Auteur : Alain Patrick Olivier

G. W. F. Hegel, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst IV. Anhang. Editorischer Bericht und Anmerkungen (Gesammelte Werke, Bd. 28, 4), éd. Bernadette Collenberg-Plotnikov, Hamburg, Meiner, 2023, 534 p.

Le quatrième et dernier volume du tome 28 vient clore l’édition des cours d’esthétique ou de philosophie de l’art de Hegel dans le cadre des œuvres complètes (Gesammelte Werke, ci-après GW). Ce volume est constitué de l’appareil critique, complément indispensable des trois volumes précédents, lesquels donnent les textes des cours de 1820-1821 et 1823, de 1826 et de 1828-1829. La décision des GW est de publier les sources les plus directes de l’enseignement de Hegel. L’une des conséquences consiste à ne pas recourir à l’édition classique de H. G. Hotho, et à ne pas même la considérer comme une source, la condamnant tacitement à l’obsolescence. Le volume est dédié à la mémoire de Walter Jaeschke, disparu en 2022, responsable de l’édition des GW, qui a coédité les volumes précédents et supervisé le dernier. Bernadette Collenberg-Plotnikov, connue pour ses études et ses travaux d’édition des cours d’esthétique de Hegel, assure de façon sobre et heureuse la rédaction de ce volume. Celui-ci est composé d’un rapport éditorial, de notes, d’une bibliographie et d’un index.

Le rapport contient : I. Un aperçu sur la genèse de la philosophie de l’art de Hegel, laquelle remonterait à l’époque de Iéna, même si l’on aurait pu également la faire remonter au projet de système culminant dans l’idée esthétique. II. La description de l’état des sources est très détaillée. Elle fait le point sur les documents perdus et ceux disponibles pour chacun des cours. Seuls les cours de Berlin sont pris en considération. Celui de Heidelberg de 1818 n’est pas mentionné. Or de nouvelles sources ont été découvertes entre-temps, à savoir les cahiers de Friedrich W. Carové, ce qui pourra modifier la situation éditoriale. En ce qui concerne le cours de 1823, le manuscrit de la Bibliothèque Victor-Cousin est présenté comme l’une des sources sans qu’il soit précisé pourquoi il n’a pas été pris en considération. Ce cahier s’appuie pourtant sur un original allemand perdu, dont il n’est pas exclu qu’il soit de la main de Hegel. En outre, l’édition française de ce manuscrit donne des variantes empruntées au cahier de Kromayer, que les GW revendiquent comme une originalité. L’incertitude demeure, par ailleurs, en ce qui concerne ce cahier dont l’intitulé fait référence aux cours de 1823 et 1826, mais qui comporterait également des éléments postérieurs, par exemple, sur C. F. von Rumohr (p. 1 384). Les notes marginales en français du cahier de H. Rolin, en 1828-1829, ne sont pas prises en considération. III. Le rapport rend compte, par suite, de façon exhaustive des éditions antérieures, partielles ou intégrales. Il est indiqué que le texte des GW peut s’écarter de celui des éditions antérieures sans qu’il soit proposé d’apparat critique précisant les passages précis où les éditions diffèrent, alors que les manuscrits peuvent prêter à différentes interprétations sur le plan de la transcription. Du reste, il n’est pas fait état des diverses transcriptions utilisées ni de leurs auteurs ou autrices. IV. Le commentaire sur l’édition des GW est bref. Il rappelle les principes de l’édition sans indiquer les raisons qui ont conduit les éditeurs à choisir un cahier plutôt qu’un autre comme texte de référence, par exemple, celui de Griesheim, pour le cours de 1826.

Les notes suivent le principe des GW, c’est-à-dire qu’elles rendent compte des références, mais ne constituent pas des commentaires. L’éditrice a pu s’appuyer sur les travaux réalisés pour les éditions critiques précédentes de chacun des cours, lesquelles sont mentionnées. La bibliographie contient des références aux ouvrages cités. On trouve enfin un index des noms. Il n’est pas proposé, en revanche, d’index des notions comme dans l’édition préparatoire d’Annemarie Gethmann-Siefert.

