Auteur : Christian Leduc

 

 

François Duchesneau, Leibniz et la méthode de la science, Paris, Vrin, 2022, 386 p.

Le présent ouvrage est la deuxième édition d’un volume paru il y a une trentaine d’années aux Presses universitaires de France. Celui-ci étant désormais épuisé, et constituant une contribution toujours incontournable aux études sur Leibniz, il devenait nécessaire d’en proposer une nouvelle édition. François Duchesneau fournit en avant-propos deux raisons à cet égard : d’abord, la méthode chez Leibniz reste peu traitée et ses analyses demeurent d’actualité. Ensuite, c’est d’une certaine manière le seul ouvrage qui aborde les fondements (initia) de la science leibnizienne quand ses autres publications portent davantage sur des échantillons (specimina), en particulier la dynamique et les sciences du vivant. Le corps du texte est resté sensiblement le même, les notes et la bibliographie ayant néanmoins été mises à jour pour rendre compte des études plus récentes.

L’ouvrage comporte quatre parties examinant les principaux aspects de la méthodologie leibnizienne de la science. La première est consacrée à l’ars inveniendi qui est pour l’époque, on le sait, une thématique centrale. Deux sujets spécifiques domineraient les réflexions leibniziennes : d’une part le projet encyclopédique pour lequel Leibniz est effectivement resté connu. Bien que ce projet vise à rassembler toutes les connaissances acquises de manière systématique pour en faire un répertoire dans lequel on recherche et s’oriente facilement, l’encyclopédie doit manifestement avoir d’après Leibniz une fonction bien spécifique pour l’avancement de la science. C’est que cette organisation systématique des savoirs permet non seulement la poursuite des découvertes, mais également de concilier les principes a priori des sciences avec les savoirs empiriques. L’ordre encyclopédique contribue ainsi à l’élaboration de démonstrations analytiques et synthétiques, lesquelles constituent le deuxième sujet de cette partie. Le travail de F. Duchesneau montre de manière très convaincante que l’analyse et la synthèse ne sauraient seulement permettre chez Leibniz d’établir des déductions de type a priori, mais encore qu’elles servent à l’articulation des domaines empiriques. Le rôle de l’analogie, peu documenté avant cette étude, se relève primordial dans la méthode leibnizienne des sciences des phénomènes.

La partie suivante est consacrée à la théorie leibnizienne de la vérité en ce qu’elle innove dans le traitement de la proposition. Depuis longtemps, au moins depuis Bertrand Russell, les commentateurs ont tendance à assimiler la distinction des vérités de raison et de fait chez Leibniz à la différenciation ultérieure kantienne entre jugements analytiques et synthétiques. Le travail de F. Duchesneau est l’un des premiers à vouloir modérer cette assimilation qui est manifestement anachronique et qui nous fait par endroits perdre la singularité de la théorie leibnizienne de la vérité. En particulier, une distinction de type kantien ferait reposer la connaissance des vérités de raison sur l’analyse conceptuelle tandis que celle des vérités de fait procèderait d’opérations cognitives nécessairement a posteriori. Or force est d’admettre, d’une part, que la pensée leibnizienne est plus subtile, notamment parce que tout jugement pourrait idéalement faire l’objet d’une analyse conceptuelle d’inhérence des prédicats dans le sujet ; d’autre part, que la science des phénomènes ne saurait se réduire aux seuls énoncés empiriques, mais que les outils hypothétiques a priori sont à cet égard tout aussi nécessaires.

La troisième partie examine en détail cette stratégie leibnizienne des hypothèses dans l’élaboration d’une science des phénomènes. Peu de travaux auparavant avaient autant insisté sur l’importance des hypothèses chez Leibniz et permis de comprendre à quel point elles constituent une étape majeure sur ce sujet dans l’histoire de la philosophie et des sciences. On constate d’ailleurs que Leibniz est en possession d’une théorisation assez fine très tôt dans son œuvre, la période du séjour parisien étant particulièrement féconde. Les correspondances avec Foucher et Conring constituent plus spécifiquement des sources incontournables. D’après Duchesneau, c’est cependant dans le contexte de discussion avec l’empirisme de Locke que la portée méthodologique des hypothèses est évaluée par Leibniz sous ses diverses conséquences. Pour Locke, l’hypothèse ne peut faire partie de procédés démonstratifs et doit ainsi se réduire au seul usage qu’on en fait dans la science expérimentale inductive. Au contraire, Leibniz s’efforce de montrer qu’hypothèse et démonstration ne s’opposent nullement, mais doivent être articulées pour établir une méthode de la science qui soit véritablement un art de la découverte. La partie comporte aussi des analyses de deux hypothèses spécifiques pour rendre compte de la manière dont ce modèle est mis en application, d’une part, par le rejet de l’hypothèse corpusculaire, d’autre part, par l’adoption d’une hypothèse harmonique en astronomie.

L’épistémologie leibnizienne a ceci de particulier qu’elle intègre des principes métaphysiques puisqu’ils sont jugés essentiels à l’avancement du savoir. La dernière partie de l’ouvrage porte sur ces principes dits architectoniques et leur fonction dans le développement de doctrines scientifiques spécifiques. Ce sont des principes architectoniques non pas tant parce qu’ils feraient partie d’un système métaphysique qui s’imposerait aux sciences mathématiques et expérimentales, mais plutôt en tant qu’ils jouent un rôle régulateur dans l’élaboration de théories. Les principes sur lesquels s’attarde F. Duchesneau sont le principe de finalité, le principe de l’identité des indiscernables et le principe de continuité. La grande originalité de cet examen consiste à rendre compte de l’incidence majeure que ceux-ci ont eue dans le développement de la science leibnizienne au lieu de les considérer seulement dans leurs aspects strictement métaphysiques.

Bien que l’ouvrage soit déjà très bien connu et ait même influencé de nombreux commentateurs actuels, cette réédition est plus que bienvenue et donne l’occasion de découvrir ou redécouvrir des analyses et interprétations majeures au sein des études leibniziennes.

 

Christian Leduc

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Pour citer cet article : François Duchesneau, Leibniz et la méthode de la science, Paris, Vrin, 2022, 386 p., in Bulletin leibnizien IX, Archives de philosophie, tome 86/3, Juillet-Septembre 2023, p. 157-226.

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Gottfried Wilhelm Leibniz, General Inquiries on the Analysis of Notions and Truths, ed. and trans. by Massimo Mugnai, Oxford, Oxford University Press, 2021, 155 p.

Les Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum de 1686 sont un texte majeur pour comprendre des aspects de la logique mais aussi de la métaphysique leibniziennes. Au début du manuscrit, Leibniz reconnaît lui-même qu’il y fait des progrès importants en la matière. Il s’agit certainement de la source la plus complète portant sur l’analyse des notions et des propositions, et dans laquelle on trouve exposées des positions originales qui font de Leibniz un contributeur majeur à l’histoire de la logique. Il est notamment question de la réduction des termes et des propositions en éléments simples sur la base d’une sémantique intensionnelle. Aussi, des règles pour la substitution et la coïncidence des termes dans le but d’en déterminer la fonction propositionnelle. Soutenant une forme de nominalisme, Leibniz y défend par ailleurs une conception du langage qui rapporte les abstraits aux concrets, en évitant l’usage des abstraits philosophiques hérités de la tradition. Ces outils formels sont d’ailleurs à mettre en relation avec les travaux de la même époque en métaphysique, en particulier sur la doctrine de la notion complète de la substance individuelle que Leibniz expose la même année dans le Discours de métaphysique.

Massimo Mugnai nous offre une nouvelle traduction des Recherches générales pour une raison bien précise : le texte avait déjà été traduit en anglais, entre autres par George Parkinson (Logical Papers, Oxford, Clarendon Press, 1966), mais cette traduction se basait sur l’édition qu’en avait proposée Couturat au début du XXe siècle. Elle ne rendait donc pas le manuscrit avec toutes ses variantes et corrections. Les Recherches générales ayant désormais paru de manière intégrale dans l’édition de l’Académie, il devenait préférable d’en faire une nouvelle traduction. L’ouvrage a d’ailleurs pour mérite d’offrir une traduction dans l’ensemble fidèle et rigoureuse, mais également de nous donner l’original en latin. L’appareil de notes est assez réduit, privilégiant l’essentiel, de sorte qu’on néglige quand même d’expliquer certains points théoriques importants. L’introduction est très utile et reprend les principales avancées de Leibniz dans le domaine de la logique. À cet égard, elle permettra à plusieurs de mieux comprendre des éléments formels parfois difficiles à saisir de prime abord. Cette introduction comprend aussi une partie sur la métaphysique qui aborde la nature et la modalité des contenus de vérité. Comme il l’explique dans le Discours de métaphysique, Leibniz maintient que toute proposition vraie exprime un rapport d’inhérence du prédicat dans le sujet. Or, si toute vérité est de cette forme, comment distinguer les nécessaires des contingentes ? Mugnai nous propose des interprétations qui sont en elles-mêmes intéressantes, mais qui n’ont peut-être pas leur place dans une introduction de ce type. On se serait plutôt attendu à ce que la formalisation proposée dans les Recherches générales soit mise en lien de manière plus systématique avec la métaphysique leibnizienne des années 1680. Somme toute, il s’agit d’un travail utile qui permet de mettre en valeur une contribution essentielle du corpus leibnizien.

