Auteur : Catherine Goldstein

 

Chevalier, Olivia, éd., Descartes et ses mathématiques, Paris, Classiques Garnier, « Histoire et philosophie des sciences » n° 27, 2022, 220 p.

Ce recueil rassemble sept contributions sur les mathématiques cartésiennes, écrites par des spécialistes reconnus d’histoire et de philosophie des mathématiques. Vincent Jullien traque l’usage (et le non-usage) d’une notion de limite dans quatre types d’interventions mathématiques de Descartes. Marco Panza, synthétisant plusieurs de ses travaux antérieurs, réévalue la suggestion de Henk Bos sur le rôle clef des constructions et de la résolution de problèmes (celui dit de Pappus en particulier) dans l’élaboration de la Géométrie, pour souligner au contraire le projet cartésien d’étendre la géométrie euclidienne, dont il précise les composantes. Jean Dhombres examine la fonction de la méthode dite des coefficients indéterminés, attribuée à Descartes par l’historiographie, à la lumière de plusieurs de ses postérités possibles et montre comment cette méthode suppose une conception des polynômes relevant d’algèbre linéaire avant la lettre. Benoît Timmermans se penche sur une des rares incursions de Descartes en arithmétique, autour de la question des nombres parfaits (égaux à la somme de leurs diviseurs), en particulier sur sa tentative pour trouver un nombre parfait impair. Jean-Michel Salanskis s’interroge sur la philosophie des mathématiques de Descartes à travers le problème de la démarcation entre mathématiques et philosophie, concluant au désir cartésien de favoriser une entreprise rationnelle unique qui adopterait autant que possible le régime de certitude des mathématiques. Julien Copin propose une nouvelle analyse logique du Cogito (et d’énoncés connexes pertinents, comme le rôle joué par « 2 et 2 font 4 » ou l’argument du malin génie), concluant que le Cogito repose sur un ordre des certitudes distinct en particulier des arguments logiques traditionnels. L’éditrice du volume, Olivia Chevalier, enfin, rouvre le dossier de l’infini, ou plus précisément, des différentes places des infinis dans les écrits cartésiens, contrastant leur exclusion de la Géométrie et la maîtrise de Descartes des procédés infinitistes disponibles à son époque.
L’objectif du recueil, annoncé dans l’introduction et la quatrième de couverture, est de montrer la variété des travaux mathématiques cartésiens, en prenant en compte en particulier les correspondances. Cette variété apparaît en filigrane, mais les correspondances sont de fait très peu sollicitées (sauf par B. Timmermans et, pour une courte page, par O. Chevalier elle-même) et la plupart des contributions reprennent des questions et des sources classiques de l’historiographie cartésienne. À cet égard, des éclairages utiles, voire des réponses à certains points soulevés, auraient sans doute pu être trouvés dans une littérature historique secondaire récente qui n’est pas sollicitée : par exemple sur le rôle des problèmes comme formes d’énoncés privilégiés, en particulier dans le cercle de Mersenne ; sur ce que signifie méthode et certitude au XVIIe siècle ; ou bien sûr sur l’histoire de la continuité et de l’infini. La déshistoricisation (ou l’anachronisme volontaire) est plaidée, explicitement ou non, par plusieurs auteurs et son utilisation contrôlée a certes donné d’importants résultats, mais ce qui revient, en fin de compte, à une contextualisation par les connaissances actuelles du ou de la philosophe semble parfois ici ne pas offrir l’apport théorique revendiqué : une contextualisation contemporaine à Descartes aurait pu éclairer utilement certaines questions sur la démarche cartésienne qui ont été laissées en suspens. S’il n’est pas donc ni un état de l’art complet ni, bien sûr, un point final aux études sur les mathématiques cartésiennes, ce recueil de textes stimulants mérite sans aucun doute de figurer dans toutes les bibliothèques consacrées à l’histoire et à la philosophie de l’époque moderne.

Catherine Goldstein (IMJ-PRG, CNRS, SU, UPC)

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Pour citer cet article : Chevalier, Olivia, éd., Descartes et ses mathématiques, Paris, Classiques Garnier, « Histoire et philosophie des sciences » n° 27, 2022, 220 p., in Bulletin cartésien LIII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 185-240.

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