Dans l’ensemble, l’édition des GW constitue une étape considérable et une véritable rupture dans l’histoire des éditions de Hegel. Elle rend compte de plusieurs décennies de recherche scientifique menée au Hegel-Archiv de Bochum et à la Fernuniversität de Hagen. Peut-elle faire autorité pour autant et s’imposer comme l’édition définitive des cours de Hegel ? Elle s’avère, certes, incontournable en raison de la qualité scientifique des volumes, et parce que les cours sont désormais accessibles à partir des sources directes, dans leur progression historique, dans leur particularité et dans leur ensemble. L’édition rend compte, en outre, des variantes pour les manuscrits retenus. Toutefois, l’importance historique de l’édition de Hotho, la découverte continuelle de nouvelles sources, comme les cahiers de Heidelberg, ou encore la pertinence des éditions scientifiques séparées des cahiers d’étudiants, tout cela contraint à envisager également les cours d’esthétique de Hegel dans leur diversité et leur complexité éditoriale.

Alain Patrick Olivier (Nantes Université)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXXIII chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst IV. Anhang. Editorischer Bericht und Anmerkungen (Gesammelte Werke, Bd. 28, 4), éd. Bernadette Collenberg-Plotnikov, Hamburg, Meiner, 2023, 534 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXIII, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 149-186.

♦♦♦

 

Jim VERNON, Hip Hop, Hegel and The Art of Emancipation. Let’s Get Free, London, Palgrave Macmillan, 2018, VII-259 p.

Écrire un ouvrage sur le rapport de Hegel au hip-hop peut sembler paradoxal aussi bien du point de vue des hip-hop studies que de celui des études hégéliennes. N’est-ce pas projeter Hegel vers un futur de l’art qui contredirait sa thèse du caractère passé de l’art ? Pourtant, l’auteur pense que l’esthétique de Hegel et la culture hip-hop peuvent s’éclairer mutuellement, et la lecture de ce livre tend à lui donner raison. À la différence d’études antérieures, l’originalité consiste ici à considérer le hip-hop d’un point de vue esthétique et non seulement social et historique en l’appréhendant, par exemple, à travers les théories sociales de la reconnaissance. Cela contribuerait même à mettre en évidence la valeur de l’esthétique philosophique de Hegel souvent ignorée dans la recherche. Car c’est bien l’esthétique qui permet de penser le hip-hop du fait que « l’art trouve sa fondation dans une tendance de l’humanité à l’auto-émancipation ». Certes, l’auteur commence par une approche socio-historique en décrivant la façon dont on est passé, au cours des années 1970, d’une « culture de l’aliénation sociale » à une « forme d’inclusion sociale via la culture artistique » (particulièrement dans le chapitre 2 sur « l’état de nature » dans la culture du Bronx). Mais il emploie essentiellement le cadre de l’esthétique pour penser cette histoire, en particulier celui fourni par la théorie des formes d’art symbolique, classique et romantique, ainsi que la théorie des arts particuliers (architecture, sculpture, peinture, musique, poésie). Pour lui, l’histoire du hip-hop peut être décrite comme le passage d’une forme d’art à l’autre. Il construit une équivalence entre le graffiti et le moment symbolique de l’art (et donc l’architecture, ch. 3) ; le DJing et le Break et l’étape classique de l’art (ch. 4, avec une remarquable comparaison entre l’esthétique du break dancing et la théorie de la sculpture vivante) ; le MCing et l’étape romantique (ch. 5), avant d’aborder le passage de l’art à la religion, la philosophie et la politique avec le rap conscient (ch. 6). Cette ingénieuse construction fait s’articuler des moments d’évolution du hip-hop et les différentes formes d’art qui la constituent, alors que nombre d’études antérieures pensent surtout le hip-hop à partir du rap (c’est-à-dire à partir de la poésie), et le rap à partir du rap conscient (c’est-à-dire à partir de la religion et de la philosophie). En outre, l’auteur insiste sur la culture du South Bronx dans les années 1970, où le rap n’était pas encore entré dans sa phase commerciale marquée par l’apparition des enregistrements, considérant même le rap conscient ou politique dans ce contexte comme anachronique. Et, contre toute attente, il va jusqu’à redonner vie au concept de « religion de l’art » pour décrire l’idéal de cette communauté originaire. Pour lui, cette dernière est comparable à la communauté grecque, s’exprimant dans des formes non linguistiques mais néanmoins esthétiques, et indépendamment de toute participation aux institutions de l’État moderne, alors même alors qu’elle subit le racisme et la ségrégation. Il ne s’agirait pas de penser les dance parties originaires comme des formes de résistance, mais du moins comme des expressions de liberté, d’autodétermination initiant un processus d’émancipation. Les historiens pourront déterminer dans quelle mesure cette séduisante construction intellectuelle peut rendre compte sans idéalisation de la première période du hip-hop, les esthéticiens pourront aussi se demander à quelles conditions il serait possible d’envisager une esthétique (hégélienne) du hip-hop ou du rap dans ce qui serait sa phase d’aliénation ou de déclin après les années 1980 – sachant que le hip-hop en sa vérité semble, pour l’auteur, une chose du passé.