 

Christian Leduc

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Pour citer cet article : Gottfried Wilhelm Leibniz, General Inquiries on the Analysis of Notions and Truths, ed. and trans. by Massimo Mugnai, Oxford, Oxford University Press, 2021, 155 p., in Bulletin leibnizien IX, Archives de philosophie, tome 86/3, Juillet-Septembre 2023, p. 157-226.

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Matteo FAVARETTI CAMPOSAMPIERO, Luigi PERISSINOTTO, Leibniz on Language and Cognition, in The Journal for the Philosophy of Language, Mind and the Arts, 2/2, 2021, p. 265-461.

L’intérêt que suscite la pensée de Leibniz en philosophie du langage contemporaine n’est plus à démontrer. À la suite de Couturat et de Russell, de très nombreux historiens, philosophes, logiciens ou linguistes trouvèrent dans le corpus leibnizien des points d’intérêts ou de comparaisons avec les discussions plus actuelles en logique, sémantique ou pragmatique de manière à contribuer à des questions d’importance, comme celles de la signification des termes, des fonctions du langage, de la référence, etc. Depuis les années 1970, ce genre d’études est assez abondant, les plus notables sont certainement celles de Marcelo Dascal, Albert Heinekamp, Hidé Ishiguro, Raili Kauppi et Benson Mates. Celles-ci ont cependant eu tendance à se concentrer sur le langage sans nécessairement examiner le rapport que celui-ci entretient avec la cognition. Ce point a certes fait l’objet de quelques commentaires, mais reste à déterminer, car il est vrai que le langage joue non seulement chez Leibniz un rôle dans l’organisation et la démonstration des vérités, et ce dès le De Arte combinatoria de 1666, mais semble aussi devoir être pris en considération pour expliquer la constitution de la pensée et de la connaissance. On peut en prendre pour preuve certaines notions, comme celles des grands nombres, qu’il serait impossible d’exprimer adéquatement sans l’usage de symboles.

Ce numéro de revue a pour objectif de combler en partie cette lacune et comprend des articles qui portent sur différents aspects de la logique, de la philosophie de l’esprit et de la philosophie du langage de Leibniz. L’approche générale est manifestement actualiste et il est ainsi proposé de lire les positions leibniziennes à la lumière d’enjeux actuels. Comme les éditeurs l’indiquent en introduction, il s’agit d’étendre notre connaissance des positions leibniziennes sur le langage et ses fonctions cognitives et de réaffirmer l’importance qu’elles ont aujourd’hui. Le dossier inclut également la retranscription d’un manuscrit inédit de cours délivré par Peter Strawson en 1947. Cette introduction aux principales parties de la philosophie leibnizienne est fortement marquée par la lecture qu’en proposa Russell dans son ouvrage fondateur (A Critical Exposition of the Philosophy of Leibniz, Cambridge University Press, 1900). L’intégration de cette pièce est justifiée, puisque Strawson y traite longuement de la logique et de la sémantique.

Dans son article, Filippo Costantini se penche sur le traitement leibnizien du terme vide, nihil, dont il est question dans quelques opuscules logiques. L’un des problèmes consiste à déterminer la valeur de vérité d’une proposition qui le contient. Pour l’auteur, elle pourrait être vraie puisqu’il s’agit d’une condition pour comprendre l’usage que Leibniz en fait ailleurs, notamment en considérant le statut fictionnel des infinitésimaux, mais également les démonstrations de l’existence de Dieu. Lucia Oliveri offre une contribution qui porte directement sur la thématique du dossier en proposant une interprétation du rôle de l’imagination dans les processus de substitution symbolique. En se positionnant par rapport à Descartes quant à la concevabilité de l’erreur, Leibniz aurait dégagé une fonction particulière à l’imagination symbolique qui la rend nécessaire pour la connaissance. Jean-Baptiste Rauzy s’intéresse pour sa part à la doctrine frégéenne qui fait la distinction entre le contenu d’une proposition et la puissance assertorique du jugement, pour ensuite analyser les positions leibniziennes à cet égard. Chez Leibniz, une proposition est neutre, mais ne serait pas dépourvue de force, en ce qu’elle contient l’acte de juger. Partant des débats contemporains sur l’indexicalité, Eros Corazza et Christopher Genovesi en examinent les conditions chez Leibniz et soutiennent que l’acte réflexif de la monade sur elle-même anticipe certains aspects actuels. Les auteurs sont d’avis que la référence indexicale au moi est essentielle pour désigner les actes intentionnels et pour fonder l’identité morale de la personne. Massimo Mugnai s’attarde au Dialogus de connexione inter res et verba de 1677, en particulier à la question de savoir comment une proposition vraie peut être formulée dans une pluralité de langues naturelles. En considérant ce problème, il est important de réaffirmer les fonctions cognitives du langage, notamment pour différencier la doctrine de Leibniz du nominalisme de Hobbes. L’article comprend aussi un examen de l’usage des prépositions et de la perception des relations spatiales. Stefano Gensini propose finalement une introduction et une édition d’une lettre inédite de Leibniz à Chamberlayne de 1715 qui concerne les langues naturelles et leur développement historique. La lettre se concentre notamment sur les différentes versions du Pater noster et appartient donc aux travaux de Leibniz sur la linguistique et l’histoire des langues. Celle-ci n’est malheureusement pas traduite en anglais, de sorte que seuls les latinistes pourront véritablement prendre connaissance de son contenu.

Le dossier comporte des contributions intéressantes et originales, notamment sur des enjeux peu traités de la philosophie leibnizienne du langage. Celles-ci ne sont malheureusement pas toutes de même qualité ni toujours appuyées sur une connaissance rigoureuse des sources primaires et secondaires ; mais le lecteur œuvrant dans le domaine y trouvera des résultats féconds. Comme c’est souvent le cas de ce type de publications, l’ensemble manque parfois de cohérence et les différents articles ne sont publiés dans un même numéro que parce qu’ils concernent le langage chez Leibniz, et non parce qu’ils se complèteraient les uns les autres. Les approches sont d’ailleurs assez différentes, de sorte qu’il est préférable de prendre chaque contribution pour ce qu’elle propose spécifiquement comme résultats de recherche.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Matteo FAVARETTI CAMPOSAMPIERO, Luigi PERISSINOTTO, Leibniz on Language and Cognition, in The Journal for the Philosophy of Language, Mind and the Arts, 2/2, 2021, p. 265-461., in Bulletin leibnizien VIII, Archives de philosophie, tome 85/3, Juillet-Septembre 2022, p. 167-220.</p

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Marine PICON, Normes et objets du savoir dans les premiers essais leibniziens, Paris, Classiques Garnier, 2021, 348 p.

Comme il s’agit d’un ouvrage posthume, Marine Picon étant malheureusement décédée en 2020 et n’ayant pu elle-même veiller à sa publication, quelques remarques préliminaires s’imposent. L’ouvrage est tiré presque intégralement d’une thèse de doctorat soutenue en 2015 à l’ENS de Lyon. Étant donné l’avis très positif du jury, il était prévu depuis lors qu’elle soit retravaillée pour publication. Des collègues et amis de l’auteure se sont donc occupés de la réviser en intervenant parfois sur la forme et en complétant le fond à partir des notes que celle-ci avait préparées. La bibliographie n’ayant pas été mise à jour, elle s’arrête alors en 2017.

Le jury de thèse ne s’était pas trompé, car il s’agit effectivement d’un travail remarquable et qui constitue une première véritable synthèse sur les questions méthodologiques chez le jeune Leibniz. La période principalement visée est d’ailleurs très précise et correspond pour l’essentiel, si l’on exclut les analyses portant sur de De Arte combinatoria, aux contributions de la période dite de Mayence (1667-1672) qui précède donc le séjour que Leibniz fera à Paris (1672-1676). C’est un moment de sa carrière philosophique qui a certes retenu l’attention des interprètes, mais qui reste à examiner dans certains de ses aspects. Marine Picon s’intéresse à des parties de la correspondance, dont des lettres à Thomasius, Conring et Kircher, mais son attention se porte principalement sur deux textes à portée méthodologique : la Nova methodus discendae docendaeque jurisprudentiae (1667) et la préface que Leibniz rédige à l’occasion de la réédition du De Veris principiis et vera ratione philosophandi contra pseudophilosophos de Nizolius (1670). Le dernier chapitre de l’ouvrage comporte aussi quelques considérations à propos du possible tirées de la Confessio philosophi (1672) et de la notion d’idée interprétée dans un opuscule mathématique intitulé Accessio ad arithmeticam infinitorum (1672). Malgré la diversité des objets et des approches du corpus, Marine Picon y voit une cohérence suffisante pour dégager ce qu’elle nomme une théorie de la science, laquelle comporte certes des éléments méthodologiques, mais aussi métaphysiques, juridiques et philologiques.

