Auteur : Daniel Elon
Ivan BOLDYREV, Die Ohnmacht des Spekulativen. Elemente einer Poetik von Hegels „Phänomenologie des Geistes“, Paderborn, Wilhelm Fink, 2021, XIII-215 p.
L’Impuissance du spéculatif. Éléments d’une poétique de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel est une étude interdisciplinaire dans laquelle l’ouvrage de 1807 est appréhendé comme un texte littéraire. Il s’agit de lire « la Phénoménologie comme une œuvre d’art », et cela, « aussi bien au regard de sa forme littéraire qu’au sens où elle traite de littérature » (p. IX). Une autre prémisse de la perspective adoptée, qui trouve son origine chez les « hégéliens hérétiques » comme Kierkegaard et Marx, est que « l’exigence spéculative de Hegel […] s’est toujours révélée être un échec » (ibid.). L’auteur inscrit ces questions dans la problématique de « la narratibilité de la totalité » (ibid.).
Le ch. 1 thématise, à un niveau fondamental, la possibilité d’une lecture littéraire de la Phénoménologie ; le résultat de cette analyse est que « le récit spéculatif » est « une tentative de liaison et de stabilisation des contraires, d’entrelacement d’éléments hétérogènes, de production de l’unité et de travail du négatif, qui est en même temps essentiellement un travail d’incarnation » (p. 23). Le ch. 2 se penche sur l’intertextualité de la Phénoménologie, notamment sur Diderot, Schlegel et Jacobi, tandis que le ch. 3, se référant à la lecture de Diderot par Hegel, traite spécifiquement de « l’argent comme […] double de l’esprit spéculatif et comme […] moteur secret de la dialectique » (p. IX). Les ch. 4 et 5 se concentrent respectivement sur des aspects relevant de la politique et de la philosophie morale, et sur une confrontation de la Phénoménologie avec l’histoire littéraire allemande qui met l’accent sur le thème de l’ironie. Le ch. 6 traite de l’aspect temporel du point de vue littéraire, en considérant l’ouvrage de Hegel comme un texte fini dans le temps, ce qui doit en particulier mettre en évidence sa vulnérabilité, ici comprise dans le cadre d’une « poétique de la périssabilité » (p. 165 sq.). Cette périssabilité, en même temps que la mortalité de la dialectique spéculative (cf. p. 197), est ensuite explicitée, sous la forme de la « figure de la périssabilité totale » (p. 195-197), dans une conclusion acérée (ibid.) qui la présente comme le véritable résultat de la vision littéraire de la Phénoménologie – avec, comme résultat final, l’idée qu’il faudrait inventer une « nouvelle politique ironique » qui pourrait « découvrir le beau dans l’instant de l’échec et offrir à ce beau un nouveau tressaillement […] » (p. 197).
Il s’agit donc, pour l’auteur, d’ébaucher une conception esthétique fondamentale d’un genre nouveau. Cette conception se développe dans la confrontation littéraire avec l’ouvrage de Hegel et y dessine progressivement (notamment dans l’exploration des thématiques de la fragilité et de l’impuissance) sa figure propre, tout en apparaissant comme toujours fragmentée, brisée. Ivan Boldyrev présente ainsi une étude littéraire extrêmement agréable à lire, qui se distingue notamment par la richesse des perspectives et la variété des références intertextuelles. Le fait que cette richesse conduise parfois, compte tenu de la taille réduite de l’ouvrage, à des sauts dans la présentation et l’argumentation ou du moins à des développements trop rapides, ne nuit en rien à sa qualité.
Daniel ELON (Ruhr-Universität Bochum) [tr. V. Béguin]
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Pour citer cet article : Ivan BOLDYREV, Die Ohnmacht des Spekulativen. Elemente einer Poetik von Hegels „Phänomenologie des Geistes“, Paderborn, Wilhelm Fink, 2021, XIII-215 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.
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Héctor FERREIRO & Thomas S. HOFFMANN (dir.), Metaphysik – Metaphysikkritik – Neubegründung der Erkenntnis. Der Ertrag der Denkbewegung von Kant bis Hegel, Berlin, Duncker & Humblot, 2017, 326 p.
Les vingt contributions de ce recueil, issu d’un colloque organisé à Buenos Aires en 2014, se concentrent sur la philosophie allemande classique dans une vaste constellation thématique. Comme l’indique le titre, la métaphysique est le concept directeur du volume. Kant et Hegel, en tant que figures centrales dans ce complexe de thèmes, sont clairement au premier rang, avec un accent beaucoup plus fort sur Hegel. Fichte et Schelling se voient quant à eux réserver relativement peu de place. C’est sans doute le concept de « mouvement » qui constitue le fil conducteur de ce volume. De fait, la dynamique de la pensée spéculative caractérise l’époque en question et la distingue des systèmes statico-dogmatiques de la période précritique.
Présentons ici, à titre d’exemples, les principales thèses de deux contributions. Th. S. Hoffmann, dans son article d’ouverture sur le concept hégélien de l’Idée absolue, distingue le « problème de la philosophie avec la métaphysique » (p. 15 sq.) du « problème philosophique de la métaphysique » (p. 22 sq.) et conclut que « la réponse générale de Hegel à la métaphysique » consiste dans la proposition selon laquelle une compréhension autonome, un esprit auto-déterminant est possible, et même toujours déjà effectif » (p. 25). M. Spieker traite de la philosophie du droit et de l’État de Kant et de Hegel et soutient que celui-ci dépasse la vision de l’État chez celui-là par le concept du social qui rend « Hegel […] capable de saisir philosophiquement la situation de la modernité » (p. 182).
Dans l’ensemble, ce volume à orientation essentiellement systématique apporte une contribution précieuse à la recherche sur le complexe central de la « métaphysique » de la philosophie allemande classique et est donc recommandé à tous ceux qui s’intéressent à ce vaste sujet. Pour autant, on aurait aimé que la question ne soit pas à ce point cantonnée aux seuls Kant et Hegel.
Daniel ELON (Ruhr-Universität Bochum) (trad. G.M.)
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Pour citer cet article : Daniel ELON, « Héctor FERREIRO & Thomas S. HOFFMANN (dir.), Metaphysik – Metaphysikkritik – Neubegründung der Erkenntnis. Der Ertrag der Denkbewegung von Kant bis Hegel, Berlin, Duncker & Humblot, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.