Auteur : Francisco Javier Espinosa

Gonzalo Ricci Cernadas, La República de Spinoza: ciudadanía, instituciones y libertad, Granada, Comares, 249 p.

Gonzalo Ricci, enseignant à l’université de Buenos Aires, est connu des chercheurs français pour son livre La Multitude chez Spinoza. De la physique à la politique. En 2022, il avait soutenu sa thèse de doctorat intitulée Spinoza y el republicanismo: el problema de la libertad. Le livre dont il s’agit ici est basé sur cette thèse mais, comme l’auteur l’indique à la première page, il apporte quelques corrections et précisions.
Toute la question est de savoir si l’on peut parler de républicanisme chez Spinoza. Le premier chapitre examine l’état de la question parmi les chercheurs. Pour quelques-uns, Spinoza appartient au républicanisme en raison de sa défense de la démocratie radicale. Une seconde position exclut de sa philosophie le républicanisme à cause du vocabulaire géométrique et naturaliste utilisé, parce qu’il l’écarterait du langage de la vertu et de la participation civiques commun aux républicains anglais de la même époque (comme Harrington). Il y a enfin tous ceux qui défendent chez Spinoza un républicanisme nourri par le régime aristocratique.
La clarification de la question passe par l’analyse du contexte historique, objet du deuxième chapitre. L’auteur précise les conceptions intellectuelles et les coordonnées politiques, sociales, économiques et religieuses, par rapport auxquelles Spinoza a élaboré sa position. Le troisième chapitre permet de remettre en question les trois interprétations évoquées, car aucune ne considère le contexte hollandais proprement républicain ; en conséquence, elles déforment (dans une certaine mesure) sa pensée politique.
Dans la deuxième partie du livre où il développe sa thèse, l’auteur étudie le concept de citoyenneté en le reliant à celui de vertu civique (chapitre IV) ; il examine la fonction des institutions en tant qu’effet nécessaire de la potentia multitudinis – les notions de citoyenneté et d’institutions étant placées au centre même des réflexions républicaines. Pour Spinoza en effet, les institutions de l’État sont un instrument pour canaliser les antagonismes en mettant les intérêts particuliers au service de l’intérêt commun, ce qui est au cœur du républicanisme. En outre, la potentia ou la vertu du citoyen qui cherche sa propre utilité ne peut être séparée de la politique, car c’est précisément dans l’État qu’elle se réalise effectivement. Il n’y a pas d’autre option pour cela que la participation active à la politique : question centrale et chère au républicanisme, en particulier au républicanisme néerlandais.
Le dernier chapitre est consacré à ce qui occupe le centre des débats républicains : la revendication de la liberté comme valeur suprême. Ricci évoque la célèbre affirmation de Spinoza, à savoir que la véritable fin de l’État est la liberté. Il ne s’agit pas de dominer les hommes, mais de les libérer de la peur afin qu’ils puissent utiliser leur raison comme il convient (TTP 20/G III 240-241). L’auteur interprète la liberté spinozienne dans un sens positif bien précis, c’est-à-dire comme l’autodétermination, l’autonomie et l’indépendance des citoyens, condition qui rend possible l’égalité et la liberté de pensée. Il souligne en conclusion que Spinoza ne tient pas intégralement au républicanisme (au sens de Pocock, Skinner et Pettit), mais qu’on ne peut l’isoler de l’ensemble de thèses et de propositions républicaines qui fleurissent alors aux Pays-Bas.
Le livre présente quelques difficultés de lecture : l’auteur ne cite pas les œuvres de Spinoza selon le système standard, ce qui rend difficile l’identification des textes ; il cite souvent des passages sans faire mention du traducteur ; il omet d’indiquer dans la bibliographie finale quelques-unes des éditions citées. Cela dit, le livre présente de l’intérêt à la fois pour son analyse de la question républicaine, sa réévaluation de la politique chez Spinoza, ainsi qu’un résumé de ses principales interprétations.

Francisco Javier Espinosa

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Pour citer cet article : Gonzalo Ricci Cernadas, La República de Spinoza: ciudadanía, instituciones y libertad, Granada, Comares, 249 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLVI, Archives de philosophie, tome 87/4, Octobre-Décembre 2024, p. 193-218.

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Eugenio FERNANDEZ : La encrucijada de los afectos. Ensayos Spinozistas, ed. de J. Carvajal, M. L. de la Cámara y R. de Pablos, Cuenca, Universidad de Castilla-La Mancha, 446 p.

Il s’agit d’un recueil de seize articles et chapitres de livres sur la philosophie de Spinoza signés par Eugenio Fernández. Celui-ci, décédé prématurément en 2005, fut professeur de philosophie à l’Université Complutense de Madrid, où il développa un travail d’enseignement et de recherche très fécond. Grand connaisseur de Spinoza, il lui avait consacré sa thèse de doctorat intitulée Potencia y razón en B. Spinoza (1988). Il fut le vice-président du Seminario Spinoza à sa fondation, puis en devint le président. C’est aussi lui qui créa le « Boletín de Bibliografía Spinozista ».

Après une introduction générale de Raúl de Pablos, les travaux d’E. Fernandez sont présentés en trois parties : la première porte sur le désir et les affects envisagés comme le moteur des actions humaines ; la seconde s’attache aux notions majeures, telles que puissance, volonté, imagination et piété ; la troisième intègre d’autres apports relatifs à la relation entre la pensée de Spinoza et celles de Kant, de Hegel ou de María Zambrano.

L’examen des textes de Spinoza par notre auteur manifeste un travail philologique poussé et le souci de ne pas fermer l’interprétation ; comme le titre du recueil le suggère, Eugenio Fernandez a lu la pensée de Spinoza comme une croisée de chemins, un lieu qui unit différentes provenances et ouvre de nouvelles voies. Il a dessiné un tableau du carrefour des affects, où le corps et l’esprit, le désir et la raison, la passion et l’action, l’individu et la société se rencontrent. Plutôt qu’à reconstruire le système d’une nature humaine triomphante, il visait à cartographier les repères offerts par la pensée de Spinoza : une condition humaine faible et finie, mais aussi la puissance et la joie. Ce recueil stimule la lecture de Spinoza ; il fait aussi ressentir la joie de partager un tel engagement.

Francisco Javier ESPINOSA

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Pour citer cet article : Francisco Javier ESPINOSA, « Eugenio FERNANDEZ : La encrucijada de los afectos. Ensayos Spinozistas, ed. de J. Carvajal, M. L. de la Cámara y R. de Pablos, Cuenca, Universidad de Castilla-La Mancha, 2018 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XLI, Archives de Philosophie, tome 82/4, octobre-décembre 2019, p. 853-890.

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