La thèse principale qui structure l’ouvrage se résume de la manière suivante : si, à des moments ultérieurs de sa carrière philosophique, Leibniz développe une théorie de la connaissance en bonne et due forme, en particulier dans les Meditationes de cognitione, veritate, et ideis (1684) et plus tard dans les Nouveaux Essais sur l’entendement humain (1704), un tel corps de doctrine serait entièrement absent des textes de la période de Mayence. Il existe bien une méthode de la science, dont les principales parties sont la définition et la démonstration (que Leibniz traiterait de manière strictement logique), mais force serait toutefois de remarquer qu’une telle méthode ne s’appuie pas sur une analyse de type psychologique ou épistémologique qui concerne les sources, les facultés et les opérations cognitives de l’esprit humain. À cette thèse principale s’ajoute par ailleurs un autre point digne de mention : la théorie non épistémologique de la science que Leibniz élabore à cette période donnerait lieu à des résultats pérennes. Le plus notable concerne la définition réelle et son fondement dans une procédure qui reposerait sur une forme d’analyticité et que Leibniz appelle une signification signifiée. Cette opération serait purement logique et pourrait être considérée comme un savoir a priori, indépendant de l’expérience sensible. Pour démontrer ces interprétations, Marine Picon propose des analyses méticuleuses du corpus leibnizien concerné et resitue chaque fois les textes et thèses examinés dans un contexte théorique précis, à savoir celui dans lequel Leibniz a été formé et évolue avant le séjour parisien. L’un des grands mérites de l’ouvrage est ainsi de reconstruire ce cadre, trop souvent laissé de côté par les commentateurs, en mettant en valeur les sources dont Leibniz discute ou qu’il connaît par sa formation universitaire. En particulier, sont étudiées des figures associées à l’aristotélisme et à la scolastique luthérienne, comme Alsted, Kleckermann et Thomasius.

L’ouvrage se divise en deux parties, chacune ayant principalement pour objet l’une des deux contributions leibniziennes indiquées précédemment, soit la Nova methodus et la Préface à Nizolius. La première partie vise donc à dégager les normes d’une théorie de la science dans un traité qui porte au départ sur l’enseignement de la jurisprudence. Il ne faut cependant pas s’y méprendre, car Leibniz y expose effectivement des éléments généraux de méthodologie. Le chapitre initial porte sur un point important qui concerne l’organisation des pensées ou propositions que la tradition a principalement explicitée de deux manières, comme ordre de connaissance ou comme ordre d’exposition. Pour le jeune Leibniz, ces deux manières ne sont pas distinguées, contrairement à ce que soutiennent Bacon ou Descartes. Toute méthode a nécessairement pour objet un même type de connexion des contenus, plus précisément des relations entre termes et propositions. Le propos rejoint à l’évidence les thèses énoncées dans le De Arte combinatoria, publié l’année précédente, mais pour s’orienter vers les conditions de l’art d’invention. Marine Picon porte d’ailleurs une attention particulière dans ce chapitre à la notion d’habitus qui est explicitée dès le début de la Nova methodus, lequel peut être compris comme une disposition aidant l’apprentissage et se spécifiant selon les objets d’étude. De ce concept d’habitus peut alors se dégager une hexilogia qui comprend trois étapes : la première consistant en des disciplines instrumentales, comme la topique ou l’analytique, la deuxième portant sur les formes de l’énonciation, et la troisième représentant un inventaire classificatoire des sciences.

Le deuxième chapitre de cette première partie concerne plus précisément l’art d’inventer et sa relation à la combinatoire. Les analyses les plus novatrices se rapportent à la conception que se fait Leibniz de la topique. En s’inspirant de la définition aristoté-licienne, un lien se remarque entre la topique et la combinatoire, puisque toutes deux visent pour Leibniz à exprimer l’ensemble des relations concernant un sujet, sachant néanmoins que la combinatoire a une portée plus grande et est a fortiori mise en application dans la recherche des lieux transcendantaux. Marine Picon constate que ces réflexions leibniziennes autorisent une distinction importante entre les relations nécessaires et factuelles, annonçant d’une certaine manière la distinction ultérieure entre les vérités nécessaires et contingentes.

Le dernier chapitre de cette même partie a pour objet ce que Marine Picon nomme la métaphysique des sciences, dont l’interrogation principale est de déterminer la nature de l’étant et de ses affections. Elle souligne que la Nova methodus est le seul des ouvrages de jeunesse où Leibniz traite ainsi de la métaphysique de manière générale. Le point d’intérêt principal de cette doctrine est son ancrage dans le sensible. D’une façon qui pourrait étonner un lecteur de l’œuvre plus tardive, Leibniz considère que les termes simples sont des qualités sensibles, mais en tant qu’elles sont comprises comme concepts fondamentaux. On pourrait donc dire que la métaphysique est la science de l’être sensible, dont les qualités sensibles (principalement la pensée et la causalité des corps) sont les termes premiers et inexplicables. De cette caractérisation doit aussi se comprendre la distinction leibnizienne entre le sensus et l’imaginatio, dont la signification est principalement ontologique, et non psychologique. Leur usage sert à marquer les modalités de l’étant plutôt que des sources de connaissance, en particulier à différencier l’existence (par le sensus) et l’essence (conçue comme imagibilitas).

La deuxième partie de l’ouvrage se penche sur la Préface à Nizolius qui complèterait cette première méthodologie leibnizienne des sciences. Deux sujets sont traités plus particulièrement, la question de l’universel (chapitre 4) et les conceptions de l’idée et de la définition (chapitre 5). Une interprétation générale se dégage des analyses fournies : bien que Leibniz traite subséquemment de ces thématiques par le biais d’une théorie de la connaissance, celle-ci reste absente de la Préface. Par exemple, la notion d’idée, qui est également mobilisée dans l’Accessio, doit être distinguée de l’acception que Leibniz lui confère à partir de la fin des années 1670, par exemple dans le Quid sit idea, puisque l’idée n’est pas une pensée au fondement de la définition. L’ordre entre les deux serait même inversé à cette période, car la définition est considérée par Leibniz comme une idée signifiée.

Le chapitre portant sur l’universel tente de mettre à mal une interprétation dominante du nominalisme que soutient Leibniz à l’occasion de la Préface à Nizolius. De Couturat jusqu’à des commentateurs contemporains, a généralement été soutenue la conviction que Leibniz défendrait une forme de conceptualisme qui s’opposait alors à un nominalisme radical attribué à Nizolius, rapprochant dès lors ce dernier de la position de Hobbes. L’objection de Marine Picon se présente en deux temps : d’une part, il serait faux de considérer que Nizolius maintient un nominalisme radical, qu’on pourrait associer au courant vocaliste, d’après lequel la signification se réduit à une convention langagière. Le reproche leibnizien n’est pas de cet ordre, mais concerne plutôt le recours chez Nizolius à la seule induction pour fonder la signification des termes. D’autre part, la solution leibnizienne qui consiste à compléter la sémantique à l’aide de la notion de tout distributif est en réalité conforme à une position qui fait reposer l’expression de l’universel sur des moyens strictement extensionnels. Autrement dit, le totum distributivum, visant à pallier les problèmes de la théorie des multitudines de Nizolius, ne saurait s’interpréter à l’aune d’une perspective conceptualiste. Les notions ou idées de l’esprit ne seraient jamais convoquées pour rendre compte du tout distributif. La distinction des types de totalités serait purement logique, ce qui rapprocherait Leibniz de la mouvance nominaliste initiale.

Le dernier chapitre est consacré aux notions d’idée et de définition. Marine Picon fait valoir qu’à cette période Leibniz traite peu de l’idée en tant qu’elle serait comprise comme faculté ou contenu de l’esprit humain. L’idée ne serait par conséquent pas un concept analysé par des moyens psychologiques. Lorsque Leibniz traite de la ratio universalis, il n’a pas en tête une représentation de l’esprit, mais une démarche de type définitionnel. Tel qu’indiqué précédemment, l’idée est un contenu non psychologique que la définition rendrait possible. La conception de Leibniz ne serait d’ailleurs pas aussi étrangère à celle de Hobbes, puisque les deux s’accordent pour affirmer qu’il n’y a de définitions que de nom. La différence principale concernerait la manière dont nous parvenons à ces conventions, l’erreur de Hobbes étant de considérer qu’elles sont purement arbitraires, alors qu’elles relèvent pour Leibniz de développements historiques et philologiques qu’il faut prendre en considération. L’histoire des langues est ainsi un outil primordial pour expliquer le fondement de la signification des termes. Cette lecture, qui fait équivaloir l’idée et la définition, remettrait aussi en question une autre interprétation selon laquelle Leibniz soutiendrait à cette époque une épistémologie d’inspiration platonicienne. L’idée n’est ni un contenu de l’esprit ni non plus une forme intelligible transcendante, puisqu’elle ne saurait, à nouveau, être au fondement des définitions qui l’énoncent.

