Auteur : Alessio Lembo

Carlo ALTINI (a cura di) : La fortuna di Spinoza in età moderna e contemporanea, Pisa, Edizioni della Normale, 680 p., vol. I : Tra Seicento e Settecento ; vol. II : Tra Ottocento e Novecento.

Les deux volumes de cette édition se composent de trente-six essais au total, et, pour ne tenir compte déjà que de la taille de l’ouvrage, il s’agit là d’une des contributions les plus significatives de ces dernières années sur la réception de Spinoza en Europe. Quelle est la nécessité théorique, notamment, mais pas seulement, pour l’historien de la philosophie, de réfléchir de façon aussi approfondie sur la réception d’un auteur déterminé ? Et pourquoi cela s’applique-t-il en particulier à Spinoza, philosophe longtemps condamné et négligé, commenté par tous depuis toujours, mais lu avec attention seulement depuis quelques décennies ? Avant tout, il convient de préciser qu’on entend par « réception » l’analyse de ce destin, propre aux grands classiques, qui fait qu’ils semblent devoir être interprétés selon des modalités parfois opposées et contradictoires. Telle est justement, en effet, la caractéristique qui a fait de Spinoza un classique de la culture philosophique européenne et mondiale. Il faut toutefois noter que la ligne de démarcation entre la réception de Spinoza et la discussion autour du « spinozisme », autrement dit autour de cet ensemble de conjectures, la plupart du temps imprécises, associées à la figure presque stéréotypée du philosophe hollandais, a toujours été très subtile, au moins jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. En tenant compte de cet état de fait, le texte ne se propose pas du tout de restituer le « vrai Spinoza », mais de souligner comment certaines de ses positions théoriques ont joué le rôle de modèle de référence dès les premières années qui ont suivi la mort de l’auteur. Ce que le lecteur notera immédiatement est la prédilection de l’ouvrage pour une structuration temporelle, de préférence à une division « spatiale » des contributions, comme pour souligner une présence souterraine et constante de Spinoza dans ce qu’on pourrait définir comme la « pensée européenne ». Au-delà du mérite évident qu’il y a à réussir à faire tenir ensemble un grand nombre de contributions et, ainsi, à fournir au lecteur un tableau aussi vaste, les deux volumes touchent autant à la réception de Spinoza chez des philosophes aussi « renommés » que lui, de Leibniz à Nietzsche, en passant par Kant, Hegel et Schelling, que chez des auteurs moins connus du grand public, mais qui ont sans aucun doute contribué à développer une idée du spinozisme qui se retrouve dans les grands systèmes de pensée de l’époque moderne et contemporaine. À côté des interventions portant sur la réception de Spinoza chez tel ou tel auteur, on trouve aussi certaines contributions visant à décrire la présence du philosophe hollandais dans des contextes déterminés, comme le déisme du XVIIIe siècle et la philosophie « clandestine » française, mais aussi le romantisme et l’idéalisme anglais, la philosophie de la nature allemande, et l’idéalisme italien. Il va de soi que, même dans un ouvrage aussi développé, il est impossible d’accorder une juste attention à chacun des auteurs et à chaque contexte qu’on peut rattacher à la réception de Spinoza. Par exemple, il y a peu de place dans l’ouvrage pour l’analyse de ces « têtes de pont » qui, au XXe siècle, jettent les bases de la discussion actuelle sur Spinoza (Deleuze, Althusser, Negri, pour n’en citer que quelques-uns). Toutefois, même si le responsable de la publication souligne que certains auteurs de première importance n’ont pas été traités dans l’ouvrage (p. 13), les différents contextes de référence s’y trouvent tous abordés de manière plus ou moins approfondie : par exemple, même s’il n’y a pas de contributions spécifiques sur Deleuze ou Althusser, le contexte dans lequel ils ont développé leur pensée, c’est-à-dire la réévaluation de l’histoire de la philosophie dans les premières décennies du XXe siècle français, est amplement traité. Le lecteur notera en outre l’eurocentrisme de la discussion, ce qui ouvrirait sans doute un intéressant débat, qui bien sûr ne peut être abordé convenablement ici. En conclusion, La fortuna di Spinoza in età moderna e contemporanea se présente sans nul doute comme la tentative la plus ample en langue italienne de repenser « de façon systématique un long chapitre de l’histoire de la culture, à travers lequel il est possible de lire à contrejour quelques traces de la pensée du philosophe hollandais et en même temps de chercher à déterminer certaines caractéristiques de beaucoup de philosophes qui se sont confrontés à Spinoza » (p. 13, nous traduisons). Si l’intention de l’ouvrage a bien été de « construire un kaléidoscope des méthodes, des langages et des thèmes qui enrichiront la pluralité et le caractère contradictoire des images de Spinoza » (p. 14), on peut dire que cet objectif est largement atteint.

Alessio LEMBO

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Pour citer cet article : Carlo ALTINI (a cura di) : La fortuna di Spinoza in età moderna e contemporanea, Pisa, Edizioni della Normale, 680 p., vol. I : Tra Seicento e Settecento ; vol. II : Tra Ottocento e Novecento, in Bulletin de bibliographie spinoziste XLIII, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 181-218.

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