Auteur : Antoine Auvé
Compte rendu du Hegel-Kongress der Internationalen Hegelvereinigung 2023. Das Selbstverständnis der Philosophie und ihr Verhältnis zu den (anderen) Wissenschaften (Stuttgart, 7-10 juin 2023).
Le thème de la session 2023 du congrès organisé du 7 au 10 juin à Stuttgart par la Hegel-Vereinigung proposait un double axe de réflexion. D’une part, la compréhension que la philosophie produit d’elle-même la distingue spécifiquement des disciplines scientifiques que Hegel intègre à l’Encyclopédie des sciences philosophiques. D’autre part, Hegel comprend pourtant bien la philosophie parmi ces « autres » sciences, et élabore ainsi une conception générique de la scientificité, qui permet de penser réciproquement les sciences comme « philosophiques » et donc de les inclure en retour au sein du discours philosophique.
De part et d’autre de cet axe thématique, une division du travail s’est opérée entre deux principaux groupes d’ateliers. Un premier ensemble a cherché à élucider la conception hégélienne de la scientificité, en lien avec les questions de la méthode ou de l’histoire de la philosophie elle-même (jeudi 8 juin, et conclusion de la journée par Eckart Förster). Un second ensemble d’ateliers a cherché à appréhender le thème du congrès selon les objets, suivant une division régionaliste des sciences dans la tripartition logique/nature/esprit (matinée du vendredi 9). Il faut relever ici une asymétrie : les domaines de la logique et de la nature ont souvent débordé ce cadre en fournissant également le thème ou l’argument des approches relatives à la structure méthodologique ou épistémologique de la science. À ce point de croisement, l’épistémologie des mathématiques s’est imposée comme un enjeu intrinsèque de la Science de la logique (atelier dirigé par Christian Martin et exposé de Paul Redding). En revanche, l’esprit eut moins de facilité à déborder le cadre de l’atelier réservé aux Geisteswissenschaften (sciences de l’esprit) pour nourrir les approches méthodologiques.
Est-ce là l’illustration d’un tournant à la fois logicien – parfois en convergence avec une lecture plus analytique de Hegel (Pirmin Stekeler, Kenneth Westphal) – et naturaliste des lectures de Hegel ? Quoi qu’il en soit, l’atelier sur les sciences de l’esprit a failli être annulé en raison de l’absence imprévue de deux intervenantes, remplacées au pied levé par Gunnar Hindrichs qui proposa une réflexion sur la perte de transcendance et la positivation de « l’histoire de l’esprit » après Hegel. Qui plus est, le thème de l’esprit semblait représenter un lieu plus traditionnel de l’exégèse hégélienne, et il a fait l’objet de conférences plénières qui avaient un caractère essentiellement honorifique.
Mais l’esprit fut principalement appréhendé à partir de l’esprit absolu, et il faut voir dans cette focalisation le signe d’une tentative de renouvellement interprétatif. Les processus fondamentalement « historiques » par lesquels l’art, la religion et la philosophie deviennent à la fois objets d’histoire et de science et des domaines culturels en crise dans la modernité, ont été mis en évidence par Birgit Sandkaulen et Zdravko Kobe. Notons par ailleurs le lieu de rencontre entre sciences de l’esprit et sciences de la nature qu’ont constitué les approches de critique sociale et politique de l’épistémologie (conférence de Susanne Lettow, table ronde sur le féminisme, atelier présidé par Dirk Quadflieg).
Il est intéressant de remarquer la répartition des points d’ancrage pris dans le corpus hégélien. La conférence inaugurale de Klaus Vieweg et Francesca Iannelli, relative à la découverte de manuscrits de F. W. Carové sur l’enseignement de Hegel à Heidelberg, a mis l’accent tant sur les sources de plus en plus commentées que constituent les cahiers des étudiants de Hegel, que sur son projet encyclopédique, dont la fonction première de support d’enseignement académique fut rappelée. Néanmoins peu de conférences ont abordé frontalement le rôle de l’Encyclopédie, et la façon dont elle entraînait une requalification du statut de la Phénoménologie (Marco Ferrari) ou de la Logique (Angelica Nuzzo). À ces conférences plus transversales, ajoutons celle de Gilles Marmasse qui a thématisé la relation globale de la philosophie aux sciences sur le mode de leur Aufhebung dans et par la première, et la première conférence plénière, au cours de laquelle Dina Emundts a dégagé un statut paradigmatique des concepts d’objets chez Hegel. Cette conférence et d’autres (Cinzia Ferrini, Karen Ng) ont d’ailleurs pris la Phénoménologie comme cadre pour interroger le rapport hégélien aux disciplines scientifiques. Les Principes de la philosophie du droit, en revanche, ont été peu examinés.
Enfin, remarquons le caractère bilingue de cette session 2023. L’anglais était à parité avec l’allemand. Face à cet internationalisme plus marqué, les professeurs allemands ont clos le congrès par un hommage à Dieter Henrich, en rappelant sa conception du rôle du Congrès comme lieu de rencontre des grandes tendances contemporaines. Une telle conception détermina, cette année également, la programmation d’ateliers anglophones de philosophie contemporaine, libérés de la référence directe à Hegel (après-midi du samedi 10). Les intervenants italiens et français étaient en minorité ; remarquons néanmoins la conférence francophone d’Audrey Rieber, qui s’inscrivait dans la lecture renouvelée de l’apport épistémologique de l’esprit absolu.
Antoine Auvé (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)
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Pour citer cet article : Compte rendu du Hegel-Kongress der Internationalen Hegelvereinigung 2023. Das Selbstverständnis der Philosophie und ihr Verhältnis zu den (anderen) Wissenschaften (Stuttgart, 7-10 juin 2023)., in Bulletin de littérature hégélienne XXXIII, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 149-186.