L’ouvrage comporte de nombreux mérites. Il fait mieux connaître un corpus qui, depuis longtemps édité, reste par endroits sous-documenté ou analysé de manière partielle. L’érudition est impressionnante, car chaque analyse est accompagnée de très abondantes références et d’une contextualisation exemplaire. Les principales interprétations sont appuyées par des arguments convaincants et une excellente conceptualisation. Il s’agit d’un travail accompli, qui donne des résultats pertinents. Rappelons que la révision de la thèse n’a pas été réalisée par l’auteure elle-même et que le lecteur doit s’attendre à un ouvrage qui reste très près d’un travail de type doctoral. Dans des circonstances plus habituelles, il aurait été préférable de le rendre accessible à un plus grand nombre d’étudiants et de chercheurs. Dans la version actuelle, il est difficile de suivre les analyses sans une connaissance certaine du corpus leibnizien, voire du contexte de la scolastique allemande du XVIIe siècle. Malgré une contextualisation spécifique qui reste remarquable, il y manque, à mon avis, des indications plus générales afin de faire mieux comprendre les orientations théoriques adoptées par le jeune Leibniz. Par exemple, dans le chapitre consacré à la métaphysique des sciences, il aurait probablement été utile de sortir de la période et des textes concernés pour donner des explications sur l’évolution de la conception leibnizienne de la métaphysique, au moins lors de la période parisienne qui suit immédiatement. Il est parfois difficile de saisir certaines analyses, tant elles sont liées à un contexte doctrinal singulier et, disons-le, parfois éphémère dans l’œuvre leibnizienne. Une autre interrogation pourrait concerner la portée générale de cette théorie de la science. Rappelons que les deux principales sources en sont des contributions qui ne visaient pas au départ à expliciter une méthode de la science : la Nova methodus est d’abord et avant tout un traité d’enseignement et d’apprentissage de la jurisprudence et aborde les points de méthodologie pour remplir principalement cette finalité première. Quant à la Préface à Nizolius, elle reste nécessairement liée au contenu du De Veris principiis. Leibniz y défend certes des positions propres, mais cette restriction contextuelle est incontournable pour en comprendre la portée : peut-on en dégager une théorie générale de la définition ou de la démonstration ? Finalement, la démonstration de l’hypothèse générale de travail, suivant laquelle cette théorie de la science n’est pas épistémologique ou gnoséologique, bien qu’appuyée de manière souvent convaincante, reste sans doute inachevée. La raison en est peut-être que la théorie de la connaissance ou la psychologie (termes qui semblent pris pour synonymes) n’est jamais véritablement définie. Il semble certes évident qu’on ne trouve pas d’épistémologie complète durant la période de Mayence (ni non plus, pourrait-on dire, de théorie de la science ou de métaphysique complètes, tellement les analyses leibniziennes sont parfois courtes et lacunaires), mais cela suffit-il pour soutenir qu’elle serait alors entièrement absente ? Leibniz traite en effet à cette époque de thématiques qu’on peut vraisemblablement considérer comme épistémologiques, dont les facultés de l’esprit (sens, imagination, mémoire, raison), les notions d’idée et d’opérations cognitives telles que l’induction et la généralisation.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Marine PICON, Normes et objets du savoir dans les premiers essais leibniziens, Paris, Classiques Garnier, 2021, 348 p., in Bulletin leibnizien VIII, Archives de philosophie, tome 85/3, Juillet-Septembre 2022, p. 167-220.</p

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Larry H. JORGENSEN, Leibniz’s Naturalized Philosophy of Mind, Oxford, Oxford University Press, 2019, 305 p.

La thèse principale qui guide le présent ouvrage consiste à soutenir que la philosophie de l’esprit de Leibniz s’appuie sur une forme de naturalisation des phénomènes mentaux. Cette interprétation peut au départ surprendre, puisque le naturalisme, du moins dans sa version contemporaine, est fortement associé au physicalisme qui stipule que les phénomènes de l’esprit se décriraient par les principes scientifiques et que les seules entités existantes sont donc physiques. Une telle approche serait à l’évidence contraire à la philosophie leibnizienne qui sépare les domaines de l’esprit et du corps et refuse de réduire l’un à l’autre. L’harmonie préétablie interdit, du moins en principe, de rendre compte des pensées de l’âme à partir des propriétés corporelles. Larry Jorgensen propose cependant de définir le naturalisme en le dissociant du physicalisme de manière à caractériser la philosophie leibnizienne par comparaison avec d’autres pensées dominantes de l’époque, en particulier celles de Descartes et de Malebranche. Dans ce contexte, un naturalisme aurait l’obligation de remplir deux exigences principales : d’une part, que tous les phénomènes, y compris ceux de l’esprit, s’expliquent à l’aide de moyens immanents à la nature, c’est-à-dire sans faire intervenir la causalité divine qui équivaudrait à recourir à une forme de miracle. Une explication naturelle suit les lois ou maximes de la nature établies par Dieu lors de la création. D’autre part, que la cause des phénomènes de l’esprit tire son origine des substances finies, et non uniquement de Dieu. Dieu aurait ainsi pourvu les substances de cette efficacité causale. En ce sens, l’occasionnalisme de Malebranche constituerait l’antithèse du naturalisme, en ce que seul Dieu possède un pouvoir causal.

Cette interprétation pourrait paraître de prime abord comme allant de soi, puisque Leibniz la défend à maintes reprises, notamment dans sa correspondance avec Sophie de Hanovre. L’approche de Jorgensen s’appuie cependant sur un cadre méthodologique spécifique qui fait valoir la nécessité du principe de raison suffisante, jouant le rôle de condition d’intelligibilité, mais aussi et surtout du principe de continuité qui en est une conséquence théorique incontournable. À la lecture de l’ouvrage, on constate que c’est principalement ce dernier principe qui est mobilisé pour démontrer que Leibniz défendrait un naturalisme parce qu’une théorie qui contreviendrait à la continuité, par conséquent qui admettrait des sauts ou des écarts, laisserait certains phénomènes inexpliqués et ne pourrait donc pas être caractérisée de naturaliste.

La première partie de l’ouvrage vise à préciser ces composantes de la philosophie leibnizienne de l’esprit. Certaines analyses portent sur la critique de l’occasion¬nalisme en ce que cette doctrine dérogerait aux exigences du naturalisme mentionnées précédemment (chap. 1 et 3). Un apport plus substantiel concerne néanmoins directement le principe de continuité (chap. 2). On y trouve un examen éclairant, quoique peu original, de la genèse du principe dans les textes des années 1670 et de son lien avec le principe d’équipollence de la cause pleine et de l’effet entier. Il appert que ces deux principes sont les conséquences du critère d’intelligibilité dans l’explication des phénomènes. Il s’agit aussi de montrer comment Leibniz élargit l’emploi du principe de continuité, initialement formulé en physique, de façon à l’appliquer aux entités spirituelles. Dans l’étude de la perception, de la conscience ou de la réflexion, le principe de continuité sert dans l’ouvrage de fondement architectonique à une philosophie de l’esprit naturalisée.

Puisque le naturalisme nécessite de considérer les substances finies comme des agents causaux, la deuxième partie se consacre aux propriétés essentielles de force et de perception monadiques. Le chapitre sur la force rappelle des points assez bien documentés (chap. 4). Les deux chapitres subséquents analysent les concepts de perception et d’expression et reviennent sur des débats importants quant à la manière d’interpréter l’expression chez Leibniz à la lumière des perceptions de la monade. Ici, Jorgensen tente de compléter les analyses de Kulstad et de Swoyer en proposant une typologie de l’expression selon que les relations sont de ressemblance, de connexion ou de génération (chap. 5). Le résultat de recherche le plus notable a cependant trait au rapport entre expression et perception depuis le critère de distinction. De façon assez convaincante, l’auteur montre qu’il faut éviter de confondre l’expression distinguée de la monade avec la perception distincte. Autrement dit, la perception distincte est le propre des monades capables de conscience, tandis que les monades simples expriment seulement l’entièreté du monde sous un point de vue spécifique, mais sans qu’on puisse dire que leurs perceptions sont à proprement parler distinctes (chap. 6). Par ailleurs, la perception distincte, en son sens premier, réfèrerait à la sensation à laquelle seuls les âmes et les esprits sont aptes. Pour régler le problème du lien entre la sensation et l’action de l’esprit, Jorgensen propose, de manière un peu plus contestable, qu’il faille recourir chez Leibniz à la médiation du corps (p. 131-140).

La troisième partie porte sur les phénomènes de la conscience. Le chapitre 7 propose une solution au problème de l’émergence de la conscience dans un contexte continuiste. Les commentateurs se sont en effet posé la question de savoir si l’apparition des perceptions conscientes devait ou non s’effectuer par degrés. Entre les perceptions insensibles des gouttes et la perception consciente de la vague, existe-t-il une rupture ou un accroissement graduel ? Pour préserver la continuité naturelle de la conscience, Jorgensen propose une interprétation qui comprend ce passage à l’aide de l’idée d’un seuil de degré de distinction (threshold degree of distinctness). Cette hypothèse assez éloquente évite plusieurs problèmes, dont celui de devoir concevoir la conscience à la manière de Descartes en y introduisant des discontinuités. Une interrogation similaire se pose quant à la capacité mnémonique (chap. 8). Il existerait d’après l’auteur plusieurs concepts chez Leibniz qui énonceraient les fonctions de la mémoire, chacune attribuable respectivement aux trois types de substance que sont la monade simple, l’âme et l’esprit. Fondée en bonne partie sur un extrait d’une lettre à Arnauld de juillet 1686, l’interprétation de Jorgensen pose en l’occurrence de sérieux problèmes, puisqu’elle semble conférer aux monades simples une mémoire virtuelle. Or il n’est pas évident que les distinctions faites dans l’échange avec Arnauld peuvent ainsi se généraliser pour penser une gradation continuelle des pouvoirs mnémoniques. Le chapitre 9 est consacré à l’appétition, qu’on sait permettre le passage d’une perception à une autre. Il s’agit d’un autre aspect bien commenté, notamment la question de savoir comment expliquer la tendance appétitive de la monade vers des perceptions passives. En réévaluant la portée téléologique de l’appétition leibnizienne, Jorgensen soutient qu’une lecture naturaliste rend parfaitement compte des tendances tant actives que passives, en tant qu’elles s’inscrivent dans un ordre propre d’expression.

