Auteur : Ermylos Plevrakis

 

J. Winfried Lücke, Religion und Denken: Die Epistemologie religiöser Überzeugungen im Spätwerk G. W. F. Hegels, Tübingen, Mohr Siebeck, 2023, 605 p.

Le volumineux travail de J. Winfried Lücke porte sur diverses thèses de Hegel, afin de reconstruire leur contenu épistémologique religieux dans le contexte des débats contemporains. L’objectif principal est de justifier et défendre un théisme d’inspiration chrétienne. L’auteur rejoint des interprètes comme John N. Findlay, Frederick Beiser, Vittorio Hösle et Friedrich Hermanni et critique, par exemple, les interprétations de Dieter Henrich, Klaus Hartmann et Robert Pippin. La conclusion de l’ouvrage met en avant, et c’est son principal mérite, la contribution de l’auteur à un développement « hégélien » des thèses d’Alvin Plantinga, actuellement très discutées.
La première partie met en évidence l’aspect spécifiquement doxastique de certaines attitudes religieuses à l’aide de définitions « provisoire » de Dieu ou de l’absolu, ainsi que de la représentation et de la foi. Selon l’auteur, la justification proprement hégélienne du statut épistémique des attitudes religieuses se rapproche de la théologie naturelle et du kantisme.
La deuxième partie traite en détail des Leçons de Hegel sur les preuves de l’existence de Dieu, avec l’objectif de retracer la théorie hégélienne des formes religieuses de pensée. Cela permet d’obtenir des contenus théologiques fondamentaux, tandis que la pensée religieuse selon Hegel se révèle être, selon l’auteur, conséquente et de nature authentiquement inférentielle. Ainsi, « dans une perspective hégélienne, il n’est guère possible de douter que les croyants puissent ou aient le droit de revendiquer un savoir et une connaissance authentiques et utilisables ». L’auteur attribue à cette approche le label d’« évidentialisme modéré », par lequel il entend souligner la solidarité essentielle de l’Absolu et de la saisie de la structure catégorielle de la réalité.
Enfin, dans la troisième partie, la perspective est élargie à d’autres problèmes de philosophie de la religion et contenus théologiques. L’auteur défend une interprétation théiste de la philosophie de Hegel dans son ensemble, ainsi que l’identité de contenu de la religion et de la philosophie, la nécessité de la pluralité religieuse, la personnalité de l’Absolu et la nécessité de la création.
D’un point de vue critique, il faut remarquer qu’on pourrait attendre d’un travail qui comporte le mot Denken (penser) dans son titre principal et dans les titres de deux de ses parties principales une interprétation rigoureuse des analyses systématiques de Hegel sur la pensée (cf. Encyclopédie, § 465-468). Au lieu de cela, l’auteur assimile la pensée, dès la p. 4 et en ne faisant qu’une vague référence à l’Encyclopédie (§ 467), à « l’incarnation des facultés rationnelles de formation des concepts, des jugements et des syllogismes » ainsi qu’à la raison.
Le début de la deuxième partie réduit la pensée à une faculté de juger et de conclure, alors qu’au cours de cette même partie, seule la nature inférentielle de la pensée est mise en avant. Même si, dans sa dernière partie principale, l’ouvrage concède, dans un chapitre intitulé « Penser et imaginer », que le discours général de Hegel sur la pensée est bien plus complexe qu’il n’y paraît, il tente encore d’expliquer la pensée en la reconstruisant librement et en se référant seulement aux textes introductifs. Des nuances importantes, comme la spécificité de ce que Hegel appelle la pensée conceptuelle – dans un rapport et une différence notables avec la pensée religieuse – ne sont pas prises en compte. L’épistémologie et la théorie de la pensée religieuse ainsi reconstruites ne gagnent guère en plausibilité face à l’ensemble de l’œuvre tardive de Hegel. Car l’ouvrage ne discute pas spécifiquement de la connaissance théorique finie et ne la distingue pas de manière critique et argumentée de la connaissance spéculative infinie, alors que le contraste est déterminant pour la philosophie de Hegel.
Le travail de J. W. Lücke impressionne par le large spectre des questions systématiques qu’il aborde, par sa connaissance approfondie des débats contemporains en philosophie de la religion et par son goût rafraîchissant pour l’innovation. Si l’on en partage la motivation systématique, et si l’on fait abstraction de certaines difficultés exégétiques et factuelles concernant les idées centrales de Hegel, sa reconstruction systématique peut sans aucun doute être lue avec profit.

Ermylos Plevrakis (Universität Heidelberg) [trad. G. Marmasse]

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Pour citer cet article : J. Winfried Lücke, Religion und Denken: Die Epistemologie religiöser Überzeugungen im Spätwerk G. W. F. Hegels, Tübingen, Mohr Siebeck, 2023, 605 p., in Bulletin hégélien XXXIV, Archives de philosophie, tome 87/4, Octobre-Décembre 2024, p. 155-192.

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