Auteur : Emanuele Agazzani

 

Marco DIAMANTI (dir.), La fortuna di Hegel in Italia nell’Ottocento, Napoli, Bibliopolis, 2020, 219 p.

La réception d’un auteur, en l’occurrence d’un philosophe, ne dépend pas seulement de facteurs contingents et occasionnels. On ne peut prévoir ce qu’elle sera, mais elle dépend de la sensibilité des récepteurs, et elle est sous-tendue, au fond, par le mouvement de l’histoire des idées et des époques, qui vont elles-mêmes bien au-delà de ce que peut vouloir l’intelligence individuelle. L’historien qui voudrait reconstruire la réception d’un philosophe ne peut donc s’en tenir au lien factuel de l’influence ou de la pénétration d’un auteur au sein d’une culture donnée ou d’une époque plus ou moins distante dans l’espace et le temps. Une telle recherche, si elle veut aboutir à un travail historiographique sérieux, ne peut être menée qu’à travers deux lignes directrices. D’un côté, il convient d’opérer une analyse philologique rigoureuse qui se concrétise (si l’auteur est étranger) dans l’étude des traductions de ses textes et de la diffusion de son œuvre. De l’autre, il convient de mettre en jeu une analyse philosophique, dont le but est de reconnaître les nœuds conceptuels, les thèmes fondamentaux et l’héritage vivant de l’auteur étudié.

On trouve tout cela dans le volume édité par Marco Diamanti, qui s’appuie sur un colloque organisé en 2019 par l’université de Rome La Sapienza. Sur cet objet déjà bien connu de l’historiographie philosophique qu’est la présence du philosophe allemand dans l’Italie du XIXe siècle, qui, dans le passé, fut déjà exploré avec des résultats remarquables (pensons aux travaux désormais classiques d’Eugenio Garin, de Guido Oldrini, Giuseppe Cacciatore et Sergio Landucci), la présente enquête porte un regard renouvelé et vivant à travers un ensemble d’articles qui réussissent en outre à éclairer, par contrecoup, ce que sera l’héritage italien de Hegel au XXe siècle, dans les courants du néo-idéalisme et du marxisme italiens.

La réception spécifique de Hegel dans l’Italie du XIXe siècle ne pouvait que dépendre des exigences historiques, politiques et civiques d’un peuple qui se préparait à affirmer son indépendance nationale. En ce sens, la présence de Hegel en Italie n’eut rien d’un phénomène académique ou d’un exercice purement intellectuel. Au contraire, la philosophie hégélienne fut déterminante pour la formation d’une conscience nationale. Tel est le fil rouge qui relie les articles consacrés aux nombreux protagonistes de cette histoire (des premiers traducteurs de Hegel, Passerini et Turchiarulo, à Labriola en passant par Colecchi, Rosmini, Novelli, Vera, De Sanctis et Spaventa). Hegel (disons, pour être plus juste, un « certain » Hegel, le philosophe de la liberté et de l’histoire : ce ne fut certainement pas un hasard, en effet, si les premières œuvres hégéliennes traduites, durant la période qui précéda l’unité, furent la Philosophie de l’histoire et les Principes de la philosophie du droit) surgit en Italie sur le terrain vivant de son histoire, sous la forme d’un discours pratique plus que théorique, comme réponse à une exigence qui est d’abord civique. De cette façon, la philosophie de Hegel, dans ces fulgurances conceptuelles que sont la liberté et le progrès, devint, pour la culture italienne du XIXe siècle, un instrument idéal qui contribua à raviver une âme nationale unitaire, et qui allait ensuite se traduire en l’unité politique du pays.

Emanuele AGAZZANI (Università degli studi di Roma “La Sapienza”) [trad. J.-M. Buée]

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Pour citer cet article : Marco DIAMANTI (dir.), La fortuna di Hegel in Italia nell’Ottocento, Napoli, Bibliopolis, 2020, 219 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.</p

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