La quatrième et dernière partie a pour objet trois problèmes qui concernent la cognition des êtres rationnels. Le premier a trait au statut particulier de l’âme rationnelle qui nécessite, pour advenir, une transcréation (chap. 10). Celle-ci pourrait s’apparenter à une forme de miracle, par lequel Dieu confère à une âme sensitive un pouvoir réflexif au moyen d’un acte qui s’ajoute à la création initiale. Pour répondre à cette lecture discontinuiste et antinaturaliste, Jorgensen propose de recourir à la théorie de la préformation qui rend compte d’un passage sans rupture de l’âme sensitive à l’esprit humain. La question de l’identité morale est ensuite abordée (chap. 11). Malgré sa critique de la position de Locke, selon qui l’identité personnelle se fonde sur la conscience de soi passée et présente, Leibniz attribuerait quand même une fonction importante à la réflexion pour comprendre la personne morale. Finalement, il est question de l’écart existant chez Leibniz entre la perception sensible et la pensée conceptuelle (chap. 12). Certains commentateurs rejetteraient l’interprétation kantienne d’après laquelle Leibniz comprend le rapport entre le sensible et le conceptuel par une différence de degrés ; au contraire, Jorgensen maintient que la compréhension que Kant offre est assez juste puisqu’elle permet de conserver la validité du principe de continuité.

L’ouvrage est très bien documenté et repose sur une somme impressionnante de recherche. Certaines sections sont par moments laborieuses étant donné que Jorgensen prend plusieurs interprétations récentes en considération et tente d’y répondre en détail. On perd parfois de vue le texte de Leibniz lui-même pour s’enfoncer dans des débats entre commentateurs, à mon avis beaucoup trop nombreux. Il me semble également que le titre ne reflète pas complètement le contenu et la portée de l’ouvrage. D’abord, la philosophie de l’esprit, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, s’intéresse principalement à l’esprit au sens leibnizien, c’est-à-dire à la cognition humaine. Or une partie importante du livre est consacrée aux entités spirituelles monadiques, qu’elles soient ou non des esprits. Pour le dire autrement, l’ouvrage ne porte pas seulement sur la philosophie de l’esprit, mais aussi sur les substances spirituelles dans leur ensemble. Ensuite, la question de la naturalisation, malgré les premiers chapitres qui y insistent longuement, n’apparaît pas le principal fil directeur des analyses proposées. En réalité, c’est plutôt l’application du principe de continuité aux phénomènes spirituels et métaphysiques qui semble concerner l’auteur. On n’y trouve donc pas une synthèse sur la théorie de la cognition ou de la conscience humaine chez Leibniz, mais l’examen de la métaphysique de l’âme en tant qu’elle se fonde pour l’essentiel sur le principe de continuité. Une fois notées ces réserves, le lecteur y trouvera une étude riche et rigoureuse qui propose à maints endroits des interprétations originales et fécondes.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Larry H. JORGENSEN, Leibniz’s Naturalized Philosophy of Mind, Oxford, Oxford University Press, 2019, 305 p. in Bulletin leibnizien VII, Archives de philosophie, tome 84/3, Juillet-Octobre 2021, p. 135-202.</p

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The Oxford Handbook of Leibniz, edited by Maria Rosa Antognazza, Oxford, Oxford University Press, 2018, 801 p.

D’abord disponible en ligne, le Oxford Handbook sur Leibniz est désormais paru en version papier. Parmi les volumes anglophones du même type, par exemple chez Cambridge University Press et Bloomsbury, il s’agit certainement du plus complet. L’éditrice a effectivement fait le choix de couvrir des aspects qui ne se trouvent pas habituellement dans des collectifs similaires, et de diviser davantage les sections et chapitres pour proposer des analyses plus spécifiques. Le mérite principal du volume réside précisément dans cette exhaustivité ; il couvre par ailleurs non seulement les parties principales de la philosophie de Leibniz, mais encore d’autres domaines scientifiques et pratiques auxquels celui-ci s’est consacré. Sont donc inclus plusieurs chapitres sur les mathématiques, notamment le calcul, l’analysis situs et les probabilités, des contributions portant sur des disciplines scientifiques souvent négligées dans la littérature secondaire, comme l’histoire de la Terre, la médecine et la chimie, ainsi que des études expliquant les rapports de Leibniz à ses propres occupations professionnelles, en particulier ses fonctions d’historien et de bibliothécaire. Notons que de nombreux chapitres traitent évidemment de la métaphysique, de la logique, de la physique et de la théologie, parties couvertes dans des manuels d’introduction, mais qui le sont ici de façon beaucoup plus détaillée. Encore aujourd’hui peu documentées, la morale et la philosophie politique de Leibniz font entre autres l’objet de quelques études spécifiques. Il faut aussi se réjouir que les contributeurs du volume ne soient pas exclusivement des chercheurs évoluant dans les milieux anglo-saxons, principalement nord-américains et britanniques. De nombreux chercheurs français, allemands et italiens y ont collaboré, ce qui a permis de mieux mobiliser la recherche leibnizienne internationale.

Le collectif se démarque par d’autres choix éditoriaux qui sont toutefois en partie discutables : l’un de ceux-ci concerne la conception de la pensée de Leibniz qui a motivé la sélection des chapitres et des sections. Comme elle l’indique en introduction, Maria Rosa Antognazza défend l’idée qu’il existe une multiplicité de façons de reconstruire le système leibnizien ; sans prétendre envisager un ordre hiérarchisé entre les parties doctrinales, on peut quand même admettre que celles-ci se soutiennent mutuellement (p. xviii). Le volume emprunte ainsi un ordre de présentation systématique, bien que d’autres voies d’exposition aient été d’après elle possibles. D’une part, il est loin d’être certain que les parties de la pensée de Leibniz puissent être considérées dans des relations de dépendance les unes par rapport aux autres – en particulier, que les travaux mathématiques, historiques et philosophiques puissent réellement former ensemble un corps de doctrine cohérent, tant les méthodes et les objets y sont distincts. Il n’était probablement pas nécessaire de structurer l’ouvrage à partir d’un tel a priori, auquel il serait d’ailleurs difficile de faire correspondre l’état extrêmement varié et très souvent fragmentaire des textes du corpus. D’autre part, malgré l’idée énoncée d’une pluralité de manières de lire l’œuvre leibnizienne, ce présupposé aboutit finalement à une présentation assez classique du leibnizianisme, puisque le volume débute par l’examen des doctrines métaphysiques et logiques et expose ensuite des domaines considérés comme plus spécifiques : les mathématiques, les sciences naturelles et les savoirs techniques. Afin de se distinguer des autres publications anglophones du même genre, il aurait probablement été intéressant de proposer une manière différente d’organiser et de diviser les chapitres.

Il est également regrettable qu’aucun chapitre ne soit consacré à la diffusion et à la réception de l’œuvre de Leibniz. Non seulement ce domaine d’étude a pris de l’importance durant les dernières années, mais il apparaît désormais essentiel d’expliquer comment Leibniz fut interprété à partir du XVIIIe siècle, pour comprendre non seulement la place qu’il occupe maintenant dans l’histoire de la philosophie, mais aussi pourquoi certaines de ses théories ont été historiquement privilégiées au détriment de plusieurs autres. Un chapitre sur la réception de Leibniz dans la pensée allemande aurait semblé incontournable, ainsi que des contributions sur son influence dans les débats en sciences naturelles et en mathématiques.

Nonobstant ces quelques remarques, le Oxford Handbook sur Leibniz s’imposera très certainement auprès des enseignants, des étudiants et des chercheurs comme source pour entrer dans l’œuvre leibnizienne et l’étudier.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Christian LEDUC, « The Oxford Handbook of Leibniz, edited by Maria Rosa Antognazza, Oxford, Oxford University Press, 2018 », in Bulletin leibnizien V, Archives de Philosophie, tome 82/3, juillet-septembre 2019, p. 587-646.

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The Leibniz-Arnauld Correspondance. With Selections from the Correspondance with Ernst, Landgrave of Hessen-Rheinfels, ed. and trans. by Stephen Voss, New Haven/London, Yale University Press, 2016, 410 p.

Les œuvres de Leibniz publiées dans les Sämtliche Schriften und Briefe des Académies de Berlin-Brandenburg et de Göttingen constituent une source textuelle désormais fiable et qui s’est imposée pour tout autre travail d’édition ou de traduction futur. C’est le cas de la correspondance entre Leibniz et Arnauld, dont on sait l’importance pour comprendre des parties centrales de la pensée leibnizienne. L’édition de l’Académie a notamment montré que certaines lettres ont été fortement retravaillées par Leibniz plusieurs années après l’échange effectif, puisqu’il projeta de les publier. Les lettres ne sont jamais parues du vivant de Leibniz, mais il est primordial de faire la distinction entre les copies et brouillons du milieu des années 1680, dont certaines ont été effectivement envoyées et lues par Arnauld, et les lettres retravaillées, probablement dix ans plus tard, époque durant laquelle Leibniz modifie des positions centrales de sa métaphysique et apporte des corrections terminologiques notables. Les éditions précédentes de la correspondance, principalement celles de Foucher de Careil et de Gerhardt, ne tiennent pas compte de ses corrections et doivent par conséquent être délaissées au profit du travail de l’Académie.