Alain Patrick OLIVIER (Nantes Université)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXXII chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Jim VERNON, Hip Hop, Hegel and The Art of Emancipation. Let’s Get Free, London, Palgrave Macmillan, 2018, VII-259 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.

♦♦♦

 

Stefania ACHELLA, Francesca IANNELLI, Gabriella BAPTIST, Serena FELOJ, Fiorinda LI VIGNI & Claudia MELICA (dir.), The Owl’s Flight. Hegel’s Legacy to Contemporary Philosophy, Berlin, De Gruyter, 2021, 661 p.

L’ouvrage collectif Le Vol de la chouette. L’héritage de Hegel pour la philosophie contemporaine présente une particularité. Il est édité par six éditrices qui toutes sont des femmes ; il en va de même pour les sept contributrices invitées. Et la grande majorité des quarante-et-une autres contributions a également été écrite par des femmes. Enfin, les auteurs de référence qui se trouvent discutés sont largement des autrices. L’ouvrage constitue de ce fait un événement : c’est une véritable levée en masse des femmes, qui font ainsi la preuve de leur présence considérable et spectaculaire dans la recherche internationale sur Hegel. Mais l’ouvrage n’est pas pour autant un ouvrage féministe traitant exclusivement ou même principalement de questions féministes. Il s’agit certes d’appréhender l’héritage de la philosophie de Hegel, avec les femmes, à partir de la question de la femme, ou à partir des questions posées par les femmes. « Le temps est venu de réévaluer les accusations de sexisme habituellement adressées à Hegel afin de mieux comprendre que le féminin, compris comme “autre”, a toujours été nécessaire à son projet philosophique. » Mais il s’agit aussi bien, ou avant tout, comme l’indiquent le titre et le sous-titre, de réfléchir aux problématiques contemporaines s’ouvrant à partir de Hegel, c’est-à-dire, tout simplement, de « contribuer à une réévaluation » de sa philosophie. Le poids des femmes dans l’approche philosophique permet de mettre en évidence certains enjeux, de faire émerger certaines orientations, d’ouvrir des thématiques qui se distinguent des approches traditionnelles. Ainsi, la première partie, « La nuit de la raison », porte sur la question de l’anthropologie, et compte plusieurs contributions sur le rapport du hégélianisme à la psychiatrie, à Pinel, à Charcot. La deuxième partie, qui traite des « femmes pour ou contre Hegel », fait effectivement intervenir des débats féministes, depuis les années 1970 et même antérieurement, à partir de Carla Lonzi, Simone de Beauvoir, Luce Irigaray, Nancy Fraser, Judith Butler, Patricia J. Mills ou Adriana Cavarero, en partant de la dialectique de la domination et de la servitude. La troisième partie traite non pas de la façon dont les femmes s’emparent de la philosophie de Hegel, mais de celle dont elles y apparaissent. Plusieurs études reviennent ainsi sur la figure d’Antigone et sur les discussions auxquelles les textes hégéliens ont donné lieu. D’autres contributions s’attachent aux figures divines ; aux héroïnes tragiques ; à tel passage sur la Mère dans la Phénoménologie de l’esprit ; sur la Némésis dans la Logique ; ou sur le Sphinx dans la Philosophie de l’histoire. La quatrième partie traite de la réception de Hegel au XXe siècle, mais en commentant ici de nombreux auteurs masculins tels qu’Alexandre Kojève, Theodor W. Adorno, Gilles Deleuze, Jacques Derrida et d’autres (« subversion ou réconciliation » ?). La cinquième et dernière partie propose enfin des « suggestions pour une réinterprétation » de la « philosophie de l’esprit absolu ». Elle constitue ainsi un pendant cohérent à la première partie sur la nuit de la raison. C’est la dimension esthétique qui est ici au centre, comme dans la contribution d’introduction, d’ailleurs. Mais on trouve également une interprétation des religions, et finalement, à nouveau, la question du féminisme et le thème de la domination et de la servitude. La contribution finale porte quant à elle sur la dialectique. L’ouvrage procède du premier World WoMen Hegelian Congress tenu à l’Université de Rome en 2018. De ce fait, une certaine contingence pourra expliquer que certaines autrices, ou certains auteurs, n’aient pas leur nom dans ce volume. Mais n’est-ce pas une raison supplémentaire pour en attendre une suite – et peut-être justement du côté de la philosophie française, laquelle est tellement mise à l’honneur dans ce volume international ?

