Auteur : Emmanuelle de Champs

Guillaume LEJEUNE, De la relation au processus. L’idéalisme britannique et ses enjeux épistémiques, moraux et politiques, Münster, LIT Verlag, 2019, 246 p.

L’idéalisme britannique fait l’objet d’un intérêt croissant : en témoigne en France la parution récente de la première traduction d’Apparence et réalité : essai de métaphysique, ouvrage fondateur de Francis Herbert Bradley, dans une traduction de Jean-Paul Rosaye (Hermann, 2020), ou encore l’ouvrage collectif L’Idéalisme britannique / British idealism sous la direction de J.-P. Rosaye et Catherine Marshall (éditions Matériologiques, 2018). En anglais, la publication récente de The Unknowable: A Study in Nineteenth-Century British Metaphysics par W. J. Mander (Oxford, 2020), propose une relecture stimulante des tensions qui traversent la métaphysique à l’époque victorienne.

De la relation au processus peut être lu comme un complément à Apparence et réalité, dont Guillaume Lejeune a également rédigé la préface. Cette monographie consacrée aux écrits de F. H. Bradley (1846-1924) et de Bernard Bosanquet (1848-1923) les aborde dans une perspective nourrie de la lecture de Hegel et de Hume. Ainsi, son ouvrage constitue moins une introduction à l’idéalisme britannique en lui-même qu’un essai sur la place de ce courant dans l’histoire de la métaphysique britannique dans son rapport avec la philosophie allemande. « [L]’idéalisme anglais, écrit-il, se présente comme une déconstruction par les moyens de l’idéalisme allemand de l’ontologie relationnelle sous-tendant l’empirisme classique. » (p. 13) Sur les terres de l’empirisme, la réception des idées de Hegel prend donc une couleur spécifique. Guillaume Lejeune va plus loin en faisant de la critique de l’empirisme le sujet sur lequel se retrouvent des penseurs dont la lecture de Hegel diffère sensiblement. Ainsi, le détour par la pensée allemande permettrait la résolution d’un problème qui travaille la tradition philosophique britannique.

Le premier chapitre s’attache ainsi à montrer ce qui constitue la spécificité britannique de la réception de Hegel au XIXe siècle, et que l’auteur identifie comme une attention particulière à la question de la relation. En effet, Bradley comme Bosanquet refusent les postulats individualistes et associationnistes qui triomphent chez leurs contemporains et cherchent à retrouver les moyens d’une pensée du commun, de ce qui relie les individus. Le chapitre II est consacré plus particulièrement à la façon dont Bradley s’approprie le concept d’idéalité afin de proposer une nouvelle analyse du sujet, du « moi » qui se détermine en trouvant des fins qui le dépassent (p. 86). Cette définition est mise au service d’une déconstruction de l’utilitarisme et de sa définition du bonheur et permet, comme l’a montré aussi Stefan Collini, d’alimenter une réflexion politique sur la nature et le rôle de l’État. L’argument de l’auteur, notamment dans le long détour sur Rousseau (p. 97-99) est parfois plus difficile à suivre et manque ponctuellement de références bibliographiques précises. Dans le chapitre III, Guillaume Lejeune s’attache à reconstruire la critique idéaliste de l’associationnisme, dans une analyse convaincante qui constitue le cœur de l’ouvrage. Les différences entre Bradley et Bosanquet, déjà abordées lorsqu’il s’agissait d’examiner leur rapport à Hegel, sont reprises à nouveaux frais dans le chapitre IV sous l’angle de la théorie du langage. C’est ce qui justifie l’étude de la sémantique idéaliste qui occupe le chapitre V et qui permet de cerner avec précision les contours du holisme défendu par Bradley et Bosanquet. Enfin, la conclusion montre comment Bertrand Russell, tout à sa polémique contre Bradley, a choisi d’ignorer les apports réels de ses ennemis à la métaphysique.

Dépassant les jugements lapidaires de Russell, le travail de Guillaume Lejeune constitue une réhabilitation bienvenue de la richesse conceptuelle de la philosophie de deux idéalistes britanniques et s’appuie sur de nombreuses références à des textes encore indisponibles en français. Les traductions, lorsqu’elles sont de l’auteur, sont parfois un peu obscures, et Wallace n’a certainement pas voulu employer le terme « divulgâcheur » (p. 75, pour spoiler, le pilleur).

Emmanuelle DE CHAMPS (CY Cergy Paris Université)

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Pour citer cet article : Guillaume LEJEUNE, De la relation au processus. L’idéalisme britannique et ses enjeux épistémiques, moraux et politiques, Münster, LIT Verlag, 2019, 246 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.

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