Auteur : Elena Partène

 

Descartes, René, Corespondenta completà, 3 volumes, éd. V. Alexandrescu, Iaşi, Polirom, 2014, 2015 et 2021 (864 p., 952 p., 1 048 p.)

Les dernières années de la recherche cartésienne ont été marquées, sur le plan international, par le renouvellement des éditions de la Correspondance de Descartes : aux Pays-Bas (éditions Bos et Verbeek, pour Zeno), en Italie (édition Belgioioso, pour Bompiani), en France (édition J.-R. Armogathe, pour Gallimard), au Japon (édition Yamada, pour Chisen shokan). Les spécialistes roumains de Descartes, sous l’impulsion de V. Alexandrescu, ont été très sensibles à ce mouvement de renouvellement, dont la présente Correspondance est l’accomplissement réussi : ces trois volumes donnent en langue roumaine les lettres de et à Descartes comprises entre 1607 et 1650, en incluant celles qui furent échangées entre interlocuteurs de Descartes. Les lettres ont été soigneusement traduites du français, du latin et du néerlandais par une équipe composée de Robert Arnàutu, Robert Lazu, Cristian Moisuc, Càlin Cristian Pop, Mihai-Dragos Vadana et Grigore Vida, sous la coordination de Vlad Alexandrescu. Le premier volume traduit les lettres échangées entre 1607 et 1638, le deuxième celles échangées entre 1639 et 1644, le troisième celles allant de 1645 à 1650. L’ordre de classement est chronologique. Pour les lecteurs habitués aux autres éditions de la Correspondance, un tableau de concordances permet de se repérer rapidement à partir des éditions Clerselier, Adam-Tannery, G. Belgioioso (par la suite B) ou J.-R. Armogathe, entre autres. Chaque volume contient par ailleurs des annexes précieuses : des notices historiques sur le contexte politique européen entre 1596 et 1650 (volume I) ou sur le collège de La Flèche (volume I), des notices se focalisant sur la discussion entre Descartes et un correspondant privilégié (Plempius, Petit, Hobbes, Bourdin, etc.), des notices biographiques sur les plus importants interlocuteurs de Descartes (Mersenne, Huygens, la princesse Élisabeth, etc.) et des notices sur des points particuliers de la doctrine cartésienne (la théorie de la chute libre, la création des vérités éternelles, l’union de l’âme et du corps, etc.).
V. Alexandrescu justifie ses choix éditoriaux dans une introduction très précise alliant avec bonheur l’histoire mouvementée de la correspondance cartésienne (à partir de l’édition Clerselier de 1657) et les thèses philosophiques de Descartes. Le premier choix est l’exhaustivité, qui a nécessité, pour reproduire ces 770 lettres, de naviguer entre leurs différentes éditions, de revenir souvent à Clerselier, mais de juger au cas par cas afin d’observer le plus haut niveau de précision philologique, et de préférer parfois l’édition Bos ou Verbeek quand elles s’avéraient plus satisfaisantes. Ensuite, des innovations sont à noter : les lettres XXIII et XXIV du volume II Clerselier ont été différenciées et ventilées en plusieurs fragments ; une lettre d’objections de Petit adressées au Discours et aux Essais fin 1637-début 1638, découverte par C. de Waard il y a un siècle, et qui ne figurait dans aucune des éditions existantes, a également été incluse. On y trouve aussi, comme dans les éditions Yamada et Armogathe, la lettre à Mersenne du 27 mai 1641 découverte par Bos en 2010. Enfin, certaines lettres non numérotées dans la nouvelle présentation d’AT sont numérotées dans l’édition Alexandrescu : la lettre de More à Clerselier [juillet-août 1655 ?] figurant en AT V 642-647 avait déjà été numérotée dans l’édition Belgioioso (B 735), ce qui n’était pas le cas de la lettre de Henri Schluter à Van Hogelande du 12 février 1650 (AT V 576-577) narrant la mort de Descartes. L’édition Alexandrescu propose un certain nombre de changements en matière de datation : outre que les lettres à Mesland du 9 février 1645 sont ici replacées en décembre 1644, selon les indications de l’abbé Georges Monchamp (1856-1907), une lettre à Mersenne datée d’octobre 1631 en AT, remonte ici au 13 janvier 1631.
La traduction parvient à conserver en roumain les longues périodes et le vocabulaire d’une précision de scalpel propres à la langue cartésienne. Elle est par ailleurs impeccable, même si, comme pour toute traduction, il est possible d’interroger certains choix. L’atmosphère du XVIIe siècle et la personnalité de ce gentilhomme qui fut un des plus grands philosophes de l’histoire sont merveilleusement transposées en roumain ; en ce sens, le « parfum plus désuet par endroits » (volume I, p. 45) que les traducteurs ont choisi d’imprimer à la langue roumaine remplit parfaitement sa fonction et restitue au lecteur l’ambiance d’échanges dans lesquels l’acribie et l’élégance ne le cèdent en rien à la profondeur philosophique.

Elena Partène (République des Savoirs, ENS/CNRS/Collège de France, UAR 3 608)

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Pour citer cet article : Descartes, René, Corespondenta completà, 3 volumes, éd. V. Alexandrescu, Iaşi, Polirom, 2014, 2015 et 2021 (864 p., 952 p., 1 048 p.), in Bulletin cartésien LII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 135-180.

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