccum Gerhard Wolter Molanus, en constituent les « deux documents les plus importants » (p. 186). Leibniz affirme que les attributs divins peuvent être conçus par la raison naturelle comme des « vérités éternelles et nécessaires », dont il convient de démontrer qu’ils entrent nécessairement en harmonie dans l’essence éternelle de Dieu, ce qui exclut l’opinion de certains théologiens réformés, transmise depuis la scolastique tardive, selon laquelle Dieu aurait le droit, selon son bon vouloir, de faire tout ce qu’il voudrait, y compris la damnation des innocents. De la même façon, il est impossible pour Leibniz de faire de Dieu la cause première du péché, car la sainteté de Dieu ne saurait être séparée de sa justice. Cette dissension résulterait en grande partie de la compréhension plurielle du concept de « volonté ». Cette étude approfondit les positions de Leibniz et de Jablonski au sujet de l’élection de la grâce divine et de la sotériologie. Leibniz a repoussé tant la conception supralapsaire d’une prédestination à la damnation que la prétendue solution d’une scientia media (science moyenne).

Dans la continuité thématique de l’exposé précédent, Christian Link souligne que la prédestination n’était pas seulement sujette à controverses entre luthériens et calvinistes, mais également parmi les théologiens réformés. En se distinguant de l’exégèse des réformateurs Luther et Calvin qui admettaient, chacun à sa façon, que toute connaissance théologique en ce domaine touchait à ses limites, Leibniz a opéré un « tournant philosophique fructueux par sa conception métaphysique d’un Dieu garant des vérités éternelles » (p. 212), véritable « matrice philosophique » (p. 214) destinée à rendre possible une harmonisation des divergences théologiques. Contrairement à la tradition théologique depuis Augustin jusqu’aux réformateurs, Leibniz a employé une argumentation logique pour sa doctrine des attributs divins, fondamentale pour expliquer le péché originel et l’unde malum, tout en récusant une vision volontariste qui attribuerait à Dieu un décret tyranniquement absolu. Dès son Discours de Métaphysique, Leibniz avait donc trouvé un « modèle philosophique » (p. 221) pour sa théologie conciliatoire.

Ensuite, Johannes Wallmann traite des rapports entre Leibniz et Philipp Jakob Spener, amorcés en 1697 à Francfort, où Leibniz était membre du cercle d’amis de Spener. Leur correspondance s’est interrompue en raison du séjour de Leibniz à Paris. De même que Leibniz, Spener était proche du Landgrave Ernest de Hesse-Rheinfels. Spener avait rédigé pour ce dernier un rapport sur la tolérance ecclésiastique, paru d’abord de façon anonyme, puis inclus en 1699 dans la collection de ses premiers écrits théologiques. Ce n’est qu’en 1687 que Leibniz reprend contact avec Spener, devenu entre temps premier prédicateur de la Cour de la Saxe électorale à Dresde. Une lettre de 1689 montre clairement que Spener était opposé à toute tentative d’union des luthériens avec Rome, contrairement aux essais d’abord de Molanus, puis de Leibniz, car le piétiste interprétait de telles tentatives comme une possible soumission des protestants. La dernière période des rapports entre les deux hommes a été marquée par leur engagement commun à la Cour de Berlin. Leibniz avait été introduit grâce à ses liens avec l’Électrice Sophie-Charlotte, dont le château de Lietzenbourg était devenu le centre de la vie culturelle et scientifique du Brandebourg, tandis que Spener, prieur luthérien de l’Église du Brandebourg et prédicateur de l’église St-Nicolas, évoluait dans un milieu fort différent. Il s’était montré très réservé par rapport au Tentamen expositionis irenicae […] (1699) que Leibniz lui avait communiqué et n’avait pas participé au negotium irenicum entre Leibniz, Molanus et Jablonski, ni au collegium charitativum de 1703. Malgré tout le respect qu’ils se sont mutuellement témoignés, il ne serait toutefois « pas resté grand chose » (p. 255) de l’amitié initiale entre les deux hommes.

