Auteur : Farida Djemai

 

Michael Alexander Stewart, Hume’s Philosophy in Historical Perspective, éd. et intr. par J. A. Harris, R. Savage et J. P. Wright, Oxford, Oxford University Press, 2022, 416 p.

Hume’s Philosophy in Historical Perspective est un recueil des études que Michael Alexander Stewart a consacrées à David Hume, de ses premières publications sur cet auteur jusqu’aux dernières parues originellement dans différentes revues. Au total quatorze publications, réparties en quatorze chapitres, replacent la pensée de David Hume dans son contexte historique. Une telle mise en perspective se situe à la jonction de l’histoire et de l’histoire de la philosophie, en prenant notamment en compte le contexte des Lumières écossaises. Ces publications sont précédées d’une introduction rédigée par James A. Harris et John P. Wright. Dans chaque étude, M. A. Stewart met en lumière les contraintes contextuelles et circonstancielles qui ont façonné l’émergence de la pensée morale, politique et historique de Hume. Ainsi, son travail se situe dans l’espace toujours fécond d’une rencontre, que Hume lui-même a souhaitée au fondement de sa philosophie, entre une philosophie empiriste, sceptique et critique à l’égard de la tradition philosophique. Les recherches ici réunies nous permettent de mieux comprendre l’intensité et la profondeur de la pensée du philosophe. Dans le souci toujours constant de replacer ses idées et l’émergence de sa philosophie dans leur contexte historique, cet ouvrage explore également le rôle d’historien de Hume. En tant qu’historien, celui-ci a connu un grand succès en Angleterre, en France et dans toute l’Europe (chapitre 1, « Hume, David (1711-1776), Scottish Philosopher and Historian »). L’Histoire d’Angleterre paraît entre 1754 et 1762. Les premiers volumes la traite au XVIIe siècle en mettant l’accent sur les monarques Stuart. La réception de ces écrits historiques a été positive et a contribué à consolider la réputation de Hume en tant qu’historien (p. 16 et p. 67).

Le chapitre 2, « The Scottish Enlightenment », replace la pensée de Hume dans le contexte du siècle des Lumières et interroge les liens qu’il a entretenus avec les philosophes écossais, particulièrement avec Francis Hutcheson, mais aussi avec les critiques des philosophes de tendance lockéenne (Thomas Halyburton et Archibald Campbell). Sa pensée sceptique a suscité beaucoup de réactions négatives, qui sont analysées dans ce chapitre : citons les noms de Henry Home of Kames, Thomas Reid, Dugald Stewart ou Thomas Brown. L’ouvrage s’intéresse aussi à la place occupée par David Hume dans les débats sur la religion et ses fondements épistémologiques.

Le chapitre 3, « Hume’s Intellectual Development », retrace l’évolution de la pensée du philosophe, depuis son enfance et ses premiers apprentissages jusqu’au dernier écrit biographique (My own Life). L’auteur décrit avec beaucoup de minutie et de références historiques l’évolution de Hume ainsi que ses lectures. Il présente les différentes influences antiques et humanistes qui se sont exercées sur Hume et apparaissent dans sa Correspondance. Est soulignée d’une part l’importance des auteurs grecs et latins dans le développement de la pensée philosophique de Hume, et, d’autre part, la crise existentielle et religieuse qui a conduit Hume à changer ses projets d’études, en 1730. On apprend notamment les raisons de son départ d’Édimbourg pour Londres, puis pour Bristol et la France. Hume a toujours voué une passion aux études philosophiques, littéraires et historiques : il avait une profonde aversion pour ce qui ne concernait pas ses domaines (p. 72-73). On comprend aussi l’impact de l’œuvre de Shaftesbury, Characteristicks of Men, Manners, Opinions, Times, dans le projet de la nouvelle philosophie de David Hume, une philosophie basée sur l’expérience et l’observation (voir à ce sujet la célèbre « Introduction » au Traité de la nature humaine, Livre I). Ce chapitre explique la déception de son auteur à l’égard du manque de succès du Traité de la nature humaine. Cette épreuve humiliante dans sa carrière littéraire (p. 88) l’a amené à vouloir étendre toujours davantage son public et convaincre le plus grand nombre de lecteurs par la rédaction de L’Enquête sur l’entendement humain et de la Dissertation sur les passions, qui s’adressent autant aux savants qu’aux lecteurs éclairés (p. 89).

