Auteur : Andrea Costa

Wenchao LI (éd.), 300 Jahre Monadologie. Interpretation, Rezeption und Transformation, Studia Leibnitiana – Supplementa 39, Stuttgart, Franz Steiner, 2017, 313 p.

Ironie de l’histoire d’une réception philosophique déjà incroyablement tourmentée, les 90 paragraphes de la dénommée Monadologie continuent de représenter pour le grand public la voie la plus pratique, la plus synthétique et, somme toute, la plus accessible pour aborder le système de Leibniz ; et ce, alors que les spécialistes peinent même à s’accorder (et quand ils y parviennent, c’est plus par résignation face à un usage établi que par conviction réelle) sur le titre qu’il faudrait leur donner.

Texte structuré selon la plus rigide des architectures conséquentielles ou simple répertoire désarticulé de positions philosophiques, mémoire privé nous livrant un aperçu des arcanes les plus intimes de la réflexion mûre de Leibniz ou première ébauche d’un « système-grand public » offert au génie douteux d’un poète d’occasion, véritable étoile polaire pour les exégètes de la philosophie leibnizienne ou notule de travail surestimée – devant en grand partie sa renommée à un titre tant arbitraire qu’alléchant – depuis sa première publication en 1720 par les soins de Heinrich Köhler jusqu’à nos jours, les commentateurs ont passé en revue toutes ces possibilités non réellement compatibles, sans qu’une véritable forme de consensus herméneutique ne semble poindre à l’horizon.

En faisant semblant de s’accorder au moins sur le moment précis de sa rédaction, la communauté leibnizienne a donc salué 2014 comme l’année du tricentenaire de la Monadologie, multipliant ainsi les occasions et les initiatives de rencontres pour se confronter à nouveau à cet épineux autant que passionnant dossier. La parution du volume des Supplementa des Studia Leibnitiana, édité par Wenchao Li en 2017 se situe dans ce cadre, en recueillant les communications présentées au grand colloque – tenu à Hanovre du 9 au 11 octobre 2014 – entièrement consacré aux 90 articles en question. L’ouvrage représente à son tour le couronnement d’une série de productions éditoriales complémentaires, toutes parues entre 2013 et 2016, auxquelles tout lecteur désireux d’explorer sérieusement les multiples questions soulevées par cet écrit devra faire référence : in primis, le numéro spécial des Studia Leibnitiana, The Monadology after Leibniz, édité par François Duchesneau [88], en passant par le volume supervisé par Wenchao Li et Monika Meier, Leibniz in Philosophie und Literature um 1800 [89], jusqu’au recueil La Monadología de Leibniz a debate, publié en 2016 par Juan A. Nicolás et alii [90].

L’ouvrage comprend dix-huit contributions (en allemand, français et anglais) subdivisées en trois domaines thématiques – interprétations, réceptions et transformations – dont la pertinence, à dire vrai, est contestable, en particulier lorsque l’on considère que l’objet examiné semble justement tenir sa complexité de la superposition inextricable de ces trois niveaux.

La section consacrée aux transformations – animée par l’ambition aussi originale que louable d’explorer les influences exercées par la « pensée monadique » en dehors du strict domaine de la philosophie – est sans doute celle qui parvient le mieux à identifier et à délimiter son propre objet, en abordant des champs disciplinaires tels que la psychologie, la sociologie et l’art. On y trouve notamment des contributions consacrées à la conception néo-monadologique qui caractérise l’œuvre de Jean-Gabriel Tarde (Michael Schillmeier, Gabriel Tarde’s Neo-Monadology, p. 255-277), aux rapports entre la théorie leibnizienne des perceptions et celle de l’inconscient chez Freud (Patrizia Giampieri-Deutsch, Nach Leibniz : Die Entwicklung der Auffassung eines nicht-bewussten Denkens bei Freud, p. 235-253), aux possibles applications du dispositif théorique monadologique dans le domaine de l’art et de la poétique (Charles De Roche, Apperzeption, Glück. Überlegungen zu einer monadologischen Poetik in Anschluss an ein Gedicht von Robert Walser, p. 227-236) et aux rapports entre les figures de l’art et les questionnements de Leibniz sur l’ordre et les dimensions (Oswald Egger, Harlekinsmäntel und andere Bewandtnisse. Wie eins – im Wortgeflecht symplektischer Verbänderungen – zum anderen kommt, p. 279-309).