Dans le monde anglophone, plusieurs traductions de la correspondance existent, la plus complète étant celle de H. T. Mason, maintenant vieille cependant de plus d’une cinquantaine d’années. Il était donc nécessaire de produire une nouvelle traduction des textes de la correspondance à partir de versions plus fiables maintenant connues. C’est ce travail que propose Stephen Voss par le présent volume paru dans la série The Yale Leibniz, dans lequel on retrouve aussi l’original français. Voss ne s’est toutefois pas contenté de reproduire les textes français accessibles dans les Sämtliche Schriften und Briefe pour ensuite les traduire, mais a jugé nécessaire de reprendre le travail d’établissement des pièces à partir des sources primaires disponibles : les manuscrits conservés à la Landesbibliothek de Hanovre certes, mais aussi ceux des archives Port-Royal à Utrecht et, pour ce qui concerne certaines lettres du Landgrave Ernst de Hessen-Rheinfels, des bibliothèques de l’université et du Land de Kassel. La motivation qui anime l’auteur de cette nouvelle édition est clairement annoncée : puisque les versions conservées dans les fonds d’archives sont pour la plupart des copies, souvent différentes les unes des autres, Voss affirme que son édition constitue en réalité une reconstruction qui prétend s’approcher le plus possible des premiers manuscrits de Leibniz que nous ne possédons plus. Le volume contient ainsi l’essentiel des variantes, ratures et modifications des lettres de la correspondance entre Leibniz et Arnauld, ainsi que de quelques lettres du Landgrave qu’il est désormais d’usage d’intégrer en tant qu’intermédiaire entre les deux auteurs. Voss a par ailleurs regroupé en fin de volume les changements apportés par Leibniz lorsqu’il a retravaillé ses propres lettres, ce qui est particulièrement utile.

Le projet est dans son ensemble tout à fait louable : une nouvelle traduction de la correspondance Leibniz-Arnauld était sans conteste devenue nécessaire. La traduction me semble d’ailleurs en général excellente et évite certains écueils que l’on trouve par moments dans d’autres traductions anglophones. Toutefois, on peut sérieusement se poser la question de la pertinence de la nouvelle édition qui l’accompagne. Le volume est le résultat d’une quantité considérable de travail, mais force est malheureusement d’admettre qu’un nouvel établissement des textes n’était peut-être pas nécessaire. L’édition de l’Académie parue il y a près d’une dizaine d’années constitue une version éprouvée, contenant l’essentiel des variantes et ratures, et à laquelle les chercheurs se réfèrent principalement. Celle de Voss permet certes de retrouver facilement les références et la pagination des volumes de l’Académie, mais elle s’en distingue sur certains points. L’ordre chronologique de publication des lettres n’est pas le même, et les deux ensembles sont par endroits divergeants : Voss inclut des lettres de Leibniz au Landgrave que l’Académie ne reproduit pas dans le volume A, II (mais en A, I), en particulier l’une du 12 aout 1686, l’autre du 9 juillet 1688, tandis qu’il omet l’extrait de la lettre du 14 septembre 1690 qu’on considère normalement comme exprimant le dernier effort de Leibniz pour relancer la correspondance, mais qui y met en fait un terme. Ces différences ne sont certes pas majeures, sauf peut-être quant à la chronologie des lettres, mais il est quand même curieux de refaire un travail déjà remarquablement accompli par la Forschungsstelle de Münster et qui est d’ores et déjà l’ouvrage de référence.

On peut aussi regretter une absence : on le sait, la correspondance entre Leibniz et Arnauld a comme base textuelle le Discours de métaphysique. Il est maintenant incontestable qu’Arnauld ne l’a pas lu, mais a seulement pris connaissance du sommaire que Leibniz fait parvenir au Landgrave en février 1686, et pour lequel il souhaitait recueillir les commentaires du théologien. Malgré tout, le Discours fait assurément partie de cet ensemble et doit être lu en parallèle des lettres échangées avec Arnauld. Il est donc étonnant que la présente traduction ne l’inclue pas et qu’elle prenne même essentiellement la correspondance comme une pièce à part du corpus leibnizien. Notons que l’introduction et les notes explicatives font aussi rarement référence au contenu du Discours et tentent peu d’expliquer la manière dont les lettres sont le prolongement de cet écrit majeur. En introduction, il aurait été souhaitable que soit davantage présenté le contexte théorique dans lequel se situe la correspondance, par rapport au Discours d’abord, mais également au regard d’autres écrits pertinents de Leibniz et d’Arnauld. Par exemple, on sait que la doctrine de la notion complète, dont il est abondamment question dans les lettres à Arnauld, se comprend à la lumière de plusieurs manuscrits sur la logique de la même époque, en particulier les Generales inquisitiones de analysi notionum et veritatum. Or l’édition de Voss ne mentionne pratiquement pas ces sources que l’on se serait attendu à voir mobiliser ; il est question de certaines influences, plus précisément celles d’Aristote et d’Archimède, mais les travaux contemporains de l’échange de Leibniz ont en l’occurrence été ignorés.

Ces regrets ne doivent toutefois pas faire oublier l’essentiel qui était de rendre accessibles en anglais des pièces majeures du corpus leibnizien en une traduction fondée sur une connaissance plus exacte et profonde des manuscrits. Cette nouvelle traduction s’imposera sans nul doute dans les recherches anglophones et remplacera les précédentes versions anglaises.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Christian LEDUC, « The Leibniz-Arnauld Correspondance. With Selections from the Correspondance with Ernst, Landgrave of Hessen-Rheinfels, ed. and trans. by Stephen Voss, New Haven/London, Yale University Press, 2016 » in Bulletin leibnizien IV, Archives de Philosophie, tome 81/3, Juillet-septembre 2018, p. 563-639.

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Julia JORATI, Leibniz on Causation and Agency, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, 224 p.

Le présent ouvrage constitue une étude extrêmement riche et documentée de ce que Julia Jorati nomme la philosophie de l’action de Leibniz. Elle y analyse les principaux points de doctrine de la métaphysique et de la morale leibniziennes qui concernent ce qu’on nommerait aujourd’hui l’« agentivité morale », sujet abondamment discuté dans la philosophie de l’esprit et la psychologie morale actuelles. Même si ces aspects de la pensée de Leibniz ont pour la plupart déjà fait l’objet d’études dans la littérature secondaire, le mérite principal du travail de Jorati consiste à les considérer dans un même ouvrage et à fournir par la même occasion plusieurs interprétations originales, cohérentes et très souvent convaincantes. Certaines théorisations, en particulier quant à la spontanéité et la téléologie, sont par ailleurs tout à fait inédites. Comme elle l’indique en introduction (p. 3), il ne s’agit pas d’examiner les thèses leibniziennes de manière à contribuer aux débats contemporains, de sorte que ses prétentions théoriques demeurent essentiellement historiques. Toutefois, Jorati n’hésite pas à s’inspirer par endroits de théories plus récentes qu’elle juge utiles pour éclairer et expliquer certains concepts et arguments leibniziens. Qu’on soit pour ou contre ce type de démarche, force est de constater que l’usage de recherches contemporaines ne se fait jamais au détriment d’un examen précis des sources textuelles leibniziennes.

Jorati débute par une explication générale de la métaphysique monadologique, essentiellement sur la base des textes de la maturité, pour ensuite se pencher sur les concepts leibniziens qui sont pertinents pour la suite des analyses, en particulier ceux de perception, d’appétition, d’action et de causalité. L’une des questions importantes à cet égard regarde précisément la source de l’action monadique que la plupart des commentateurs ont située dans la capacité appétitive de la monade. Pour Jorati, il faut au contraire considérer que ce sont les perceptions qui sont à proprement parler actives, par l’expression des choses de manière distincte, tandis que les appétitions constituent plutôt des tendances à produire de nouvelles perceptions (p. 23-24). Cette explication a notamment l’avantage de mieux caractériser les fonctions ontologiques respectives des propriétés perceptives et appétitives. Par la suite, il est question du pouvoir causal des monades que plusieurs interprètes ont fondé dans le changement que produisent les perceptions passées sur les perceptions actuelles. Puisqu’il n’existe pas de causalité réelle externe et inter-monadique d’après Leibniz, cette lecture pourrait sembler possible et confèrerait ainsi aux perceptions une puissance productive. Jorati y voit toutefois un problème de taille : les perceptions, comme modalités ou affections de la substance, ne possèdent pas véritablement de puissance causale, car c’est plutôt la substance elle-même qui devrait en être pourvue. Pour pallier cette difficulté, elle suggère de considérer la suite des perceptions comme une série continue et abstraite fondée dans la force primitive propre à la monade (p. 34-35). D’une part, il s’agirait bel et bien de placer le pouvoir causal dans la monade, d’autre part, de traduire cette séquence individuelle sous forme nomologique, telle que l’exige la doctrine de l’expression perceptive. Le problème principal que soulève cette position, et que Jorati mentionne elle-même, est qu’un tel continuum abstrait doit caractériser les séries idéelles et mathématiques et non les suites perceptives et appétitives de nature métaphysique. La solution qu’elle envisage consiste à maintenir que la continuité en question concerne les perceptions qui ne sont pas des quantités discrètes, comme le seraient les monades, thèse qu’il paraît quand même difficile d’adopter.

