Auteur : Alice Simionato

« L’Attualità di Spinoza », Circolo – Rivista di filosofia e culture, 8, 314 p.

Le numéro explore le thème de l’actualité de Spinoza, présentée comme une source d’outils critiques pour interpréter la contemporanéité. Ce thème occupe toute la section I de la revue (« La question philosophique », p. 13-152), dont les contributions constituent une mosaïque de perspectives à travers lesquelles la pensée spinozienne se présente comme un « réactif critique » fondamental pour saisir le présent. Étienne Balibar dans « Locke e Spinoza : un punto di eresia » (p. 13-27) compare les théories de la « conscience » développées par Locke et Spinoza. Les affinités et divergences qui se dégagent de cette confrontation sont considérées par Balibar comme un « point d’hérésie » fondamental qui caractérise les débats contemporains sur la psychologie et la philosophie de l’esprit, au-delà des objectifs des deux penseurs. Dans le même esprit de divergence critique, Vittorio Morfino (« Tempi differenti non sono simultanei, ma successivi », p. 28-48) analyse les réflexions sur la temporalité spinozienne formulées par Jacobi et Herder à la fin du XVIIIe siècle, qui se présentent comme l’antithèse de la conception kantienne du temps comme forme a priori. En esquissant les limites de ces interprétations, Morfino montre comment la « temporalité plurielle » de Spinoza parle d’une complexité chorale qui dépasse toute forme de schématisme. Dans « Necessità e tempo nella metafisica di Spinoza » (p. 49-65), Alberto Giovanni Biuso poursuit la réflexion sur la temporalité, ici considérée en relation avec l’essence éternelle et indivisible de la substance. En se fondant à la fois sur l’Éthique et sur la Korte Verhandeling, il se concentre sur le rapport entre être et devenir, en dépeignant Spinoza comme le penseur d’une métaphysique de la « matière-temps », dans laquelle le temps des choses finies assume un caractère éthique et politique. Ensuite, Steph Marston dans « Identity, Agreement, and ’Othering’: Spinoza’s Politics of Recognition » (p. 66-79) discute de la relation indissoluble entre les dimensions métaphysique et politique de la pensée de Spinoza. Selon Marston, la conception de la convenance de nature (entendue comme fondement à la fois ontologique et épistémologique de la communauté) implique l’émergence constante d’affinités avec « l’autre », qui se révèlent en termes d’appartenance et de conflit ; dans cette perspective, la conception spinozienne de l’espace politique offre une ressource importante pour réinterpréter la relation entre conflit et politique identitaire.

Dans « Spinoza, Freud et l’intelligence artificielle » (p. 80-101), Isabelle Ledoux-Sgambato considère la pertinence de la métaphysique spinozienne comme un outil d’évaluation des développements récents de l’intelligence artificielle, en prenant comme objet d’étude Replika (une application qui prétend fonctionner comme une voix amicale). Utilisant des outils spinozistes et freudiens pour cartographier le corps, l’esprit et les affects, Ledoux-Sgambato place dans une perspective critique les asymétries trouvées dans la comparaison entre les performances de l’intelligence artificielle et le vécu humain, en fournissant des considérations importantes sur les conséquences découlant de l’utilisation de ces technologies. Les trois derniers articles se concentrent sur le rapport entre l’actualité de Spinoza et la pensée politique contemporaine. Dans « Questioning Spinoza on Positive Freedom » (p. 102-118), Matteo De Toffoli propose une reconstruction critique du débat entre Isaiah Berlin et David West sur la liberté spinozienne, grâce à laquelle la conception « positive » et paternaliste de cette dernière est réfutée à partir d’une lecture du Tractatus où la liberté positive et la liberté négative sont nécessairement intriquées. La reconstruction de De Toffoli montre comment cette réfutation se fonde sur une lecture de Spinoza comme penseur d’une rationalité plus complexe et nuancée que celle qu’on lui attribue communément. C’est dans la continuité de ce problème que se situe la contribution d’Alfonso Vergaray, « Thinking with Spinoza about Uncertainty Today » (p. 119-129), qui discute du rôle de l’incertitude dans la théorie spinozienne des affects. L’auteur note que cette dernière constitue un élément positif, car elle représente le fondement démocratique de la coexistence communautaire entre individus libres. En conclusion, Heidi M. Ravven (« Spinoza and the Remaking of American Civil Religion », p. 120-130) examine comment la conception spinozienne de la religion civile peut fournir des perspectives renouvelées pour la participation politique dans le contexte de la démocratie américaine. Dans la section III de la revue («Cultures», p. 196-210), Adriano Ercolani propose une comparaison interculturelle entre le monisme de Spinoza et celui de Shankara, tandis que Sofia Sandreschi (section IV, « Intersections », p. 211-233) discute de la conception des affections spinoziennes en dialogue avec Proust.

Les contributions à ce numéro fournissent des perspectives importantes sur le rôle déstabilisateur et fructueusement critique qu’offre la pensée de Spinoza dans le contexte contemporain.

Alice SIMIONATO

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Pour citer cet article : « L’Attualità di Spinoza », Circolo – Rivista di filosofia e culture, 8, 314 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLIII, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 181-218.

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