Auteur : Antonella Del Prete

 

Kambouchner, Denis, La Question Descartes. Méthode, métaphysique, morale, Paris, Gallimard, 2023, 448 p.

Le dernier livre de Denis Kambouchner fait le tour d’une vie consacrée à Descartes et à son interprétation, mais il faut lire les toutes dernières pages pour s’en apercevoir : les articles qui le composent s’étalent sur plusieurs décennies, tout en provenant pour la plupart d’interventions et de publications assez récentes. Le lecteur qui s’en tient cependant à la substance aura l’impression de lire non un recueil, mais un ouvrage bien construit et cohérent, qui traite des aspects différents de la pensée de Descartes, allant de la méthode à la morale, via le doute, le cogito, Dieu et les passions. Le lien entre ces chapitres est la recherche « du sens et de la valeur du legs cartésien dans la philosophie et dans la culture ». Pour accomplir cette tâche, Kambouchner croit à juste titre qu’il faut se pencher sur les textes mêmes de Descartes et les explorer dans leur complexité, leur stratification et même, le cas échéant, leur ambiguïté. Il est impossible de discuter, et même de décrire dans le détail le contenu de ce livre : cela reviendrait à se limiter à copier sa table des matières. On peut en revanche suivre un des fils rouges qui se déploient dans ses chapitres.

Le lecteur ne sera pas déçu : la question du rapport de la mens à son corps est au centre de plusieurs sections de ce texte, comme elle l’a été dans plusieurs publications précédentes de l’auteur, mais elle y prend des accents différents par rapport au grand ouvrage sur Les Passions de l’âme. Le chapitre vii fait le tour du phénomène passionnel : nous y trouvons une analyse à la fois claire et profonde de son côté physiologique et de ses aspects mentaux, pour autant qu’il soit possible de les séparer, pour enfin arriver au dénombrement des passions et, surtout, à leur usage. D. Kambouchner souligne à juste titre que Descartes semble bien plus proche de Hobbes et de Spinoza qu’on ne le croit d’habitude, si nous considérons le fait que les passions sont selon lui non seulement utiles au corps et à la préservation de son union avec l’esprit, mais aussi la plus puissante source de félicité pendant notre vie terrestre.

Deux autres chapitres explorent d’autres dimensions de l’union psychophysique chez Descartes. Il est ainsi question du rôle des passions dans la délibération, des sens pour ce qui concerne notre connaissance de l’union de l’esprit et du corps, et de l’usage de l’imagination dans la science, notamment dans les mathématiques. L’auteur va cependant plus loin et remarque que les descriptions des processus de pensée dans les textes cartésiens autorisent une conclusion différente par rapport à ce que nous lisons dans tous les manuels de philosophie, à savoir que l’esprit humain serait capable de penser sans l’aide du corps. Il affirme ainsi que dans son activité l’esprit a des affections d’origine corporelle, ce qui ne revient pourtant pas à dire qu’il pense à partir de représentations corporelles plus ou moins ressemblantes à l’objet de ses pensées. L’ouvrage touche ainsi à une question importante : même au moment où le sujet méditant a remis en question l’existence du monde extérieur et de son propre corps, la définition de la pensée comprend les intellections et les volitions aussi bien que les imaginations et les sensations. Cette présence du corps au sein même de la pensée est cruciale dans une autre section de ce livre, où D. Kambouchner prend en considération une objection qu’on a souvent élaborée contre l’ego cartésien, à savoir qu’il s’agirait d’un fondement qui renferme le méditant dans une forme de solipsisme, qui ignorerait la relation à autrui et qui ne prouverait pas l’existence d’autres êtres pensants tout au long des Méditations. Le chapitre iii, consacré à cette question, nous livre des observations très subtiles sur le basculement du je au nous dans cet ouvrage et sur le fait que notre corps ne saurait exister tout seul : une fois que nous avons reconquis l’existence de notre corps, nous avons restauré l’ensemble du monde extérieur et des autres hommes. La question devient donc celle de déterminer si ces hommes peuvent n’être que des automates ou que des chapeaux et des manteaux qui évoluent dans la rue, selon l’image onirique de la Méditation II. L’étude avance deux lignes argumentatives. – D’abord, que certains textes cartésiens sembleraient suggérer que ce n’est pas le corps en général, mais plus spécifiquement le corps humain qui semble fait pour être uni à l’âme : cela étant, les corps humains qui nous entourent doivent donc appartenir à des êtres pensants semblables à moi. Le dossier présenté ici est tiré de la correspondance et renvoie aux suggestions que Descartes donne à Regius pour répondre aux accusations des théologiens, choqués par l’affirmation du médecin d’Utrecht que l’homme serait un être par accident. Il s’agit donc de textes qu’il faut interpréter en tenant présentes à l’esprit toute l’argumentation de Descartes et, surtout sa stratégie défensive, qui pourrait ne pas correspondre à la lettre à sa pensée. Surtout, si le corps humain était fait de manière à nécessiter la présence d’une âme, on pourrait penser qu’une forme de finalisme serait introduite dans la nature. Il y a donc une autre réponse possible, celle évoquée immédiatement après dans cet opus : nous sommes certains que les corps humains que nous apercevons autour de nous sont dotés d’une âme parce qu’ils sont capables d’utiliser le langage pour produire des raisonnements et participer à une conversation. Du coup, la Méditation VI nous restitue non seulement des corps humains, mais des hommes à part entière et l’ego qui domine ces textes n’est pas seul au monde. L’union de l’esprit et du corps s’avère donc une clé pour poser de nouvelles questions aux textes écrits par Descartes, y chercher de réponses et reconsidérer sa place dans ce processus complexe et long qu’a été l’avènement de la modernité.