Les chapitres suivants servent à présenter un cadre conceptuel qui est par la suite mobilisé pour répondre à des problèmes plus directement liés à l’agentivité morale. Jorati propose deux typologies, l’une relative à la spontanéité, l’autre au caractère téléologique de la causalité monadique. Ces distinctions se recoupent et sont même présentées de manière schématique (p. 77). De façon générale, il s’agit de caractériser les états de la monade selon leur statut modal et de désigner ainsi (1) soit toutes les perceptions (par une spontanéité et une téléologie dite métaphysique), (2) soit seulement les perceptions actives (sur lesquelles se fonderait l’agentivité), (3) soit finalement les perceptions volontaires et rationnelles qui sont propres aux seuls esprits. La typologie des téléologies est particulièrement novatrice et permet de traduire des niveaux de tendances et de finalités selon la nature des perceptions. Une explication par cause finale dans l’ordre métaphysique des perceptions et des appétitions s’ajuste ainsi de manière plus précise aux genres de monades et à leurs états. Par exemple, la téléologie rationnelle permet de rendre compte des actions volontaires qui se fondent sur des intentions et des buts intellectifs et délibérés. Par ailleurs, Jorati défend l’idée d’une neutralité téléologique de principe dans la détermination ontologique des perceptions et appétitions : contrairement à ce que plusieurs commentateurs soutiennent, l’explication téléologique ne suppose pas toujours une portée normative individuelle qui s’expliquerait en termes de bien et de plaisir pour l’agent qui agit conformément à une fin (p. 78-79). Cette interprétation permet notamment d’expliquer le fondement de l’action monadique dans la spontanéité : le but qui motive l’agent à agir de telle ou telle manière ne concerne pas toujours un bien pour ce même agent, mais une finalité métaphysique s’inscrivant dans l’ordre téléologique de la nature.

Les derniers chapitres de l’ouvrage se consacrent à une série de problèmes relatifs au libre arbitre et à l’action morale. Une bonne partie d’entre eux vise à montrer la plausibilité théorique du compatibilisme leibnizien en examinant les termes de la question et les significations qu’ils possèdent dans le corpus. Il s’agit bien entendu d’un aspect très bien couvert dans la littérature et les analyses que nous propose Jorati sont ici un peu moins originales. Les critères de spontanéité, d’intelligence et de contingence font chacun, à différents degrés, l’objet d’explications néanmoins fécondes. Deux interprétations contribuent davantage à notre compréhension de la compatibilité entre déterminisme et libre arbitre chez Leibniz : d’une part, la détermination métaphysique des perceptions et appétitions doit se lire à partir du cadre téléologique qu’elle a décrit précédemment. La thèse selon laquelle la nécessité morale est compatible avec la volonté libre des monades intelligentes s’appuierait sur un cadre finaliste qui permet précisément de rendre compte des motifs et délibérations de l’esprit rationnel (p. 124). D’autre part, lorsque Leibniz s’oppose au déterminisme nécessitariste, il aurait surtout en vue la forme qu’il prend chez Spinoza partisan d’un nécessitarisme « aveugle » (p. 135-136). La notion leibnizienne de contingence ne saurait donc s’assimiler à un indéterminisme, comme nous l’entendons souvent aujourd’hui, mais à l’action dont le contraire est possible et dont la substance est véritablement cause par sa spontanéité.

Une dernière série de considérations porte plus précisément sur la volonté et l’action morale. C’est ici que Jorati puise dans la littérature contemporaine pour proposer une explication distincte des positions leibniziennes. Il est notamment question de la faiblesse de la volonté ainsi que des conditions de détermination de la responsabilité morale. Il s’agit de thèmes moins documentés dans la littérature et ces sections constituent des contributions tout à fait pertinentes pour la recherche sur Leibniz. On pense en particulier au lien qu’elle analyse entre la maîtrise que peut avoir un agent sur ses passions et son comportement et la responsabilité asymétrique qu’il doit assumer selon que le contrôle exercé est direct ou indirect (p. 205). La comparaison avec les travaux de Susan Wolf en philosophie morale est intéressante pour la compréhension proposée des thèses leibniziennes.

L’étude de Jorati est somme toute non seulement importante pour mieux comprendre la philosophie leibnizienne de l’action, mais permet aussi de réviser plusieurs interprétations qu’on en a données, du moins d’en démontrer des lacunes. Il y a par endroits une surabondance de théorisations qui sont étrangères au corpus leibnizien et on peut parfois se demander si elles sont toujours nécessaires. Par exemple, les types de spontanéités, bien que conceptuellement intelligibles, constituent des reconstructions interprétatives qui nous éloignent passablement des textes de Leibniz. Une conclusion générale fait par ailleurs défaut et aurait permis de rappeler les principaux acquis, mais aussi de situer de manière synthétique la nouvelle perspective avancée. Mais il s’agit sans conteste d’un ouvrage qui s’imposera comme une excellente contribution à la recherche leibnizienne et qui ne manquera pas de susciter d’importantes discussions.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Christian LEDUC, « Julia JORATI, Leibniz on Causation and Agency, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 » in Bulletin leibnizien IV, Archives de Philosophie, tome 81/3, Juillet-septembre 2018, p. 563-639.

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Arnaud PELLETIER (éd.), Leibniz and the aspects of reality, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, Studia Leibnitiana – Sonderheft 45, 2016, 149 p.

Dans la littérature des dernières décennies, la question de la réalité chez Leibniz a principalement été traitée dans son rapport à la métaphysique de la substance. Pour le dire rapidement, Leibniz aurait conféré aux corps, selon les différents textes et époques, une réalité ou bien substantielle, ou bien simplement phénoménale. Le débat entre les interprétations réalistes ou idéalistes a cependant comme défaut principal d’appliquer à la métaphysique leibnizienne des catégories qui lui sont étrangères. D’ailleurs, l’une des motivations des interprètes pour déterminer la nature de l’ontologie leibnizienne des corps est également anachronique et se fonde sans aucun doute sur les discussions plus contemporaines concernant le réalisme et l’anti-réalisme en théorie de la connaissance et en philosophie des sciences.

Le présent volume dirigé par Arnaud Pelletier a pour mérite principal de reconsidérer le problème de la réalité en l’ancrant directement dans les textes et enjeux du corpus leibnizien et en évitant ainsi les écueils de plusieurs interprétations actuelles. Car Leibniz a effectivement étudié le concept métaphysique de réalité et a apporté des réponses à des problèmes discutés dans la tradition. Il s’agit ici toutefois d’examiner ces aspects à partir de conceptualisations proprement leibniziennes. Stefano Di Bella propose un premier article qui porte sur le problème de la distinction entre l’expérience du rêve et celle de la réalité, héritée en bonne partie de la philosophie cartésienne. En exploitant les manuscrits de la période dite parisienne, il montre que le critère de cohérence ne semblait pas à Leibniz entièrement convaincant, même si c’est celui que l’on trouve dans le célèbre De modo distinguendi du milieu des années 1680. Il fallait donc faire intervenir d’autres déterminations, dont celles de l’action.

Deux autres contributions portent sur des conséquences de la distinction entre substance et accident que Leibniz reprend de la tradition, mais pour la modifier en partie. Si la notion de substance a été longuement analysée par les commentateurs, certains aspects de sa doctrine des accidents restaient à évaluer. Arnaud Pelletier examine plus précisément le traitement leibnizien des accidents réels, réalités qui servaient, notamment dans la tradition scolastique, à rendre compte de la transsubstantiation. En effet, si la substance du pain et du vin est convertie en celle du corps et du sang du Christ, il fallait expliquer que les accidents sensibles demeurent inchangés. Depuis le Concile de Trente, plusieurs philosophes scolastiques, dont Suarez, ont mobilisé le concept d’accident réel pour expliquer cette substitution, c’est-à-dire l’accident en tant qu’il serait indépendant de la substance. Bien que Leibniz réhabilite la doctrine des formes substantielles, on comprend qu’il écarte celle des accidents réels, la jugeant contraire à une véritable métaphysique de la substance. Irena Backus revient sur cette question afin d’analyser la théorie leibnizienne de l’eucharistie, aspect qui est resté assez peu commenté dans la littérature secondaire et qui méritait une étude. Elle se penche sur les principaux textes du corpus en insistant plus particulièrement sur la doctrine de la présence réelle, selon laquelle le Christ est véritablement présent dans les substances du pain et du vin. Il appert d’ailleurs que Leibniz a régulièrement reconsidéré le problème de l’eucharistie pendant sa carrière, des premiers textes de jeunesse jusqu’à la fin des années 1690, sachant qu’il en sera finalement question dans la correspondance avec Des Bosses dans laquelle il avance la notion de vinculum substantiale.