Les contributions qui composent les autres sections peuvent s’organiser autour de deux axes de recherche principaux : l’analyse des interprétations du dispositif monadologique à travers le prisme de la confrontation avec d’autres philosophes et l’étude de la Monadologie privilégiant une approche interne au corpus leibnizien.

Le deuxième groupe, minoritaire, comprend un article consacré à l’émergence concomitante des thèses monadologiques et de l’approche « naturaliste » caractéristique de la dernière phase de la philosophie leibnizienne (Paul Rateau, Du Discours de métaphysique à la Monadologie : vers le primat d’un point de vue biologique et cosmique ? p. 11-25), une contribution qui explore les différentes étapes conduisant Leibniz à la fondation métaphysique de sa science du mouvement (Hartmut Hecht, Vom Perpetuum mobile zur Monade, p. 35-51), tandis que l’essai d’Enrico Pasini s’attache aux « absences », en passant en revue les concepts dont le manque surprend à la lecture des articles de l’opuscule de 1714 (The Concept of ‘Composite Substance’ and Other Absences in the Monadology, p. 27-34).

La partie la plus considérable du livre est composée d’articles dédiés à la rencontre entre les thèses monadologiques et la pensée d’autres philosophes : Buffon (Catherine Wilson, « The Living Individual » : Leibniz and Buffon, p. 53-68), les monadistes allemands du XVIIe siècle (Anne-Lise Rey, Les interprétations de la philosophie de Leibniz par les monadistes en Allemagne au XVIIIe siècle, p. 69-84), John Turberville Needham (François Duchesneau, Monadology and Epigenesis. John Turberville Needham’s Hypotheses on Generation, p. 83-96), Fichte (Christoph Asmuth, Fichtes Wissenschaftslehre als monadische Monadologie, p. 97-108), Husserl (Kiyoshi Sakai, « Passive Synthesis » und « vis passiva ». Versuch einer neuen Annäherung an die Husserl-Leibniz-Problematik, p. 109-127), Mahnkes (Hans Poser, Dietrich Mahnkes Neue Monadolgie, 1917, p. 129-152), Cassirer (Michel Fichant, La Monadologie comme métaphysique de la subjectivité : la lecture d’Ernst Cassirer, p. 173-194), Heidegger et, plus généralement, la tradition herméneutique (Andreas Luckner, Drang und Subjekt. Martin Heidegger liest die Monadologie, p. 195-204 et Juan A. Nicolás, Perspektive und Interpretation, p. 215-226), Adorno (Klaus Erich Kaehler, Monade und gesellschaftliche Totalität. Die Umdeutung der Monadologie im nachmetaphysischen Denken Theodor W. Adornos, p. 205-214).

À la frontière entre ces deux axes de recherche, se situe enfin l’excellente contribution d’Arnaud Pelletier (La Monadologie de Boutroux – ou la voie a posteriori de la métaphysique leibnizienne, p. 153-172), où l’interprétation textuelle qui forme l’arrière-plan théorique de l’édition de la Monadologie réalisée en 1881 par Émile Boutroux, représente le point de départ d’une analyse macro-structurelle du texte de Leibniz, ainsi que l’occasion d’une confrontation avec des documents encore inédits des archives de Hanovre.

Andrea COSTA

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Pour citer cet article : Andrea COSTA, « Wenchao LI (éd.), 300 Jahre Monadologie. Interpretation, Rezeption und Transformation, Studia Leibnitiana – Supplementa 39, Stuttgart, Franz Steiner, 2017 » in Bulletin leibnizien IV, Archives de Philosophie, tome 81/3, Juillet-septembre 2018, p. 563-639.

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