Alain Patrick OLIVIER (Nantes Université)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXXII chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Stefania ACHELLA, Francesca IANNELLI, Gabriella BAPTIST, Serena FELOJ, Fiorinda LI VIGNI & Claudia MELICA (dir.), The Owl’s Flight. Hegel’s Legacy to Contemporary Philosophy, Berlin, De Gruyter, 2021, 661 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.

♦♦♦

 

G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst III. Nachschriften zum Kolleg des Wintersemesters 1828/29 (Gesammelte Werke, Bd. 28,3), éd. Walter Jaeschke et Niklas Hebing, Hamburg, Meiner, 2020, VIII-259 p.

La publication des cours d’esthétique se poursuit dans le cadre de l’édition des œuvres complètes de Hegel, avec un troisième volume contenant le cours du semestre d’hiver 1828-1829, c’est-à-dire le dernier des quatre cours d’esthétique de Berlin. Le texte suit le cahier de l’étudiant Adolf Heimann, déjà publié par A. Gethmann-Siefert et l’auteur de la présente recension, à la suite d’un travail entrepris dès 1995 (voir Vorlesungen zur Ästhetik. Vorlesungsmitschrift Adolf Heimann (1828/29), éd. A. P. Olivier et A. Gethmann-Siefert, Paderborn, Fink, 2017). Le manuscrit est extrêmement elliptique, composé uniquement d’abréviations, dont le sens est à extrapoler en permanence. Les éditeurs s’appuient ici sur leur propre transcription. Des divergences de lectures apparaissent ainsi entre les deux éditions. Elles ne modifient pas toujours le sens du texte, et permettent quelquefois de résoudre certaines difficultés. Mais nous n’approuvons pas pour autant l’ensemble des leçons. Par exemple, au début du cours, dans la définition même du mot « esthétique », les éditeurs lisent : « il est l’expression de la beauté et de l’art des Anciens » (Kunst der alten) alors que nous continuons de lire : « il est l’expression de la beauté et de l’art de celle-ci » (Kunst derselben), c’est-à-dire de l’art du beau. Définir l’esthétique comme la science du beau des Anciens renforce certes la thèse de H. Kuhn, mais contredit le reste du cours et n’est guère conforme au manuscrit. Les éditeurs ont choisi de conserver les bizarreries dans l’orthographe des noms propres, voire les erreurs, comme pour Battheux (Batteux), Neinhard (Meinhard) ou Tigal (Pigalle). Il ne faut pas exclure que Heimann, comme tout étudiant, ait pu commettre quelques erreurs en transcrivant le cours, ni que Hegel lui-même ait pu se tromper, ce qui arrive même aux professeurs, ou que l’on ne soit pas d’accord avec lui (par exemple dans sa présentation de Kant, malgré l’intéressant élargissement du concept de Zweckmässigkeit). Dans certains passages, le sens reste indécidable. Ce ne sera pas le moindre mérite de ces éditions que de faire appel au nécessaire sens critique du lecteur ou du chercheur. Le texte de Heimann, très riche et très complet, se trouve ici complété par des variantes empruntées aux cahiers de K. Libelt, H. Rolin et d’un « fragment anonyme ». La thèse du caractère passé de l’art se trouve renforcée par des formulations encore plus nettes dans Heimann, où il est même question d’anéantissement (Vernichtung) de l’art (mais cela fait partie des indications marginales supprimées dans le volume des GW). C’est surtout dans le détail que se révèle la richesse du document. La datation de chaque leçon nous permet de suivre au jour le jour l’enseignement de Hegel en lien avec les événements artistiques du moment. Jamais l’idée que la philosophie a pour fonction de penser son temps n’apparaît plus clairement. La densité conceptuelle du texte est telle que le propos demeure parfois énigmatique. Mais on est surpris et charmé à chaque lecture par des formulations qui nous invitent à mettre en question perpétuellement ce que nous tenons pour acquis concernant notre conception de l’art et de Hegel. Hotho dit avoir utilisé Heimann entre autres cahiers pour son édition posthume et l’on peut désormais observer de façon très précise comment il a redistribué, développé, complété, édulcoré ou corrigé ce matériau. Comme dans les deux volumes précédents des GW 28, on ne trouvera nulle introduction, nul avant-propos ni note. Le lecteur devra donc attendre et acquérir le quatrième volume pour accéder à l’apparat critique nécessaire à toute édition scientifique, qui lui permettra, comme au recenseur, de porter un jugement plus éclairé sur le document. Nous nous permettons de ce fait de renvoyer à l’édition Fink aussi pour ce qui est des informations relatives à la description du manuscrit, à l’histoire du texte, à la présentation de son contenu et aux éclaircissements. Signalons enfin qu’une traduction française de ce cahier est en cours (sous la direction de Mildred Galland-Szymkowiak et du recenseur).

