Auteur : Benedetta Catoni
Daniela BOSTRENGHI, Cristina SANTINELLI, Stefano VISENTIN (a cura di) : Spinoza nella cultura del Novecento. Percorsi attraverso la letteratura e le arti, Firenze, Le Lettere, Quaderni del Giornale Critico della Filosofia Italiana n° 42, 446 p.
Dans le contexte général de la reconsidération historique et théorique de la relation entre la philosophie de Spinoza et les arts (pour citer une étude récente), le volume Spinoza nella cultura del Novecento prend forme à partir de cette perspective particulière d’investigation qu’est la réception historique. Composé de pas moins de vingt-deux essais, le volume offre un riche aperçu historique de la réception de la biographie de Baruch Spinoza et de son histoire humaine et intellectuelle dans le monde varié des arts. Les différentes contributions du volume, présentées pour la plupart dans un ordre chronologique, ont le mérite de montrer au lecteur spécialisé, mais pas seulement, les intrigues souterraines de la présence persistante de la figure de Spinoza, même si elle est parfois intentionnellement mise de côté en raison de son origine juive (comme dans le cas de la littérature allemande au lendemain de l’instauration du Troisième Reich), dans la culture européenne et mondiale du XXe siècle. Visant à parcourir « cette frontière étendue » (p. VII, nous traduisons) entre philosophie et culture, dans le croisement particulier entre la philosophie spinoziste et la littérature et les arts du siècle dernier, Spinoza nella cultura del Novecento invite avant tout le lecteur à réfléchir aux limites et à l’extension du discours philosophique, du point de vue des productions artistiques qui y sont présentées. Cette exhortation peut se résumer à la question suivante : ne pas philosopher, n’est-ce pas encore philosopher ? Et plus précisément : comment les représentations artistiques et littéraires de Spinoza et de la philosophie spinoziste se rapportent-elles au discours philosophique de Spinoza ? Le non-philosopher d’un roman, d’un tableau ou d’une projection cinématographique est-il encore du philosopher ? Si « par ailleurs, depuis Deleuze […] la vision rigidement sectorielle de la connaissance a été largement dépassée par la critique et l’historiographie récentes » (p. VII-VIII), déclarer l’art, en général, et les réceptions artistiques de l’homme et du philosophe Spinoza, en particulier, comme des modes eo ipso de philosopher, risquerait de rendre la connaissance philosophique elle-même totalisante et systématique. Un risque qui, à y regarder de plus près, est mis en scène à plusieurs reprises dans ce volume. En effet, la réception proposée du philosophe hollandais thématise paradoxalement, d’une part, la crise de la figure intellectuelle de Spinoza qui, prisonnier de son propre mos geometricus (empruntant ici des formules évidemment stéréotypées), serait incapable de rendre compte de l’existence humaine réelle et, d’autre part, la possibilité d’une reconsidération plus large de la puissance et des capacités productives humaines, à partir de la réflexion anthropologique spinozienne elle-même (avec une référence particulière à E, IV, prop. 45 sch.). Dans cette perspective, l’apparition du spectre de Spinoza dans la pièce Porcile de Pierpaolo Pasolini (1967) acquiert une importance significative dans l’économie générale du volume. Face à la puissance des affections humaines qui entraînent Julien, le protagoniste de la pièce, dans la porcherie, le philosophe par excellence prononce l’abjuration de son Éthique. Une crise du rationalisme philosophique, à certains égards, dénoncée par Borges lui-même, en décrivant la métaphysique géométrique du Hollandais comme vouée à l’échec. Si, d’une part, c’est encore le mos geometricus rationnel spinozien qui inspire la « trigonométrie spéculative » (p. 104) d’Un homme obscur de Marguerite Yourcenar, la géométrisation de la palette de Piet Mondrian et le Spinoza dont Albert Camus se sent proche, d’autre part, la vertu et la puissance de l’imaginatio spinozienne acquièrent une pertinence dans les imaginaires politiques de Patrick Rödel et de García del Campo autant que dans les imaginaires esthétiques et littéraires de Marcel Proust, Lev Vygotski, Ludwig Hohl, Bernard Malamud et Antonio Tabucchi (pour n’en nommer que quelques-uns). On assiste ainsi parfois à des fusions originales entre le savoir philosophique et le pouvoir poétique et figuratif de l’imagination, comme dans le cas de l’écrivain sarde Giuseppe Dessì, de l’artiste argentine Ruiz Guiñazú et de l’écrivain italien Aldo Braibanti. C’est précisément dans le cadre de cette constellation artistique et littéraire, animée par la réévaluation du sensible et du pouvoir de l’imaginatio, que le volume se termine en toute connaissance de cause avec la contribution de Chantal Jaquet, consacrée à la formulation d’une possible théorie esthétique spinozienne de l’odorat. En conclusion, Spinoza nella cultura del Novecento est sans doute la tentative la plus complète de retracer de manière critique comment « la présence de Spinoza a affecté » (p. VIII) le tissu culturel et artistique de la contemporanéité ; un texte indispensable, donc, pour ceux qui souhaitent poursuivre la réflexion sur les rapports entre Spinoza et les arts.
Benedetta CATONI
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Pour citer cet article : Daniela Bostrenghi, Cristina Santinelli, Stefano Visentin (a cura di) : Spinoza nella cultura del Novecento. Percorsi attraverso la letteratura e le arti, Firenze, Le Lettere, Quaderni del Giornale Critico della Filosofia Italiana n° 42, 446 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLV, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 187-216.