Auteur : Fausto Fraisopi

Franco CHIEREGHIN, Relire la Science de la Logique de Hegel. Récursivité, rétroaction, hologrammes, trad. Charles Alunni, Paris, Hermann, 2020, 230 p.

Le livre de Franco Chiereghin, publié d’abord en italien en 2011 et traduit en français par Charles Alunni, est remarquablement innovant pour au moins deux raisons. En premier lieu, il va résolument à contre-courant du mainstream des études hégéliennes imposé par les interprétations de l’École de Pittsburgh et par le rapprochement toujours plus insistant avec le pragmatisme américain. En second lieu, il envisage une lecture de la Science de la Logique en lien avec un programme de recherche bien assimilé par la plupart des sciences contemporaines mais qui demeure presque entièrement ignoré des études philosophiques : la théorie des systèmes complexes. Ce livre, qui maîtrise parfaitement Hegel d’un point de vue théorique et historique, a pour but de fournir une lecture de la Science de la Logique qui la mette en relation avec un certain nombre de concepts fondamentaux de la science contemporaine.

Les concepts de la pensée complexe qui structurent ce travail sont énoncés dans le sous-titre. Il s’agit de la récursivité, des rétroactions (feedbacks) et des hologrammes. Ce triptyque met en relief une des caractéristiques principales du système spéculatif développé dans la Science de la Logique : appliquer des opérations selon un mouvement linéaire uniforme (la progressivité de la dialectique), réinformer les structures par rétroaction et répliquer, dans les composantes logiques particulières, la structure d’ensemble.

Le livre présente tout d’abord l’œuvre maîtresse de Hegel comme une tentative pour concevoir la logique selon son unité et sa générativité. Puis le deuxième chapitre montre comment sa connectivité interne se structure selon une dynamique « complexe » qui s’organise autour des trois concepts cités en sous-titre. Les chapitres suivants (3 et 4) examinent le mouvement autogénératif de la logique de l’être et de l’essence pour le retrouver, « relevé », dans la logique du concept (ch. 6).

L’ouvrage peut certainement représenter, comme l’affirme le préfacier et traducteur, « un tournant interprétatif tout à fait décisif » de l’œuvre hégélienne. Des perplexités demeurent toutefois. Est-il sûr qu’une telle lecture de la Science de la Logique puisse dégager une approche spéculative du « complexe » en tant que tel ? Car les trois concepts choisis comme clés de lecture, tout en étant certes fondamentaux pour la théorie des systèmes, ne couvrent qu’en partie la richesse d’une science du complexe qui admet d’autres concepts fondamentaux (comme ceux de bifurcation, de primat de la probabilité sur la nécessité, de système ouvert, etc.). Or ceux-ci ne trouvent ni ne peuvent trouver droit de cité dans l’onto-logique hégélienne. Pour conclure, ce très beau livre ouvre à une lecture « complexe » du spéculatif, tout en faisant un premier pas vers une lecture « spéculative » du complexe dont la pensée contemporaine a certainement besoin.

Fausto FRAISOPI (Albert-Ludwigs-Universität Freiburg)

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Pour citer cet article : Franco CHIEREGHIN, Relire la Science de la Logique de Hegel. Récursivité, rétroaction, hologrammes, trad. Charles Alunni, Paris, Hermann, 2020, 230 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.

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