Auteur : Anaïs Delambre

 

Pierre-François MOREAU et Lorenzo VINCIGUERRA (dir.) : Spinoza et les arts, Paris, L’Harmattan, 283 p.

En 2014, le colloque « Spinoza et les arts » a exploré le rapprochement entre deux domaines traditionnellement distincts à partir du scolie de la proposition 45 de la partie IV [51] : au-delà de la critique de l’ascétisme, ce scolie appelle à une lecture anthropologique laissant un espace pour l’esthétique dans la philosophie de Spinoza. D’autres passages de l’Éthique pourraient prêter à ce type d’interprétation. En rattachant ce besoin d’esthétique au conatus, il est possible de penser les arts avec Spinoza par leur participation à la persévérance de l’être. Ainsi, le présent ouvrage explore le rapport entre Spinoza et les arts suivant trois axes de réflexion : une approche historique et historiographique examinant les rapports entre Spinoza et les arts de son temps (« Spinoza et les arts ») ; une approche inverse pour comprendre ce que les artistes ont pu puiser chez Spinoza (« Les arts et Spinoza ») ; une esquisse de ce que serait une esthétique spinoziste (« L’esthétique de Spinoza ? »).

Plus précisément, dans la première partie, nous retrouvons par exemple un article de P.-F. Moreau consacré à la société Nil volentibus arduum, créée en 1669 à Amsterdam et dont le but était notamment de rénover la dramaturgie. Nous n’avons pas la preuve irréfutable que Spinoza a pris part aux activités de cette société, si ce n’est par l’identité de certains de ses membres qui appartenaient au cercle de ses amis et correspondants. Pourtant, certains indices explorés esquissent l’image de Spinoza en amateur de théâtre, comme E IV, prop. 45, scolie, ou encore le rapport entre Spinoza et le baroque, tel qu’il a été également étudié par Saverio Ansaldi [52]. Cette étude est complétée par l’article de Maxime Rovere, « Spinoza au théâtre ». Ce dernier fait l’hypothèse d’un rapport entre Spinoza et les arts de la scène que l’on peut retrouver dans la biographie du philosophe et dans certains passages de sa philosophie qui font écho au contexte dans lequel cette dramaturgie se développe.

Dans la seconde partie, on se place du point de vue des arts. L’article de Sergio Rojas Peralta propose une lecture spinoziste des peintures de De Hooch, comme l’Homme remettant une lettre à une femme dans le hall d’entrée d’une maison (1670). D’emblée, le jeu entre l’intérieur et l’extérieur est perçu de la manière suivante : « Rendre visible l’invisible, c’est en effet le jeu de l’extériorité sur l’intérieur, qui dévoile la constitution de ce qui nous est invisible : “le corps humain existe tel que nous le sentons” » (p. 158). Cette deuxième partie comporte aussi un article de Mériam Korichi intitulé « Spinoza à Kiev », qui apporte son regard de dramaturge et de metteuse en scène dans le débat pour mieux éclairer le rapport que les artistes entretiennent avec le philosophe hollandais.

Enfin, la question d’une éventuelle esthétique spinoziste est abordée dans la troisième et dernière partie. À partir d’éléments biographiques attestant la fréquentation des arts par Spinoza, Lorenzo Vinciguerra interroge les rares occurrences des arts dans les textes de Spinoza afin de proposer des « éléments pour orienter une réflexion sur l’art susceptible d’inspirer sinon une esthétique, de fait absente, du moins une manière d’envisager les activités artistiques (…) » (p. 197), et notamment la question des corps. Cette dernière question est aussi l’objet de l’article de Julie Henry qui porte sur les « fondements spinozistes d’une esthétisation des corps » (p. 231), par notre rapport sensitif et affectif au corps. L’approche anthropologique est, en effet, l’une des pistes les plus fécondes lorsque l’on souhaite faire une lecture esthétisante de la pensée de Spinoza.

La richesse de Spinoza et les arts tient tout particulièrement au dialogue entre les disciplines et les approches, créant un espace de réflexion qui dépasse la philosophie pour élargir les champs d’influence de la pensée de Spinoza aux arts. Cet ouvrage est comme la version française d’un courant de recherche existant depuis les années 1920 en Allemagne avec les travaux de Franz Schlerarth ou de Carl Gebhardt, et renouvelé depuis les années 2000 avec les travaux de Martin Bollacher, Thomas Kisser et Manfred Walther notamment. Il dresse un état de la recherche française et italienne sur cette question et démontre une nouvelle fois une profondeur encore peu explorée dans la pensée de Spinoza.

Anaïs DELAMBRE

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de bibliographie spinoziste XLIII chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : Pierre-François MOREAU et Lorenzo VINCIGUERRA (dir.) : Spinoza et les arts, Paris, L’Harmattan, 283 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLIII, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 181-218.</p

♦♦♦