Pour sa part, Pauline Phemister s’intéresse aux rapports entre le pluralisme ontologique de Leibniz et le monisme de F. H. Bradley. Malgré un désaccord profond entre les deux théories métaphysiques, elle montre que leurs analyses respectives de la notion de relation peuvent faire l’objet d’une comparaison positive. Plus exactement, les deux auteurs pensent de manière similaire le lien entre les relations internes et externes, même si Bradley semblait au départ plutôt critique de la doctrine leibnizienne de l’inhérence. Chez Leibniz, le problème de la réalité concerne aussi la structure du vivant, sur laquelle porte l’article de Justin Smith. Il analyse la correspondance entre Leibniz et Stahl qui constitue l’un des lieux privilégiés pour comprendre la conception leibnizienne du vivant. On comprend que sur la question du rapport causal entre l’âme et le corps organique il ne saurait y avoir de consensus entre les deux auteurs, même s’ils sont d’accord sur d’autres points, en particulier quant à l’harmonie des choses instituée par Dieu.

Les deux dernières études du volume mettent l’accent sur le rapport entre la réalité dans son acception métaphysique et les idéalités mathématiques. Herbert Breger montre que le statut ontologique des entités mathématiques ne se laisse pas réduire à leur simple validité formelle dans tous les mondes possibles. Dans les faits, on remarque que Leibniz propose des réflexions assez précises sur la réalité et la modalité des quantités mathématiques, qu’il s’agisse des nombres naturels et imaginaires ou des infinitésimaux. Finalement, Christina Schneider avance une reconstruction mathématique de la structure spatio-temporelle des phénomènes dans son rapport à l’ordre des monades. Il s’agit probablement de la seule contribution contestable du volume qui tente, à tort, de géométriser la métaphysique monadique, quand Leibniz interdit lui-même une telle articulation théorique. Mais dans l’ensemble, l’ouvrage rassemble des études pertinentes et justes qui permettent de renouveler les questionnements sur la notion de réalité dans la pensée leibnizienne.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Christian LEDUC, « Arnaud PELLETIER (éd.), Leibniz and the aspects of reality, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, Studia Leibnitiana – Sonderheft 45, 2016 » in Bulletin leibnizien III, Archives de Philosophie, tome 80/3, avril-juin 2017, p. 561-623.

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Arnaud PELLETIER (éd.), Leibniz’s experimental philosophy, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, Studia Leibnitiana – Sonderheft 46, 2016, 257 p.

Nous savons maintenant que Leibniz n’est pas le rationaliste ou intellectualiste qu’on a souvent voulu dépeindre et qui maintiendrait que les seules vérités acceptables sont a priori et purement démonstratives ; que l’expérience ne serait qu’une manière de confirmer des connaissances qui ont été établies à partir des principes rationnels de la métaphysique et de la physique. Au contraire, Leibniz a non seulement réfléchi à l’importance des savoirs empiriques, mais a mis en application des procédés expérimentaux à l’occasion de différentes recherches, par exemple dans les domaines de la chimie et des sciences du vivant. La publication récente des premiers tomes de la huitième série des Sämtliche Schriften und Briefe de l’Académie de Berlin qui contient les écrits de sciences naturelles, de médecine et de technique est venue confirmer cette idée selon laquelle la pensée leibnizienne est véritablement expérimentale. Toutefois, encore très peu d’études ont été consacrées à cet aspect pourtant majeur du leibnizianisme. Le volume dirigé par Arnaud Pelletier, issu d’un colloque organisé en juin 2012 à l’Université de Hanovre, peut donc être considéré comme une première initiative de recherche importante pour comprendre ce domaine.

Les articles de l’ouvrage couvrent plusieurs points relatifs à l’expérience et l’expérimentation chez Leibniz. La première série de contributions porte sur la conception générale et métaphysique des connaissances empiriques, en particulier dans leur relation aux vérités intelligibles. Michel Fichant montre comment l’accord entre la raison et l’expérience se perçoit dès la constitution des premiers principes. Les Nouveaux essais sur l’entendement humain ont bien sûr été une occasion privilégiée de considérer cette question, en particulier la manière dont on peut dégager des principes pour les vérités de fait. L’analyse de l’institution de la dynamique à la fin des années 1670 montre également à quel point la démonstration des lois de la physique se fonde sur des procédures expérimentales. Ursula Goldenbaum défend l’idée selon laquelle même si l’on considère Leibniz en tant que rationaliste, il serait erroné de croire qu’il néglige corrélativement le rôle de l’expérience. À la manière de Galilée et Descartes avant lui et des théologiens allemands du XVIIIe siècle, Leibniz voulut intégrer l’expérience dans un cadre qui donne en même temps sa pleine validité aux pouvoirs de la raison. Sur le plan plus directement épistémologique, il est évident que les fonctions de la sensation chez Leibniz sont dans ce contexte à examiner, ce que se propose de faire Christian Barth. Il distingue notamment les principales caractéristiques de la sensation, en particulier en tant qu’elle constitue une perception cognitive distincte et aperceptive. Leibniz maintiendrait par ailleurs que la sensation doit s’expliquer dans son rapport, d’une part, à l’attention, et d’autre part, à la mémoire qui en sont des constituants essentiels. Jeffrey McDonough s’intéresse quant à lui à l’importance de l’appétition dans la détermination de la monade. L’une des caractéristiques des appétits monadiques est qu’ils sont causés de manière téléo­logique et elle suppose une forme optimale de perfection. L’auteur répond à des interprétations qui relèvent certains problèmes relatifs à l’optimisation des actions de la monade en expliquant le rôle primordial de la raison.

Une deuxième partie du volume s’attarde sur différentes implications de la pensée expérimentale leibnizienne dans les sciences naturelles. L’analyse du mouvement perpétuel, notamment à partir de textes de la huitième série des œuvres complètes, donne l’occasion à Hartmut Hecht de montrer certaines implications de l’expérimentation en physique. De manière intéressante, la thèse leibnizienne est également mise en relation avec les premiers travaux en thermodynamique au XIXe siècle, en particulier chez Sidi Carnot. Arnaud Pelletier traite des phénomènes du magnétisme dans les premiers textes de physique de Leibniz, en particulier l’Hypothesis physica nova. On constate que l’explication du magnétisme bute sur certains problèmes d’ordre expérimental, mais que Leibniz souhaitait surtout éviter une approche de type cartésien qui serait essentiellement hypothétique et a priori. Les hypothèses physiques sont certes essentielles, pourvu qu’elles soient fondées sur des preuves observationnelles adéquates.

La philosophie expérimentale a non seulement son importance dans la physique, mais aussi dans les autres sciences naturelles. Deux contributions portent ainsi sur les répercussions de l’expérimentation dans les sciences du vivant. François Duchesneau examine cette contribution en tant qu’elle doit être arrimée aux principes rationnels. Par l’analyse du Negotium otiosum dans lequel Leibniz et Stahl débattent de l’établissement d’une science du vivant, on comprend que le premier défend l’idée d’emprunter à la chimie des moyens d’élaboration d’une théorie médicale efficace sur le plan explicatif. Cette physique spéciale qu’est la science du vivant se fonde par ailleurs chez Leibniz sur les acquis de l’harmonie préétablie qui interdit, contrairement à ce que maintient Stahl, de penser toute action causale de l’âme sur le corps organique. Justin Smith contextualise pour sa part l’anatomie de Leibniz par rapport à la médecine anglaise de l’époque, en particulier chez Richard Lower et Edward Tyson. Il est notamment question de l’expérimentation animale que Leibniz approuverait malgré une métaphysique qui confère aux bêtes une âme sensible. Cette approbation se fonderait en partie sur l’analogie entre le corps animal et le corps humain que la médecine étudie.

La discipline expérimentale par excellence au XVIIe est certainement la chimie, constat que l’on pourrait également faire chez Leibniz. Anne-Lise Rey examine le rapport entre expérimentation et chimie en deux temps : d’abord en analysant ce que Leibniz entend par chimie comme discipline distincte et qui se définirait comme science des éléments corporels semblables ou mêlés. Ensuite, elle défend l’interprétation selon laquelle la pratique expérimentale en chimie permet de dégager des moyens d’études spécifiques de la nature, mais aussi contribue à en énoncer un niveau d’intelligibilité et d’expression. Sebastian Stork exploite des manuscrits de la huitième série des œuvres complètes peu connus et qui montrent encore une fois l’ampleur de l’intérêt de Leibniz pour les observations et expérimentations. On y trouve un ensemble de considérations qui datent principalement du début des années 1670 et qui sont en fait des notes de travaux de la même période produits par des chercheurs de l’Académie royale de Londres. Une dernière contribution est proposée par Mogens Laerke qui étudie l’organisation encyclopédique sur laquelle Leibniz a abondamment écrit. Il appert que Leibniz fait une distinction importante entre la structure encyclopédique des savoirs et leur ordre d’exposition qui doit favoriser l’apprentissage scientifique.

Le volume a, on l’a dit, pour mérite principal de couvrir des aspects peu étudiés du corpus leibnizien. Son intérêt vient également de la diversité des objets examinés, qu’ils soient méthodologiques, métaphysiques ou plus directement liés aux sciences et aux pratiques expérimentales. On peut souhaiter que les contributions de l’ouvrage permettent de susciter un intérêt plus marqué des études leibniziennes pour ces domaines.

Christian LEDUC

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Pour citer cet article : Christian LEDUC, « Arnaud PELLETIER (éd.), Leibniz’s experimental philosophy, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, Studia Leibnitiana – Sonderheft 46, 2016 » in Bulletin leibnizien III, Archives de Philosophie, tome 80/3, avril-juin 2017, p. 561-623.

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