Auteur : Circé Furtwängler

 

Benjamin Berger, Schelling, Hegel, and the Philosophy of Nature. From Matter to Spirit, New York-London, Routledge, 2024, 392 p.

L’auteur propose une interprétation de la relation entre les philosophies de Schelling et de Hegel en prenant pour fil directeur leurs philosophies de la nature. Loin de constituer une simple étape de jeunesse, créative mais confuse, de leurs philosophies, la Naturphilosophie est pour l’auteur une perspective depuis laquelle il est possible de se placer au cœur d’un idéalisme qui définit la raison comme procès de la matière à l’esprit. Cette étude s’inscrit dans un intérêt renouvelé pour la philosophie de la nature dans les études consacrées à l’idéalisme allemand (voir par exemple Frederick Beiser, 2002 ou Iain Hamilton Grant, 2008).
L’auteur définit la philosophie de la nature de Schelling et de Hegel par un procédé épistémique spécifique : « the Nature-Philosophical Explanation ». La nature est pensée comme une réalité systématique stratifiée en différents niveaux (Stufen) où chaque strate anticipe la suivante et conserve quelque chose de celle qui l’a précédée. L’intérêt d’une telle ontologie est de pouvoir varier les perspectives pour analyser avec finesse le champ de forces qui structurent la réalité. Le type d’explication que met au jour l’auteur n’est une explication ni selon la causalité efficiente ni selon la causalité finale. Il met en évidence une relation de dépendance ontologique entre la partie et le tout, de telle sorte qu’aucun niveau ne peut être compris de manière isolée mais seulement en tant qu’il est une partie d’un tout systématique ainsi que l’étape d’un développement. Le caractère nécessaire du développement dont la philosophie a pour tâche de déployer la logique peut se ressaisir à partir d’un « émergentisme » qui serait commun à Hegel et Schelling.
Les chapitres 1 à 3 sont consacrés à la philosophie de la nature de Schelling, qui souligne la continuité entre le projet d’une physique spéculative et une théorie de la connaissance cherchant à identifier les structures rationnelles de la réalité. C’est seulement en partant des formes de la réalité les plus primaires que l’on est capable d’expliquer les formes les plus complexes, en passant de la nature inorganique à la vie et à l’existence humaine. La méthode d’une telle explication est la « dépotentiation ». L’auteur retrace en particulier le jeu des puissances de la nature entre reproduction, irritabilité et sensibilité, qui repose sur l’identification d’embranchements génétiques dans l’architecture de la vie (infuriosa). L’historicité proprement dite prend naissance au sein d’un processus rationnel et atemporel qui conduit à l’émergence de la liberté. L’histoire n’est qu’histoire humaine, mais son émergence trace en négatif la possibilité d’une histoire de la nature qui sera explorée à la toute fin de l’ouvrage, et que l’auteur considère comme l’apport critique essentiel de la philosophie de Schelling.
Les chapitres 4 à 7 portent sur la philosophie de la nature de Hegel. L’auteur présente la relation de la nature à l’Idée comme dialectique : la nature est l’autre de l’Idée, mais en elle, ce n’est rien d’autre que l’Idée qui est connue. Cela explique l’intérêt de Hegel pour les sciences naturelles, seules capables de mettre au jour la logique concrète de la raison. Cependant, il ne s’en contente pas et propose une compréhension systématique de la diversité de ces sciences, qu’il présente dans l’Encyclopédie.
Le chapitre 8, conclusif, est consacré à l’émergence logique et à l’histoire de la nature. L’auteur y explore la possibilité d’une forme de philosophie attentive à l’histoire de la nature, qui lui paraît un aspect particulièrement prometteur des philosophies de la nature de Schelling et Hegel. La science de la nature véritable ne saurait se contenter de décrire les phénomènes naturels, mais devra consister en une histoire de la nature qui retrace le développement historique des formes de vie. Tel est le sens de l’attention accordée à la Stufenfolge, qui consiste en la présentation de l’émergence temporelle des formes générales des êtres naturels. Schelling et Hegel auraient été les premiers à opérer la « temporalisation de la scala naturae ». À partir des Âges du monde, Schelling aurait développé, de plus, une réflexion sur le passé transcendantal de la conscience, qui renvoie aux processus mêmes de la nature. Le passé inconscient de la conscience humaine est l’objet d’une anamnèse qu’une méthode narrative, et non plus argumentative, doit retracer.

Circé Furtwängler (Université Paris-I Panthéon-Sorbonne)

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Pour citer cet article : Benjamin Berger, Schelling, Hegel, and the Philosophy of Nature. From Matter to Spirit, New York-London, Routledge, 2024, 392 p., in Bulletin hégélien XXXIV, Archives de philosophie, tome 87/4, Octobre-Décembre 2024, p. 155-192.

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