Antonella Del Prete (Université de Turin)

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Pour citer cet article : Kambouchner, Denis, La Question Descartes. Méthode, métaphysique, morale, Paris, Gallimard, 2023, 448 p., in Bulletin cartésien LIV, Archives de philosophie, tome 88/1, Janvier-Mars 2025, p. 204-205.

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BIANCHI, Lorenzo, GENGOUX, Nicole & PAGANINI, Gianni, éd., Philosophie et libre pensée. Philosophy and Free Thought. XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Honoré Champion, 2017, 580 p.

Issu d’un double colloque international tenu à Lyon et à Naples, cet imposant volume réunit les contributions de trente spécialistes de la philosophie des XVIIe et XVIIIe siècles, appartenant à des traditions historiographiques différentes. La « Préface » illustre une donnée de fait et un résultat historiographique. La donnée de fait : la collaboration scientifique entre la France et l’Italie en histoire de la philosophie est profonde et mobilise autour d’elle les spécialistes d’autres nationalités ; le résultat historiographique : la libre pensée et le libertinage possèdent une véritable dignité philosophique, celle d’une pensée non systématique, utilisant des formes d’expression aussi différentes de la tradition scolastique que du style des « grands » philosophes du XVIIe siècle, et traitant de sujets absents ou marginaux dans la philosophie « officielle ». Les acteurs du débat culturel de l’époque ont été obligés de prendre position par rapport aux thèses libertines, ne fût-ce que pour les réfuter ; ils les ont souvent utilisées plus ou moins tacitement. L’éventail des sujets abordés par les auteurs du volume dépassant largement les questions qui intéressent les lecteurs du Bulletin cartésien, nous nous contenterons de commenter les deux articles portant sur D. (1) D. Kambouchner (« Descartes et les libertins : peut-on parler d’une incroyance cartésienne ? » p. 121-135) rejette à juste titre l’alternative nette entre les interprétations faisant de D. un apologiste de la religion chrétienne ou un libertin. Il observe que dans ses écrits il n’est jamais question de religion mais de théologie. Or, comme le montre G. Paganini dans son « Hobbes, les ‘semences naturelles’ de la religion et le discours libertin » (p. 245-264), c’est au contraire sur l’analyse du phénomène religieux, de ses origines et de sa fonction que se joue le plus souvent la possibilité de repérer l’influence de philosophes tels que Naudé ou La Mothe Le Vayer, même lorsque leurs théories sont intégrées à une argumentation qui a des prémisses et des conséquences différentes. Si D. entretient un rapport avec le libertinage, il peut être détecté dans les « déclarations fort libres » que, malgré la prudence du discours public, D. émet dans sa correspondance. Kambouchner signale la lettre à Huygens du 10 oct. 1642, la lettre à Mersenne de mai 1637, la lettre à Chanut du 1er fév. 1647, ainsi qu’un passage de l’Entretien avec Burman. La première est peut-être le texte le plus perturbant, car D. y affirme que la persuasion produite par la raison lui semble plus forte que celle qui dérive de la foi. Il paraît ici au plus près de Malebranche, pour qui « L’évidence, l’intelligence est préférable à la foi. Car la foi passera, mais l’intelligence subsistera éternellement » (Traité de morale, 1683, I, ii, 11). Kambouchner rappelle ensuite le rôle constitutif de Dieu dans la philosophie cartésienne, qui contraste avec la place du Christ et éclaire le rapport de Pascal à D. (2) E. Scribano (« Les animaux