Auteur : Andy Serin
Hubert BOST, Bayle calviniste libertin, Paris, Honoré Champion, Vie des Huguenots n° 88, 2021, 456 p.— ISBN : 9782745354976.
Le fameux « philosophe de Rotterdam » connaît actuellement un regain d’intérêt de la part de la recherche universitaire et européenne – Archives de philosophie lui avaient en outre consacré son quatrième cahier en 2018 et il vient d’être inscrit au programme de l’agrégation externe de philosophie 2023. Un de ses spécialistes, l’historien et directeur d’études à l’EPHE, Hubert Bost , rassemble ici le fruit de vingt-trois contributions, articles et communications depuis 2007. Par là même, l’ouvrage donne une vue d’ensemble, mais non moins précise, de la pensée de Pierre Bayle et de son apport à l’histoire intellectuelle de la modernité. Cela est d’autant plus précieux que cet auteur est prolixe et non-systématique, et ses œuvres peu et partiellement rééditées .
Comment lire Bayle ?
En introduction, H. Bost livre les clefs d’une lecture fine et subtile, et qui vise à rendre compte de cette pensée dans toute sa complexité. Cela tient à plusieurs raisons. D’une part, l’œuvre est « rhapsodique » et conduit de fait à ne pas le considérer comme un « philosophe au sens classique du terme » (p. 9-10). D’autre part, la complexité de sa pensée est étroitement liée aux faits qui ont pu marquer sa vie : sa famille huguenote du Carla, son statut de relaps l’ayant contraint à l’exil, ses divers postes d’enseignant à Sedan et Rotterdam, la mort de son frère en prison, la révocation de l’édit de Nantes, la Glorieuse Révolution, etc. En historien, H. Bost invite donc à ne pas le « désincarner ». Cependant, « il est incontestable que Bayle est un philosophe. Mais il échappe aux catégorisations » (p. 12). Par exemple, est-il fidéiste ou athée ? Plutôt que de chercher à exposer la philosophie de Bayle, et sans rien céder à l’exigence de l’historien, l’auteur – et c’est en somme la thèse de l’ouvrage – propose d’étudier dans vingt-trois contributions, qui forment autant de chapitres, la complexité de cette pensée à partir de la tension chez Bayle entre un « pôle calviniste et fidéiste » et un « pôle libertin et critique de la religion », entre son « calvinisme de la vieille roche » et un libertinage de philosophe. Autrement dit, comment Bayle peut-il être à la fois calviniste et libertin ? Pour l’auteur, Bayle est un « protestant compliqué » (p. 157). De fait, le cadre de pensée qui a été le sien ne se réduit pas au cartésianisme malebranchiste ni à La Logique de Port-Royal, mais Bayle réfléchit dans ou par rapport à un « paradigme » calviniste (p. 171), une « matrice » héritée de son milieu familial et social. Pour bien le comprendre, il convient d’analyser la part du calvinisme dans sa spécificité doctrinale et historique, et non pas seulement du protestantisme en général. Et inversement, à travers Bayle, c’est aussi étudier une « réception philosophique du calvinisme » (p. 175).
Si la table des matières ne fait pas apparaître de grandes parties, H. Bost indique toutefois que les chapitres se répartissent au niveau de « quatre registres qui se télescopent et se suivent » (p. 13) : 1. « les motifs de la foi et de la croyance où l’on s’interroge sur les frontières entre religion, superstition, idolâtrie, et crédulité » ; 2. « le déploiement de la pensée critique sans limite, qui va de pair avec la liberté de conscience et la revendication d’une complète liberté de ton et d’expression » ; 3. « le plan de la logique intellectuelle et du savoir érudit, terreau des échanges savants » ; 4. « la réflexion politique sur laquelle se greffent un patriotisme français et une méditation désabusée sur la tyrannie ». Sans chercher la cohérence à tout prix, l’auteur s’efforce donc de structurer un minimum et rétroactivement les diverses contributions de son ouvrage . À cela s’ajoute sa distinction méthodologique entre un Bayle écrivain, journaliste, historien, moraliste, philosophe – fonctionnant schématiquement comme différents niveaux de lecture et apportant souvent une « clé herméneutique » aux débats des spécialistes. Mais, justement, il n’est pas si aisé de distinguer de telles postures, dans la mesure où Bayle les entremêle dans l’écriture. N’est-ce pas à la limite de retomber dans le piège des « catégorisations » ? Cela ne tend-il également pas à relancer le débat interminable de son imposture, – fidéisme sincère ou athéisme dissimulé (ch. 10-11-17) ? Du moins, comprend-on que toute la complexité de Bayle réside dans la « plasticité de postures » (p. 173), à la fois distinguables et corrélables.
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Andy Serin
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Pour citer cette note de lecture : Hubert Bost : Bayle calviniste libertin, Paris, Honoré Champion, Vie des Huguenots n° 88, 2021, 456 p., lu par Andy Serin, in Archives de philosophie, tome 86/1, Janvier-Mars 2023, p. 203-210.