Auteur : Céline Hervet

Pascal SEVERAC : Qu’y a-t-il de matérialiste chez Spinoza ?, Paris, Éditions HDiffusion, 66 p.

Dans cet opuscule issu d’une conférence destinée au grand public, Pascal Séverac parvient à la fois à introduire de façon claire et vivante à la philosophie de Spinoza et à statuer sur une question qui taraude le commentaire spinoziste depuis sa renaissance dans les années soixante-dix et en particulier depuis ce que l’on a appelé le « retour à Spinoza » : Spinoza est-il matérialiste, si oui, en quel sens ? La priorité accordée au corps dans l’explication des phénomènes mentaux, l’identification de l’étendue comme attribut divin qui conduit à la célèbre accusation d’athéisme placent-elles définitivement Spinoza dans ce camp, comme les filiations revendiquées par Marx et ceux qui se réclament de son héritage semblent y inviter, ou comme certains spiritualistes tel Félix Ravaisson l’ont établi ? L’ouvrage n’entend pas clore le débat ni discuter directement par exemple les positions d’André Tosel dont l’étude « Du matérialisme, de Spinoza » entreprenait dès 1986 de décrire le « matérialisme intelligent » de Spinoza, ou celles d’Antonio Damasio pour qui Spinoza réduit bel et bien l’esprit et la pensée à l’activité cérébrale. C’est en examinant successivement trois sens de l’adjectif « matérialiste » (sens empirique, ontologique et méthodologique) et en les confrontant à quelques textes phares du corpus spinozien que l’auteur pose tout d’abord le problème, ce qui lui permet ensuite de mettre au jour quelques-unes des lignes de forces de l’ontologie, de l’éthique et de la politique spinozistes. À la faveur d’une relecture du prologue du Traité de la réforme de l’entendement et sous l’égide du concept d’union que l’auteur avait, dans un précédent ouvrage (Spinoza. Union et désunion, Vrin, 2011) identifié comme l’une des clés du système, la première partie montre comment la jouissance d’un confort matériel n’est pas étrangère à Spinoza, la recherche de l’utile, dès lors qu’elle est bien comprise, vient en effet « réenchanter le matérialisme ordinaire » en subordonnant les biens matériels à un bien durable et partageable par tous. La seconde partie aborde le rapport de Spinoza avec le matérialisme ontologique. Là encore le propos est nuancé puisque, si la matière est un attribut de la substance divine, il n’est pas le seul. Néanmoins le statut conféré à l’esprit, idée du corps et n’ayant des idées, adéquates ou inadéquates, qu’en tant qu’il est l’idée du corps, sans indiquer vers un réductionnisme, donne consistance à un matérialisme qui ne peut concevoir aucune activité mentale sans la rapporter à la puissance du corps. C’est de cette égale dignité de la matière et de l’esprit que découle le troisième et dernier aspect du matérialisme de Spinoza, un matérialisme méthodologique, fondé sur le postulat d’une intelligibilité intégrale des phénomènes psychiques, sans recours à un quelconque libre arbitre, qui s’accompagne d’un accroissement de puissance qui, elle-même, se double d’une jouissance. Or une telle jouissance pour soi n’est possible in fine que si cette puissance se déploie au sein d’une démocratie réelle, où sont réunies les conditions matérielles d’une émancipation indissolublement individuelle et collective.

Céline HERVET

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Pour citer cet article : Pascal SEVERAC : Qu’y a-t-il de matérialiste chez Spinoza ?, Paris, Éditions HDiffusion, 66 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLIII, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 181-218.

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