et les horloges. Descartes contre les ‘esprits faibles’ », p. 137-156) étudie une des théories les plus controversées de D., présentée dans le DM comme une réponse aux « esprits foibles », à savoir la thèse de l’animal-machine. Montaigne et Charron avaient déduit de la capacité de certains animaux d’accomplir des tâches avec une précision que nous ne savons atteindre la présence d’une intelligence semblable à la nôtre. Au contraire, D. se rallie à Thomas d’Aquin, qui avait tiré des mêmes observations la conclusion opposée : le comportement des abeilles et des araignées les rapproche des horloges ; il témoigne d’une intelligence qui, comme dans le cas des machines, est extérieure comme celle de l’artisan, c’est-à-dire de l’intelligence de Dieu. D. se serait en outre inspiré de Jean de Silhon pour l’utilisation anti-libertine de cet argument thomiste. Ce qui est spécifique au DM est le fait que D. élimine le renvoi à Dieu, ce que l’A. met en rapport avec la décision d’éliminer le finalisme dans l’étude de la nature. Alors que les conséquences de cette décision se déploient rapidement dans le cas de la cosmologie et de la physique, elles n’adviennent que progressivement dans l’étude du vivant : la métaphore de l’artisan est à l’œuvre dans L’Homme, disparaît dans le DM dans le cas des animaux, mais est conservée pour expliquer le corps humain. Elle est cependant présentée comme une hypothèse provisoire, et ne saurait encore être remplacée par une explication évolutionniste faute d’expériences. Ce n’est que dix ans plus tard que D. affirmera être enfin en mesure de donner une explication de la formation du corps humain. – Les spécialistes de D. pourront en outre trouver dans ce volume d’intéressantes contributions sur des auteurs qui sont en stricte relation avec sa pensée, comme Mersenne (C. Buccolini), Pascal (H. Bah Ostrowiecki et A. McKenna), Bayle (H. Bost et J.-M. Gros), Leibniz (M. Laerke) ou Fontenelle (M. S. Seguin).

Antonella DEL PRETE

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Pour citer cet article : Antonella DEL PRETE, « BIANCHI, Lorenzo, GENGOUX, Nicole & PAGANINI, Gianni, éd., Philosophie et libre pensée. Philosophy and Free Thought. XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Honoré Champion, 2017 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.


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ANTOINE-MAHUT, Delphine, éd., Les Malebranchismes des Lumières. Études sur les réceptions contrastées de la philosophie de Malebranche, fin XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Honoré Champion, 2014, 262 p.

Les postérités d’une œuvre peuvent être inattendues et étonnantes : cette constatation est spécialement vraie dans le cas de Malebranche [= M.]. Il est cependant possible de donner un ordre à ce magma : renouvelant les catégories utilisées par F. Alquié à propos du cartésianisme, J.-C. Bardout (« Quelques remarques sur le malebranchisme en France au siècle des Lumières », p. 11-28) propose de distinguer entre « répétition expresse », « influence textuelle » et « transposition » : ceux qui répètent Malebranche sont pour la plupart des apologistes visant à contrer l’avancée du matérialisme et de l’athéisme ; l’influence textuelle se marque surtout dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, l’occasionalisme devenant un « agnosticisme aitiologique » et permettant l’instauration d’une conception nomologique de la causalité ; enfin, Condillac nous offre l’exemple d’un transposition d’un philosophème qui a perdu tout rapport avec le système qui l’avait engendré.