Alain Patrick OLIVIER (Université de Nantes)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXXI chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst III. Nachschriften zum Kolleg des Wintersemesters 1828/29 (Gesammelte Werke, Bd. 28,3), éd. Walter Jaeschke et Niklas Hebing, Hamburg, Meiner, 2020, VIII-259 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.</p

♦♦♦

Paul A. KOTTMAN & Michael SQUIRE (dir.), The Art of Hegel’s Aesthetics. Hegelian Philosophy and the Perspectives of Art History, Paderborn, Fink, 2018, 408 p.

Le sous-titre « la philosophie hégélienne et les perspectives de l’histoire de l’art » renseigne bien sur l’orientation de ce collectif interdisciplinaire réunissant et faisant dialoguer historiens de l’art et philosophes autour de la valeur scientifique des cours d’esthétique de Hegel. L’ouvrage fait suite à une « conversation » menée en Allemagne et à un colloque organisé à Londres par le philosophe américain Paul A. Kottman et l’historien de l’art britannique Michael Squire. Il témoigne à l’évidence de la vitalité des travaux autour de l’esthétique hégélienne dans le monde anglophone depuis quelques années (et de la vitalité de la réception allemande). La forme de la conversation évite l’usage dogmatique et permet une double démarche critique, qui met la philosophie spéculative à l’épreuve des travaux de l’histoire de l’art et de l’archéologie et réciproquement, dans un contexte scientifique marqué par une attention accrue pour la perspective globalisante en histoire. On ne peut que saluer cette initiative, qui prend au sérieux l’esthétique comme « science de l’art » et interroge avec pertinence ses fondements épistémologiques. L’une des spécificités de l’ouvrage est de s’attacher à la période classique, à ce que Hegel dit de la période égyptienne et de la période gréco-romaine, et à la transition entre la forme symbolique et la forme classique. Cela conduit à mettre en question l’anthropologie présupposée par l’esthétique, le rapport de l’animal et de l’humain, de l’esprit et du corps. On trouve également le souci de lire la sculpture contemporaine – et pas seulement la peinture moderne – à partir du schéma narratif hégélien.

