Auteur : Giulia Belgioioso
Torrini, Maurizio, Galileo nel tempo, Florence, Olschki Editore, « Biblioteca di Galilaeana » n° 11, 2021, 380 p.
Ce volume posthume de Maurizio Torrini (1942-2019) rassemble vingt-deux articles écrits entre 1973 et 2015 (cf. Nota bibliografica, p. 379) et classés dans un ordre non chronologique. Le temps évoqué dans le titre est à la fois celui où Galilée a vécu et celui, long de trois siècles, où il est passé « de l’autel à la poussière ».
Le volume commence par nous faire découvrir les trente premières années du xviie siècle et un Galilée qui dialogue avec Mersenne et Descartes, avec Hobbes et Grotius, avec Kepler et Gassendi, qui est un point de référence pour beaucoup « en Italie et hors d’Italie, libertins et jésuites, courtisans et prélats de haut et de bas rang », princes, philosophes, curieux, en quête de « lentilles et de lumières » de toute l’Europe (p. 54). Ses œuvres sont imprimées et traduites en Europe et ses Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, auxquels Galilée met la main immédiatement après 1633, sont à considérer comme une œuvre collective dans laquelle « tout le monde intervient » : ils sont « vus par Descartes et par Fermat avant même l’auteur » (p. 54) et Mersenne, deux mois seulement après l’édition de Leyde, les publie dans un recueil en français (Les nouvelles pensées de Galilée) (p. 55). Galilée, au centre d’une « sorte de nouvelle académie gigantesque », une république des savants, écrivait à Vinta : « Magna longeque admirabilia apud me habeo » (OC X, 351).
Les chapitres suivants déplacent leur regard sur ce qui s’est passé en Italie après la condamnation de 1633 : (I) le silence et la « détention continue » de Galilée à Arcetri ; (II) l’interdiction d’imprimer ses écrits en Italie ; (III) le déclin qui touche « tout le groupe des intellectuels et des savants » autour de Galilée et marque « le crépuscule d’un rêve » (p. 109). Les signes du déclin se retrouvent dans les bibliothèques des élèves, soit celle d’Evangelista Torricelli, qui montre un désintérêt total « de ce qui avait été publié et de ce qui était publié » (p. 100), soit celle de Vincenzo Viviani pourtant riche de nombreux volumes (aujourd’hui à la Biblioteca Nazionale de Florence, Ms. Pal. 1195). Les correspondances de Viviani et de Borelli manquent de « profondeur scientifique et littéraire » (p. 107) et même la Vie de Galilée suscite l’ironie de Fontenelle (p. 116). Les élèves de Galilée (Ostilio Ricci, Torricelli, Viviani, Borelli, Alessandro Marchetti) témoignent « presque jour après jour du passage de la phase aurorale de la révolution scientifique, dans laquelle l’Italie avait joué le rôle principal, à celle de son expansion et de son incursion dans de nouveaux domaines, dans laquelle [l’Italie] a été progressivement réduite à un rôle marginal » (p. 106). À l’opposé, les « censures » des jésuites du Collège Romain mesurent le « degré de fidélité à Aristote », avec pour résultat que « si tout le monde avait suivi les préceptes et les conseils […] de la Compagnie, nous serions arrivés au début du xixe siècle avec la cosmologie de Tycho Brahe […] convaincu que le vide n’existe pas et que les poissons ne respirent pas » (p. 211). En bref, les Jésuites – Athanasius Kircher inclus –, en ignorant la nouvelle science et en dialoguant avec Aristote, « s’ils n’ont pas contribué à créer la nouvelle science, ont certainement contribué à la discréditer » (p. 223).