Quant au chapitre 4, « The Stoic Legacy in the Early Scottish Enlightenment », il décrit et analyse l’influence de l’école stoïcienne dans la tradition philosophique dominante au XVIIIe siècle en Écosse (p. 109). Y sont analysées des références explicitement et généralement hostiles à la philosophie stoïcienne, une hostilité que M. A. Stewart observe depuis la correspondance de Hume avec Hutcheson en 1739, jusqu’à la rédaction de l’Histoire naturelle de la religion et des Dialogues concernant la religion naturelle. Durant ses années universitaires, Hume étudie le stoïcisme (p. 93) et, longtemps, il lit et pratique une éthique et une conduite de vie stoïcienne, qu’il rejette ensuite (p. 93). Même si son scepticisme est influencé par la tradition antique, cette dernière est aussi critiquée en raison de son détachement par rapport à l’expérience : « chacun consultait » alors « davantage son imagination », sans tenir compte de l’expérience pour élaborer des principes sur l’homme, la vertu et le bonheur (p. 93). Ce chapitre analyse l’influence de Cicéron sur la pensée de Hume, le dépassement par les Modernes de la physique aristotélicienne et le rejet des principes anciens (p. 103). Une attention particulière est consacrée aux « Quatre essais » : « l’Épicurien », « le Stoïcien », « le Platonicien » et « le Sceptique ». Ce dernier représente le scepticisme de Hume, et M. A. Stewart le comprend au prisme de l’idée selon laquelle les émotions, les sentiments, ne peuvent exister par eux-mêmes, « en soi ». Il n’existe, en effet, rien de méprisable, désirable, beau, sans que cela découle d’une constitution humaine particulière (p. 98). Ainsi, le scepticisme de la pensée de Hume met l’accent sur les limites de la raison, invitant à ne pas fonder notre connaissance sur ce qui dépasse le champ de l’expérience possible.

Le chapitre 5, « The Kirk and the Infidel », rend compte de l’échec de Hume, à deux reprises, lors de candidatures universitaires : d’abord à Édimbourg, en 1745, puis à Glasgow en 1752 (p. 130). Il décrypte les tensions intellectuelles entre Hume et les principaux philosophes contemporains, dont Francis Hutcheson. William Whishart avait fortement attaqué la candidature de David Hume auprès des ministres et déformé sa philosophie dans une lettre, dont on trouve le résumé dans la réponse de Hume, A Letter from a Gentleman to his Friend in Edinburg. Ces attaques portent principalement sur son scepticisme, considéré selon les normes de l’époque comme de l’athéisme (p. 132). Selon l’auteur, la réponse la plus complète et formelle de Hume sur ce point a été l’Enquête sur l’entendement humain publiée en 1748 (p. 132).

Le chapitre 6, « Two Species of Philosophy, The Historical Signifiance of the First Enquiry », propose justement une étude de l’Enquête sur l’entendement humain, l’une des plus grandes œuvres de la philosophie occidentale. Il situe l’œuvre dans le contexte des relations de Hume en 1740, puis plus particulièrement de celles qu’il a entretenues avec Francis Hutcheson et son cercle (p. 161), mais envisage également l’influence des écrits d’Anthony Ashley Cooper, comte de Shaftesbury, et du contexte intellectuel de la première décade du XVIIIe siècle. L’auteur souligne le fait que l’Enquête sur l’entendement humain est une défense du scepticisme, condition nécessaire d’une compréhension l’entendement humain (p. 169).

Puisqu’il n’est pas possible de discuter tous les chapitres dans le détail, terminons ce compte rendu par une présentation du chapitre 7, intitulé « Academic Freedom, Origins of an Idea ». Il retrace l’évolution de controverses, largement ignorées par les historiens de l’éducation, qui permettent de replacer dans un contexte historique et politique conservateur l’échec de David Hume lors de ses candidatures à un poste universitaire. M. A. Stewart restitue les débats écossais sur la liberté et fait référence à la défense lockéenne de la tolérance religieuse par Francis Hutcheson (p. 188). Mais il souligne aussi que ces idées de tolérance et de liberté de pensée s’effacent quand il s’agit de la philosophie de David Hume : c’est-à-dire d’une pensée qui remet en question la providence divine et analyse la foi comme une croyance, en d’autres termes, comme un sentiment vif et intense (p. 195).

 

Farida Djemai

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Pour citer cet article : Michael Alexander Stewart, Hume’s Philosophy in Historical Perspective, éd. et intr. par J. A. Harris, R. Savage et J. P. Wright, Oxford, Oxford University Press, 2022, 416 p., in Bulletin de philosophie anglaise III, Archives de philosophie, tome 87/2, Avril-Juin 2024, p. 199-2240.</p

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