En parcourant le volume à l’aide de ces catégories, on peut classer facilement le cas de Mme de la Ferté-Imbault parmi les usages apologétiques de Malebranche : M.-F. Pellegrin présente son combat anti-philosophique, qui prend appui sur la théorie morale de l’Oratorien pour s’opposer l’avancée du matérialisme (« Les pratiques philosophiques de Mme de la Ferté-Imbault ou le malebranchisme comme refuge, arme, jeu et enseignement », p. 43-66). Bien plus nombreux sont les cas d’influence textuelle et de transposition, même s’il faut préciser que la frontière entre ces deux usages de la philosophie de Malebranche n’est pas nette : la réception de M. est dans la plupart des cas un phénomène d’appropriation de certains pans, parfois très minces, de sa pensée, souvent utilisés dans un sens qui s’éloigne voire s’oppose aux intentions de l’oratorien. Certains auteurs inscrivent leur pensée dans celle de M. : ils semblent soit en tirer des conséquences, soit privilégier une des options des alternatives présentes chez M., brisant ainsi leur équilibre propre. Ainsi É. Argaud (« Malebranche ‘épicurien’ ? Bayle lecture du Traité de la nature et de la grâce. ‘Poids de l’âme’ et ‘disposition’ augustinienne dans les Pensées diverses sur la comète », p. 173-196) propose-t-elle d’interpréter les affirmations de Bayle sur le plaisir comme une reprise des thèses malebranchiennes, qui cependant corrige M. à l’aide des principes mêmes de ce dernier : puisque nous ne pouvons résister au plaisir, nous ne sommes capables de vertu que lorsqu’elle nous procure un plaisir plus grand que le vice. De même, le déisme des traités philosophiques clandestins se nourrit du rationalisme théologique malebranchien, comme le montre A. McKenna (« Du malebranchisme dans les manuscrits philosophiques clandestins : les lunettes de Pierre Bayle », p. 197-212) : Robert Challe ou César Chesenau Du Marsais sous certains égards se limitent à appliquer le précepte de suivre sa propre raison, en faisant cependant l’économie du raccord nécessaire avec ce qui est dicté par le Logos divin. De manière plus ponctuelle, les thèses de Malebranche peuvent s’intégrer dans une structure philosophique tout à fait différente, déterminant des développements qui, tout en n’étant pas conformes à l’intention de l’oratorien, ne s’opposent pas à ses opinions : c’est le cas de la doctrine de l’imagination de Georg Friedrich Meier, étudiée par J.-F. Goubet (« Imaginations passive et active. La reprise de Georg Friedrich Meier d’un élément de doctrine malebranchiste », p. 149-156), ou de la présence de l’occasionalisme dans l’Encyclopédie, analysée par V. Le Ru (« La présentation de Malebranche dans l’Encyclopédie », p. 29-42). Au contraire, les thèses de l’Âme matérielle font des textes malebranchiens un usage plus utilitaire (D. Antoine-Mahut, « La référence à Malebranche dans L’Âme matérielle : décontextualisation et transplantation », p. 213-224) : La Recherche de la vérité n’est souvent qu’un réservoir de citations. Il arrive cependant de repérer dans ce manuscrit clandestin un procédé qui sépare le mécanisme de son fondement dualiste, comme Régius l’a fait par rapport à la philosophie de Descartes. S. Roux consacre un long article à l’Examen de l’opinion du Père Malebranche que nous voyons toutes choses en Dieu de Locke, nous permettant ainsi d’explorer un cas très complexe (« De Malebranche à Locke et retour. Les idées avec ou sans la vision en dieu [sic] », p. 67-114). Selon l’A., Locke n’inscrit pas l’oratorien parmi les enthousiastes, à la différence de nombreux contemporains, alors qu’il utilise cette clé de lecture pour réfuter les doctrines du plus célèbre malebranchiste britannique, John Norris. On pourrait généraliser les résultats de son étude : à cause de la polémique avec Norris, Locke passe d’un intérêt pour la théorie malebranchienne de l’imagination à la condamnation de la vision en Dieu. En l’espace de dix ans nous assistons chez