Les essais soulignent les étapes d’une méconnaissance qui s’est accrue au cours des siècles du rôle joué par Galilée dans le processus de renouvellement qui a balayé l’Europe au xviie siècle. Et ainsi au xixe siècle, si les apologistes catholiques laïques et ecclésiastiques réévaluent Galilée, bien qu’il soit un auteur condamné, c’est pour soutenir la nécessité d’un retour à la science et en appeler à une restauration politique d’avant les Lumières. Sous la plume du jésuite Carlo Maria Curci, la condamnation de Galilée peut être attribuée au caractère prématuré de sa découverte. En bref, Galilée avait causé des « maux inestimables » à lui-même et à l’Église, en ayant « vu » le mouvement de la Terre avec quelques siècles d’avance (p. 349). Au xxe siècle, le tableau ne change pas. Le Galilée d’Agostino Gemelli a eu tort de ne pas reconnaître ses dettes envers le Moyen Âge, pour Sofia Vanni Rovighi, et il n’y a pas de différence entre la condamnation subie par Galilée de la part des théologiens et la contrainte à la « vie religieuse » qu’il a lui-même imposée à ses deux filles (p. 265). Une « sous-estimation » de Galilée dont Bergson est bien conscient. Il en écrit en 1903 à Sorel (et ce dernier en informa Croce) : il n’y a pas de « bon ouvrage » sur Galilée, ce qui aurait été très utile, et « les Italiens n’ont pas fait connaître davantage l’œuvre de Galilée aux savants qui lisent mal l’italien » (B. Croce, La critica, vol. xxvi, 1928, p. 34-35). Le livre « attendu un demi-siècle plus tôt par Bergson », constate amèrement Torrini, verra le jour quelque cinquante ans plus tard, en 1957, avec le Galileo Galilei de Ludovico Geymonat (p. 301). C’est seulement après la guerre – ajoute-t-il –, en Italie, que la question de Galilée revient « dans la mêlée de la discussion historiographique initiée en Europe par Duhem, Cassirer, Koyré et Santillana » (p. 302). Mais il faudra encore une dizaine d’années pour qu’Eugenio Garin franchisse le pas en reconnaissant avec Alexandre Koyré que Galilée, en acceptant la théorie copernicienne, s’était libéré des « cadres mentaux de l’aristotélisme » et avait été le « fondateur d’une nouvelle manière de penser » (p. 303).
Le livre est un examen sévère des savants et des orientations historiographiques qui n’épargne ni ceux qui – comme Duhem, Cassirer, Tannery, Natorp et, en Italie, Gemelli – avaient lancé un « débat absurde » sur Galilée philosophe ni l’apologétique catholique, traversée par un désir d’apaisement à tout prix, fût-ce en déclarant les torts partagés au grand mépris des faits.
Giulia Belgioioso (Université de Lecce)
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Pour citer cet article : Torrini, Maurizio, Galileo nel tempo, Florence, Olschki Editore, « Biblioteca di Galilaeana » n° 11, 2021, 380 p., in Bulletin cartésien LIV, Archives de philosophie, tome 88/1, Janvier-Mars 2025, p. 235-236.
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Piergiacomi, Enrico, Amicus Lucretius. Gassendi, le De rerum natura et l’hédonisme chrétien, Berlin-Boston, de Gruyter, 2022, 457 p.
Après l’introduction, dans laquelle on trouve des éléments de contexte historique et philosophique, une présentation des figures de Lucrèce et de Gassendi, et l’exposition des objectifs ainsi que la méthodologie de l’ouvrage, l’auteur passe à l’analyse de la manière dont Gassendi a réinterprété le De rerum natura en l’adaptant à une perspective chrétienne, conciliant l’atomisme avec la doctrine chrétienne. Il s’arrête ensuite sur le concept d’« hédonisme chrétien » développé par Gassendi, où le plaisir est subordonné à la volonté divine. Enfin, il étudie l’impact de la réinterprétation de Gassendi sur la philosophie et la théologie modernes. La conclusion met en lumière l’importance du dialogue entre l’Antiquité et la modernité. Le livre se termine par des annexes comprenant l’« Inventaire des citations de Lucrèce chez Gassendi » (p. 323-343), la « Bibliographie » (p. 347-399), l’« Index des citations de Lucrèce » (p. 401-410), l’« Index des citations de Gassendi » (p. 411-426), l’« Index d’autres sources antiques et modernes » (p. 427-442) et l’« Index des noms » (p. 443-457). Ces annexes sont impressionnantes par leur ampleur, s’étendant sur 134 pages (presque la moitié du livre), et constituent une aide précieuse pour naviguer dans cet ouvrage remarquable par son érudition.
L’étude explore ainsi le dialogue complexe entre la philosophie épicurienne de Lucrèce et la pensée de Pierre Gassendi, en particulier la manière dont ce dernier, homme d’Église et philosophe, a réinterprété et adapté le De rerum natura de Lucrèce dans un cadre chrétien, cherchant à concilier l’hédonisme épicurien avec les principes du christianisme. En effet, l’un des thèmes centraux est la tension entre l’hédonisme, qui chez Épicure et Lucrèce est lié à la recherche du plaisir comme but ultime de la vie, et la doctrine chrétienne, qui privilégie l’ascétisme et le sacrifice. Gassendi, en réinterprétant de manière originale la pensée de Lucrèce, a développé, selon E. Piergiacomi, une sorte d’« hédonisme chrétien », où le plaisir n’est plus une fin en soi mais est subordonné au bien suprême représenté par Dieu.
Un aspect important du livre est la mise en évidence de la centralité de la pensée de Gassendi dans le contexte du débat philosophique et théologique de l’époque, et comment sa relecture de Lucrèce a influencé la philosophie moderne ultérieure. Le livre est donc non seulement une contribution significative aux études sur Gassendi et Lucrèce, mais aussi une œuvre qui invite à réfléchir sur la manière dont les idées anciennes peuvent être réélaborées et adaptées dans de nouveaux contextes.