Les éditeurs font part en même temps de leur scepticisme concernant l’origine théologique, chrétienne-protestante, de certaines catégories esthétiques voire du cadre général de l’esthétique, qui marquerait l’ensemble du discours d’une forme de contingence. On pourrait alors se demander, après la lecture de l’ouvrage, s’il ne serait pas intéressant également de vérifier la validité de ces hypothèses sceptiques par une démarche empirique. Cela pourrait consister, par exemple, à élargir le cercle de la conversation à des participants non-européens ou non-occidentaux et à interroger plus avant les formes d’art non-occidentales. Car ce volume montre bien que la discussion est d’autant plus intéressante qu’il s’agit non pas de l’art gréco-romain, ou chrétien-romantique (un champ où l’esthétique hégélienne est supposée avoir une pertinence), mais de l’art égyptien et, d’une façon générale, de la forme d’art symbolique, qui apparaît comme l’une des catégories les plus actuelles et productives de Hegel.

Alain Patrick OLIVIER (Université de Nantes)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXIX chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Alain Patrick OLIVIER, « Paul A. KOTTMAN & Michael SQUIRE (dir.), The Art of Hegel’s Aesthetics. Hegelian Philosophy and the Perspectives of Art History, Paderborn, Fink, 2018 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.

♦♦♦

Alberto L. SIANI, Morte dell’arte, libertà del soggetto. Attualità di Hegel, Pisa, Edizioni ETS, 2017, 146 p.

Dans son nouvel ouvrage intitulé La Mort de l’art, liberté du sujet, sous-titré L’actualité de Hegel, Alberto L. Siani rassemble sept études publiées entre 2013 et 2015 destinées à interroger la façon dont le thème hégélien de la « mort de l’art » est anticipé dans les philosophies de Kant et de Schiller, et plus généralement la façon dont ce thème affecte la conception d’ensemble de ces systèmes, non seulement la philosophie de l’art, mais la conception du sujet transcendantal, la structure du savoir, la dimension éthico-politique, la représentation de la modernité et ultimement le concept de liberté. La thèse générale est assez transparente : la proposition de la mort de l’art est corrélative, dans la philosophie moderne, de la « liberté du sujet », suivant le principe central – énoncé dans la Phénoménologie de l’esprit – de la substance devenue sujet. En ce sens, Siani admet qu’il s’agit là d’une proposition affirmatrice et libératrice, et non d’une formulation réactive déterminée par une attitude nostalgique et classicisante envers la religion de la beauté ou l’époque de la totalité harmonieuse, une approche que l’on ne peut que saluer. La première étude porte sur la faculté de juger esthétique de Kant, appréhendée paradoxalement comme « savoir non-esthétique », au sens où elle provient moins d’une réflexion sur l’art que d’une nouvelle conception du sujet et de la philosophie. La seconde étude porte sur la Phénoménologie de l’esprit. La troisième étude est consacrée à Schiller, qui constitue effectivement une médiation centrale entre Kant et Hegel et sans doute l’origine véritable non seulement de l’esthétique de ce dernier, mais de sa conception d’ensemble de la philosophie. Dans la quatrième étude sur « la généalogie hégélienne de la modernité entre esthétique et anesthétique », l’auteur fait jouer de façon variée le couple conceptuel esthétique/anesthétique proposé par Marquard. La cinquième étude, sur « l’impossible mosaïque de l’humain », est consacrée plus spécifiquement à la théorie de la forme d’art romantique dans le cours d’esthétique où se trouve thématisée de façon marquée la thèse de la « fin de l’art » chez Hegel, et paradoxalement comme « début ». (Car c’est bien de la « fin de l’art » dont il s’agit, pourrait-on objecter à l’auteur, le thème de la « mort de l’art » ne se trouvant nulle part chez Hegel.) La sixième étude revient sur l’interprétation de Hölderlin par Heidegger visant à élaborer une forme de « religion artistique pour l’Europe » que critique l’auteur. L’ouvrage se clôt par une réflexion sur l’Antigone de Sophocle chez Hegel appréhendée du point de vue de la question des droits de l’homme aujourd’hui et d’une justice qui demeurerait toujours « incomplète ». L’actualité de Hegel dont il doit être question dans cet ouvrage s’interprète dans l’ensemble comme une enquête rétrospective sur les fondements de la modernité et de la conscience européenne, y compris dans la sphère du droit, un peu à la manière de Habermas, qui est cité quelquefois. L’auteur définit néanmoins lui-même les limites de son enquête, lorsqu’il précise qu’il traite de la modernité européenne sans aborder la question de son universalité, c’est-à-dire de sa valeur en des contextes non-européens, ce qui est cohérent avec la distance affichée à l’égard de la conception universaliste de la politique et du « cosmopolitisme occidental ». Ce sera peut-être l’objet d’un prochain ouvrage puisque A. Siani précise que ses études ont été élaborées en Italie, en Allemagne, mais aussi en Turquie.