Deux contributions sont ensuite consacrées à l’ecclésiologie leibnizienne. Luca Basso envisage ce thème dans son rapport à la philosophie de Leibniz, ainsi que dans les implications politiques qui en résultent. Selon lui, la res publica universalis conduite par Dieu et les républiques politiques concrètes ne sont pas à envisager de façon dualiste, mais elles relèvent d’un continuum, car les républiques singulières ne cessent de tendre vers cette république universelle, ce qui permet aussi d’établir un lien de « l’Église de Dieu » (p. 260) visant la béatitude universelle, avec « tout le genre humain ». De même que la foi ne saurait être séparée de la raison, également reliée à la caritas, de même le terme « catholique » signifie une tentative d’union de tous les hommes doués de raison. En ce sens, l’idée œcuménique de Leibniz serait de nature protestante. Dans le domaine politique, ses efforts œcuméniques seraient destinés à assurer au Saint-Empire romain germanique un équilibre, condition d’une « balance européenne », et par suite d’une paix durable. Klaus Unterberger, quant à lui, se demande si Leibniz se serait réclamé d’une conception « préconfessionnelle » (p. 269) du catholicisme, ou s’il conviendrait plutôt de le considérer « essentiellement » (ibid.) comme catholique, persuadé qu’il n’est pas fondé de se séparer de l’Église universelle dirigée par l’Esprit Saint, sans pour autant souscrire à chaque point particulier de la doctrine ou de la tradition. De façon générale, Leibniz a reconnu la primauté du pape jure divino, car l’Église doit disposer d’une constitution de droit et a besoin, en tant que personne morale singulière, d’une instance suprême, le pape, auquel obéir. En revanche, Leibniz n’a pas attribué au pape l’infaillibilité doctrinale car, selon lui, seul un concile peut décider des vérités doctrinales de façon infaillible. Mais le prétendu consensus quinquesaecularis n’étant qu’une fiction aux yeux de Leibniz, il était de fait insuffisant à remplir ce rôle. Lors de sa controverse avec Bossuet, Leibniz conteste, à partir du principe « nécessité fait droit », le caractère œcuménique du concile de Trente, dont les dogmes, considérés comme des enseignements canoniques ne pouvant être discutés sous peine d’anathème, ne sauraient à bon droit valoir comme étant nécessaires au salut. Selon Leibniz, la foi nécessaire au salut a été révélée par le Christ, elle est immuable et se retrouve comme fides implicita dans toutes les confessions.

Les préoccupations œcuméniques de Leibniz l’ont également conduit à s’intéresser à des questions liturgiques, ainsi que Stephan Waldhoff s’emploie à le montrer dans son étude. En effet, la liturgie est un des aspects de l’ecclesia catholica, envisagée comme la communauté de « tous ceux qui sont reliés entre eux par les sacrements ». Ainsi, Leibniz n’a pas seulement insisté sur la recherche d’un consensus dans la compréhension des sacrements, condition nécessaire à l’unité ecclésiale, mais s’est également occupé de questions concernant l’aspect historique de la liturgie, par exemple dans son ébauche d’une histoire de la maison des Guelfes de 1691. Dans son dialogue avec les catholiques, il a souligné les modifications des rites liturgiques au cours de l’histoire et mis en lumière des changements qui ont créé des précédents, pour être en mesure de relativiser la légitimité des usages pratiqués à son époque. Ses recherches approfondies sur la communion sous les deux espèces, en particulier sur la possibilité pour les laïcs de boire au calice, fournissent un exemple significatif de ses investigations liturgiques méthodiquement menées. Leibniz et Molanus ont toujours rejeté des tentatives d’union ecclésiale fondées sur la seule unification des rites, privilégiant une union fondée sur l’harmonisation des doctrines sacramentelles. Toutefois le recours à la liturgie anglicane aurait pu exercer une influence positive sur le rapprochement des luthériens et des calvinistes, vu le contexte politique de l’Angleterre en 1716, si le décès de Leibniz n’était pas venu mettre un terme à ces tentatives iréniques.

L’étude d’Hartmut Rudolph traite plus particulièrement du purgatoire et de la résurrection des corps. Seule la résurrection est comptée par Leibniz parmi les mystères de la théologie révélée, tandis que le purgatoire fait aussi partie de la théologie naturelle. Comparée aux différentes conceptions de l’Église de l’Antiquité et du Moyen Âge ainsi qu’aux références bibliques explicites, la position de Leibniz quant au purgatoire relève d’une prise de distance du point de vue de la sana ratio, selon laquelle on pourrait considérer le purgatoire comme une douleur purificatrice dans cette vie, mais aussi comme une purification de l’âme une fois séparée du corps. Quant à la résurrection de la chair, Leibniz visait seulement, comme pour tous les mystères, à en prouver la possibilité. Il précise que ce ne serait pas une masse de chair et d’os qui se réunirait à l’âme, mais une fleur de la substance « quidam substantiae flos ». L’eschatologie leibnizienne est incompatible avec une apocalypse conçue selon un modèle dualiste.

Pour conclure, cet ouvrage permet de soutenir à raison que Leibniz est à la fois, et de façon remarquable, philosophe et théologien. Tout en tenant compte des spécificités de chacune de ces deux disciplines, Leibniz a su les envisager de sorte à les soumettre à des exigences tant théoriques que pratiques. Pour ce faire, il a créé une nouvelle conception du lien entre philosophie et théologie, dont pourrait s’inspirer la théologie systématique actuelle. Leibniz a ouvert la voie à une position moyenne entre, d’un côté, le repli sur une double vérité (philosophique ou bien théologique) risquant d’entraîner la philosophie dans une fuite vers l’abstraction conceptuelle, et de l’autre, la compréhension dogmatique de la théologie risquant de mener à une pauvreté spéculative. La voie intermédiaire qu’il propose est une incitation à la pensée, tant pour les théologiens que les philosophes.

Claire RÖSLER-LE VAN

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Pour citer cet article : Claire RÖSLER-LE VAN, « Wenchao LI, Hartmut RUDOLPH (éd.), Leibniz im Lichte der Theologien, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, Studia Leibnitiana – Supplementa 40, 2017 », in Bulletin leibnizien V, Archives de Philosophie, tome 82/3, juillet-septembre 2019, p. 587-646.

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