Auteur : Alberto De Vita

 

Stiegler, Barbara, Nietzsche et la vie. Une nouvelle histoire de la philosophie, Gallimard, Paris 2021, 441 p.

Le chapitre « Premier écran : l’ego de Descartes », conformément aux intentions du volume et à sa méthode herméneutique, se propose d’examiner le premier obstacle, l’écran – peut-être le principal – qui a obscurci la compréhension correcte de la vie (manifestée dans le phénomène du corps) décrite par Nietzsche : l’écran de l’ego cartésien (p. 34). En effet, affirme-t-il, la position nietzschéenne du corps comme leitmotiv en philosophie constitue une prise de position contre la primauté du sujet et de sa conscience, admise par Descartes et par toute la tradition philosophique moderne, mais également renouvelée par la phénoménologie contemporaine. Toutefois, poursuit-il, si l’opposition entre Nietzsche et la phénoménologie est évidente, sa relation avec Descartes s’avère très complexe (p. 42). D’ailleurs, à certains égards, Nietzsche semblerait rester cartésien : non seulement il fait du corps le point de départ de l’enquête philosophique (au détriment de l’autoconscience cartésienne) sur la base de la recherche de la règle méthodologique de la distinction (à la suite de Descartes), mais il assume même l’instance (cartésienne) de la méthode afin de sauvegarder l’intégrité et l’unité du sujet. Néanmoins, Nietzsche n’adopte une perspective cartésienne que pour la renverser : le canon méthodologique de la distinction, par exemple, ne vise nullement à la simplification, mais plutôt à l’indication de la complexité de la réalité et de l’ego ; de même, le sujet unitaire assumé par Nietzsche constitue la simple somme ou agrégation de nombreux ego (p. 46). En ce sens, Nietzsche semble assumer l’instance cartésienne de l’unité de l’ego seulement pour la déconstruire, en niant son existence : la critique nietzschéenne s’abat donc sur toute forme d’unité égocentrique perceptible dans la philosophie de Descartes – autant sur la réflexion, traditionnellement associée à la cogitatio cartésienne, que sur l’instance auto-affective, lato sensu phénoménologique (Michel Henry) : « Tandis que Descartes part […] de l’unité comme d’une chose déjà donnée, tandis qu’ici la méthode s’est déjà donné ce qu’elle cherchait, Nietzsche expérimente, comme le corps vivant, une […] énorme diversité de ce qui lui arrive » (p. 54).

Alberto De Vita (Diaporein, Università Vita-Salute San Raffaele di Milano)

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Pour citer cet article : Stiegler, Barbara, Nietzsche et la vie. Une nouvelle histoire de la philosophie, Gallimard, Paris 2021, 441 p., in Bulletin cartésien LII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 135-180.

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Mehl, Édouard, « De Descartes à Nietzsche, et retour. Les chaogitationes privatæ de Jean-Luc Nancy », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, n° 51, 2022, p. 19-32.

L’article vise à examiner l’approche de l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire de la « pratique de l’enseignement et du commentaire des textes » (p. 20), de J.-L. Nancy. À cette fin, il se concentre sur l’interprétation avancée par celui-ci dans Ego sum (Paris 1979) de la philosophie de Descartes, détectant immédiatement sa dépendance et sa distance par rapport à la lecture heideggérienne de Descartes : en effet, si ce dernier visait à lire Nietzsche avec Descartes , le but de J.-L. Nancy consiste à lire Descartes avec Nietzsche, afin de s’assurer une perspective finalement non-métaphysique, voire unitaire, avec laquelle aborder la philosophie cartésienne. Selon lui, Descartes, loin de se présenter comme philosophe de la représentation ou de la substance (métaphysiques), décrit un ego doté d’une pensée constitutivement incertaine et indéterminée, qualifiable comme chaogito – ce qui, pour É. Mehl, rapproche considérablement l’ego cogito cartésien ainsi décrit de l’intellect hylétique ou possible d’Aristote (p. 25). Néanmoins, poursuit l’article, cette tentative de renverser la lecture heideggérienne de Descartes ne réussit que partiellement : l’insistance sur la description du cogito comme chaogito ne fait que relancer, quoique par contraste, l’interprétation de l’activité de la cogitatio comme vorstellen présentée par Heidegger. D’où la nécessité de « l’épreuve inlassablement recommencée » par J.-L. Nancy (p. 29) : la tentative de relire l’ego cartésien et d’approfondir le dialogue avec Heidegger sur le problème du sujet – épreuve qui le conduira, relève l’auteur, à privilégier l’amour, l’instance érotique, comme dernière figure de l’ego de Descartes, en accord avec la voie suivie par Levinas et Jean-Luc Marion (p. 30).

Alberto De Vita (Diaporein, Università Vita-Salute San Raffaele di Milano)

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Pour citer cet article : Mehl, Édouard, « De Descartes à Nietzsche, et retour. Les chaogitationes privatæ de Jean-Luc Nancy », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, n° 51, 2022, p. 19-32, in Bulletin cartésien LIII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 185-240.

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