Auteur : Ernesto Ruiz-Eldredge Molina

Fernando HUESCA RAMÓN, Economía política clásica en Hegel. Valor, capital y eticidad, Buenos Aires, Editorial Biblos, 2021, 700 p.

On peut comprendre les écrits de Hegel à partir de son rapport critique au féodalisme. Toutefois, sa contribution au dépassement de l’Ancien Régime ne se joue pas directement sur le plan économique, comme c’est le cas chez Adam Smith, Jean-Baptiste Say et David Ricardo, mais sur le plan des fondements philosophico-juridiques. C’est en tous cas de cette manière, fort convaincante, que Fernando Huesca Ramón présente Hegel dès le premier chapitre de son ouvrage. Les notions de propriété privée et de liberté de la volonté telles qu’elles sont utilisées par Hegel feraient partie, pour lui, de l’arsenal théorique au moyen duquel il développe un libéralisme antiféodal.

L’ouvrage propose une analyse minutieuse de la philosophie hégélienne dans son rapport à certaines catégories de l’économie politique, sans toutefois empêcher une lecture fluide (malgré sa tendance « hégélienne » à s’exprimer en longues phrases – la toute première, par exemple, couvrant vingt-six lignes). Avec pertinence, l’auteur fait un usage permanent de divers manuscrits de Hegel, spécialement de ceux de la période dite de la maturité. Ce volume entièrement dédié à l’économie politique classique chez Hegel a le mérite de proposer une reconstruction à la fois rigoureuse, claire et informée des points de contact entre la pensée hégélienne et les catégories économiques fondamentales, notamment développées par ces trois représentants de l’économie politique classique que sont Smith, Say et Ricardo. Par une confrontation systématique entre ces auteurs à propos de la théorie de la valeur, de la théorie du capital et de la théorie de la croissance séculaire, F. Huesca Ramón offre un éclairage très informé des bases conceptuelles et empiriques sur lesquelles la pensée politique hégélienne est assise, théories dont il montre par ailleurs comment Hegel se les approprie.

Ce livre offre en particulier une remarquable synthèse sur les thèmes de la police et de la corporation. Ces institutions sont deux des éléments présentés par l’auteur comme des « propositions concrètes » de Hegel en matière de politique publique, sociale et économique. Si, pour Hegel, l’excès de pauvreté témoigne des contradictions de la société civile, il montre que sont possibles, comme remèdes, à la fois une institution de maintien de l’ordre public et des associations de travailleurs. Mais la prospérité économique et sociale garantie par ces institutions, aussi larges soient-elles, relève encore d’intérêts particuliers. Hegel ne voit en fait la réalisation d’une pleine liberté objective qu’au niveau de l’État.

L’étude réussit largement à établir la position de Hegel à l’égard des structures économiques féodales. Il balaie ainsi l’image d’un « gardien intellectuel de la maison des Hohenzollern » (p. 664). Selon lui, les écrits hégéliens offrent un remarquable modèle pour interpréter les situations socio-économiques européennes typiques des XVIIIe et XIXe siècles (p. 665). F. Huesca Ramón va pourtant plus loin : d’après lui, cette pensée offre aussi un cadre réflexif et pratique qui permet de former des institutions concrètes en vue de la réalisation de la liberté. Reste à savoir si la dimension libérale de la pensée hégélienne n’est pas aussi sa limite si on la compare à d’autres possibilités d’organisation de la société.

Ernesto RUIZ-ELDREDGE MOLINA (Université de Poitiers/Goethe-Universität Frankfurt)

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Pour citer cet article : Fernando HUESCA RAMÓN, Economía política clásica en Hegel. Valor, capital y eticidad, Buenos Aires, Editorial Biblos, 2021, 700 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.

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