Alain Patrick OLIVIER (Université de Nantes)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXVIII chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Alain Patrick OLIVIER, « Alberto L. SIANI, Morte dell’arte, libertà del soggetto. Attualità di Hegel, Pisa, Edizioni ETS, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

♦♦♦

Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst I. Nachschriften zu den Kollegien der Jahre 1820/21 und 1823 (Gesammelte Werke, Band 28,1), hrsg. von Niklas Hebing, Hamburg, Meiner, 2015, 513 p.

Ce premier volume des Gesammelte Werke consacré à la philosophie de l’art de Hegel présente les cours donnés par Hegel à Berlin en 1820/1821 et 1823. Il n’offre pas un matériau nouveau, car ces cours ont été publiés auparavant. H. Schneider a édité en 1995 le cahier d’Ascheberg pour le cours de 1820/21, et A. Gethmann-Siefert a édité pour la première fois en 1998 le cahier de Hotho pour l’année 1823. Il semble que la présente édition s’appuie sur ce précédent travail éditorial sans qu’il soit possible de l’attester. En effet, les noms des précédents éditeurs – sans doute auteurs des transcriptions – n’apparaissent pas, ce qui laisse penser à un tout nouveau travail d’édition des sources. Mais le présent volume est tel qu’il ne contient aucune présentation ou avertissement, ni aucune information sur l’origine des textes. Il faudra attendre la publication d’un autre volume pour que le lecteur puisse disposer de la présentation scientifique et de l’apparat critique indispensables à une édition aussi ambitieuse que celle des Gesammelte Werke. Le texte de 1820/21 ne semble pas différer en tout état de cause de l’édition précédente. Il n’est d’ailleurs pas nécessairement corrigé dans ses éventuelles erreurs de transcription (par exemple, dans le passage sur la comédie, je lis sur le manuscrit, p. 270, « die Mücke » et non « die Flüche »). En revanche, pour le cours de 1823, l’éditeur semble proposer une version révisée du cahier de Hotho et donne un complément à l’édition de Gethmann-Siefert. Renonçant au principe de la compilation, il choisit en effet de suivre ce manuscrit de Hotho tout en proposant également des variantes issues du cahier de Kromayer (comme nous le faisions dans notre propre édition du manuscrit anonyme de la bibliothèque Victor Cousin, une source à laquelle il aurait pu être fait référence). Il faudra néanmoins attendre les volumes suivants pour que nous puissions nous forger un avis définitif sur cette nouvelle édition critique des cours d’esthétique. Dans l’attente, les lecteurs et les chercheurs seront sans doute tentés de se référer plutôt aux éditions originales et plus accessibles de Schneider et de Gethmann-Siefert (cette dernière comportant préface, notes, index) dans leur approche scientifique des textes.

Alain Patrick OLIVIER (Université de Nantes)

Lire l’intégralité de ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXVII chez notre partenaire Cairn 

Pour citer cet article : Alain-Patrick OLIVIER, « Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst I. Nachschriften zu den Kollegien der Jahre 1820/21 und 1823 (Gesammelte Werke, Band 28,1), hrsg. von Niklas Hebing, Hamburg, Meiner, 2015 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.

Du même auteur :

  • Alain-Patrick OLIVIER, « La logique de l’action de Michael Quante », Archives de Philosophie, 2012, 75-2, 267-278.