Auteur : Baptiste Protais

 

Julien FARGES et Dominique PRADELLE (dir.) : Husserl. Phénoménologie et fondements des sciences, Hermann, 2020, 520 p.

Aurélien DJIAN : Husserl et l’horizon comme problème. Une contribution à l’histoire de la phénoménologie, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021, 289 p.

En mars 2018, Julien Farges et Dominique Pradelle avaient organisé à l’École normale supérieure un colloque intitulé « Husserl. La phénoménologie et les fondements des sciences », en commémoration des quatre-vingts ans de la mort de celui-ci. Le volume publié sous ce titre rassemble les contributions de presque tous les intervenants, et offre au lecteur francophone un panorama précieux de l’état actuel des recherches sur la phénoménologie de Edmund Husserl. Par son titre, il rappelle d’emblée que la phénoménologie est, dans son projet même, intimement liée à la question du fondement des sciences. Sans doute est-ce en partie cette dernière qui avait motivé le retour à Vienne de Husserl en 1884, pour suivre l’enseignement de Franz Brentano, deux ans après avoir soutenu sa thèse de doctorat en mathématiques avec Karl Weierstrass. Des Recherches logiques aux derniers écrits dont Husserl avait engagé la publication de son vivant, ce projet d’une fondation phénoménologique des sciences s’est déployé dans des directions multiples en fonction des régions ontologiques que constituent leur domaine d’objet. Or, dans la mesure où il n’y a pas de couche de la réalité qui ne pourrait faire l’objet d’une science, la phénoménologie n’en saurait laisser aucune de côté : c’est pourquoi, outre la logique, les mathématiques, la physique et la psychologie, Husserl chercha aussi à fonder la biologie, la sociologie, l’anthropologie et même le droit. L’un des nombreux mérites de cet ouvrage est de montrer l’intérêt de Husserl pour ces derniers, à travers quatre contributions qui ouvrent des pistes de recherche assurément fécondes, que nous exposerons. Nous reviendrons aussi sur le statut de la psychologie et son rapport ambivalent à la phénoménologie transcendantale. Mais pour simplifier la présentation de cet imposant ouvrage, nous suivrons l’ordre de sa table des matières en indiquant à chaque fois l’objet de chaque contribution.
Dans l’introduction, D. Pradelle dégage quelques grands principes de la philosophie husserlienne des sciences, qui donnent des points de repère précieux pour la lecture de l’ouvrage. Le premier principe qu’il faut avoir à l’esprit est que « tout objet en général prescrit une structure régulatrice au sujet transcendantal  ». D’où la nécessité de ce que D. Pradelle appelle une « épistémologie noétique dont la méthode [soit] régressive ou reconstructive  ». Le deuxième principe est qu’« il n’est aucune science des faits qui […] ne puisse être pure de toute connaissance eidétique  ». Ce principe de fondation eidétique doit pourtant être historicisé : comme on le sait, la science physique n’a pas été mathématisée avant Galilée. Il y a donc une historicité, non seulement des sciences empiriques, mais aussi des ontologies régionales qui se trouvent au fondement de ces dernières. L’épistémologie phénoménologique s’avère donc être une épistémologie historique, et le rapport entre les deux formes de rationalité que sont la raison scientifique et la raison préscientifique se montre lui aussi susceptible de variations . La tâche de l’épistémologie phénoménologique est donc essentiellement de réfléchir sur l’historicité des sciences. C’est là tout le projet d’une phénoménologie de la raison, impossible à résumer ici, auquel D. Pradelle a consacré son œuvre depuis deux décennies.
Les deux contributions suivantes sont consacrées à la fondation de la logique. Denis Seron, après avoir corrigé trois contresens sur l’interprétation courante de l’anti-psychologisme de Husserl, et dégagé la structure argumentative des Recherches logiques à partir de sept étapes, établit un parallèle entre la description phénoménologique des vécus de conscience et l’analyse conceptuelle telle que l’ont pratiquée Bertrand Russell ou Rudolf Carnap. Mais dans la mesure où le concept de clarification (Aufklärung) est directement issu de Brentano, comme l’indique D. Seron lui-même , on peut se demander ce qu’il y aurait d’original dans une fondation phénoméno­logique de la logique. Une telle interprétation éclaire sans doute une inspiration commune à la phénoménologie et à l’empirisme logique, mais elle semble difficile à tenir si l’on considère le destin transcendantal de la phénoménologie husserlienne. On ne saurait faire le même reproche à Jagna Brudzińska, qui montre la plurivocité du concept d’origine chez Husserl, en comparant le sens qu’il revêt dans les Recherches logiques avec celui qu’il reçoit définitivement dans Expérience et jugement, l’ultime ouvrage préparé avec Ludwig Landgrebe et publié à titre posthume en 1939. Dans les Recherches logiques, Husserl avait élargi l’intuition aux essences formelles, mais l’analyse des relations entre conscience constituante et conscience constituée était encore purement statique . Si la nécessité de réviser sa position réaliste lui était apparue dans L’Idée de la phénoméno­logie (1907), c’est un peu plus tard que Husserl comprit qu’il lui faudrait également abandonner une conception purement statique de l’analyse intentionnelle. Dans les leçons de 1910-1911, il démontra la possibilité d’une phénoméno­logie qui ne fût pas seulement eidétique, mais « faisant l’expérience (erfahrende)  ». Autrement dit, à côté des pures évidences logiques, il y a des intuitions moins claires et moins distinctes qui se déploient dans le champ de la vie concrète, de la relation à autrui ou encore de l’histoire. D’où la nécessité d’un élargissement du concept de jugement, ou plutôt d’un retour à l’expérience antéprédicative, afin de rendre compte de la constitution de la subjectivité transcendantale dans la temporalité. C’est ce retour en arrière qu’accomplit Husserl dans Expérience et jugement, qui « boucle la boucle de la phénoménologie de Husserl  » en refondant la logique sur le monde de la vie.
La deuxième partie est consacrée à la fondation des mathématiques.
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Baptiste Protais

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Pour citer cette note de lecture : Julien Farges et Dominique Pradelle (dir.) : Husserl. Phénoménologie et fondements des sciences, Hermann, 2020, 520 p. — Aurélien Djian : Husserl et l’horizon comme problème. Une contribution à l’histoire de la phénoménologie, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021, 289 p., lus par Baptiste Protais, in Archives de philosophie, tome 86/1, Janvier-Mars 2023, p. 211-220.

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