lui au déploiement des deux réceptions de Malebranche, réceptions typiques au sens webérien du mot : d’une part on s’intéresse à des sections spécifiques de La Recherche de la vérité (la théorie de l’imagination, ou de la sensation, ou certains aspects médicaux de sa pensée) ; d’autre part on attire l’attention, pour les assumer ou pour les réfuter, sur les grandes thèses métaphysiques de l’oratorien (la vision en Dieu, ou l’occasionalisme). Le premier type de réception se retrouve assez souvent au XVIIIe siècle, dans des domaines du savoir aussi éloignés que la médecine et l’esthétique. A. Ferraro (« L’obscurité de l’âme à elle-même. Malebranche dans les lectures de quelques matérialistes français du XVIIIe siècle », p. 115-132) repère les développements matérialistes de la doctrine de l’obscurité de l’âme à elle-même chez des médecins comme Jean Besse et Louis-Malo Moreau de Saint-Elier, mettant au jour des pistes qui préparent une convergence possible de ces lectures de Malebranche et de l’interprétation matérialiste de Locke. D. Masseau détecte l’influence de l’oratorien dans la théorie et la pratique du roman sentimental, via la description de la contagion de l’imagination (« Malebranche et le pouvoir de l’imagination romanesque », p. 133-148). S’agissant de la postérité métaphysique de Malebranche, C. Leduc propose une analyse subtile de la théorie de la causalité chez Wolff (« Harmonie préétablie et occasionalisme selon Wolff », p. 157-172). L’A. remarque à juste titre que Wolff met au jour les affinités entre l’harmonie préétablie et l’occasionalisme : Malebranche, comme Leibniz, refuse d’attribuer un pouvoir causal réciproque entre l’âme et le corps et il rapporte leurs modifications aux décrets de Dieu. Ce qui sépare les deux philosophes est le refus total d’attribuer une certaine activité aux corps et aux esprits, refus présent chez Malebranche et absent chez Leibniz. L’article de P. Girard (« Les usages de Malebranche dans la réception du cartésianisme à Naples », p. 225-246), consacré à la diffusion de la pensée de Malebranche à Naples, peut nous aider à résumer les différents types de réception explorés dans ce volume. En faisant l’économie des caractères spécifiques de l’Italie, des similitudes avec d’autres espaces culturels peuvent être mises à jour si nous nous intéressons aux formes de cette appropriation. Tout d’abord, à Naples comme en Europe, la réception de Malebranche est liée à celle de la pensée de D. : pour toute une génération de novatores napolitains, comme Giuseppe Valletta, Malebranche a pour fonction d’attester l’orthodoxie de la nouvelle philosophie quand son efficacité scientifique est mise en cause par le newtonianisme, et que les doutes sur sa compatibilité avec le christianisme sont de plus en plus fréquents. La position de Paolo Mattia Doria est opposée : la philosophie de l’oratorien est ramenée à celle de D., mais radicalement condamnée à cause du spinozisme latent qui lui est propre. Pietro Giannone illustre enfin une autre utilisation de Malebranche, semblable à celle proposée par d’autres contemporains : l’oratorien permettrait de dépasser la philosophie cartésienne dans une direction matérialiste.

La diffusion de la pensée de Malebranche au XVIIIe siècle demeure encore un sujet à explorer, mais ce volume constitue une avancée importante de nos connaissances par l’intérêt qu’il porte aux aspects méthodologiques et par l’ampleur des sources considérées.

Antonella DEL PRETE

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Pour citer cet article : Antonella DEL PRETE, « ANTOINE-MAHUT, Delphine, éd., Les Malebranchismes des Lumières. Études sur les réceptions contrastées de la philosophie de Malebranche, fin XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Honoré Champion, 2014, 262 p. » in Bulletin cartésien XLVI, Archives de Philosophie, tome 80/1, Janvier-mars 2017, p. 147-224.

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