Giulia Belgioioso (Université de Lecce)
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Pour citer cet article : Piergiacomi, Enrico, Amicus Lucretius. Gassendi, le De rerum natura et l’hédonisme chrétien, Berlin-Boston, de Gruyter, 2022, 457 p., in Bulletin cartésien LIV, Archives de philosophie, tome 88/1, Janvier-Mars 2025, p. 233-234.
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LOMONACO, Fabrizio, Cartesio a Napoli. Le passioni dell’Anima. Traduzione e lettere tra ’600 e ’700, Rome, Aracne editrice, 2020, 260 p.
Ce volume contient la reproduction anastatique et en appendice les transcriptions de deux manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de Naples (par la suite BNN).
Le premier (Ms. XIII G 20, cc. 22) – La Filosofia Morale del Sig.r des Cartes intorno alle passioni dell’Anima e co[n] tale occasione di tutta la natura dell’uomo (par la suite Filosofia morale) – est la première traduction italienne (partielle) des Passions de l’âme (par la suite Passions). L’auteur est inconnu et Lomonaco estime pouvoir le dater de la fin du XVIIe siècle. Filosofia morale (p. 45-85) est, en fait, (1) la traduction intégrale des articles I à L de la première partie ; (2) des articles LI-CXLVI de la seconde partie. Le Ms. ne traduit pas (1) les deux derniers articles (CXLVII-CXLVIII) de la seconde partie ; (2) les manchettes ; (3) la troisième partie ; (4) les deux lettres avec les réponses qui précèdent les Passions (Bop I 2300-2331 ; AT XI, 301-326). En appendice (p. 201-256), se trouve la traduction d’Egidio Lofrano.
Le second (Ms. I E 13, cc. 2r.-57r., 64r.-182r., 211r.237r.) – Lettere cartesiane ad una signora – contient 24 lettres qui, selon Lomonaco à partir des données textuelles, ont été adressées de Piedimonte et de Naples entre mai et novembre 1728 par Niccolò Giovo à Aurora Sanseverino (Introduzione, p. 17). Lomonaco ne publie la reproduction que (1) de l’Indice degli Scritti riordinati. Lettere cartesiane (p. 89-90) et (2) des cinq lettres envoyées de Naples entre le 9 août et le 2 septembre 1728 (par la suite Lettere napoletane) (p. 93-197).
Giovo, à qui on a attribué (cf. L. Guerrini, « Note su traduzioni manoscritte delle opere cartesiane », in Giornale critico della filosofia italiana, LXXV, 1996, p. 500-507 et id., « Cartesianismo e meccanicismo nella Roma del primo Settecento », Nouvelles de la République des Lettres, 1996-II, p. 154-161) la première traduction intégrale des Passions et des Principia (Le Passioni ovvero gli Affetti dell’Anima et De’ Principi della Filosofia di Renato delle Carte: Ms. 220, cc. 122r.-211v.Ms. 2r.-116v., Biblioteca Casanatense, Roma), a traduit dans ce Ms quelques articles de la troisième partie des Passions et des passages extraits des Lettres de Monsieur Descartes de Clerselier (éd. anast. Lecce, Conte, 2003). Les cinq Lettere napoletane sont, de fait, composées selon le schéma suivant : dans la première moitié, traduction d’articles des Passions III (y compris les manchettes) ; dans la seconde moitié, traduction (pas littérale) d’extraits des lettres de Descartes à Élisabeth et à Chanut en 1646-1647 :
1. Lettre du 9 août 1728 : cc. 100r-106r (p. 93-105), traduction des articles CL-CLIX ; cc. 106r-112r (p. 105-117) traduction de la lettre à Élisabeth de septembre 1646 (Blet 570, p. 2280-2287 ; AT IV, 486-493) et des passages où Descartes commente les articles XVIII, XIX, XX, XXV du Prince de Machiavel. Giovo réunit en fait la question traitée dans l’art. CLIX (l’« humilité vicieuse » qui est le trait de qui s’humilie devant ceux dont il attend un bien ou craint un mal) aux questions traitées dans la lettre à Élisabeth de septembre 1646.
2. Lettre du 12 août 1728 : cc. 28r.-33v. (p. 119-130) traduction des articles CLX-CLXVI ; cc. 33v.-37v. (p. 130-138) traduction de la partie de la lettre à Chanut du 1er février 1647 dans laquelle Descartes répond à la question : « Lequel des deux dérèglements et mauvais usages est le pire, de l’amour ou de la haine » (BLet, 600, p. 2384 ; AT IV, 601).
3. Lettre du 18 août 1728 : cc. 10-15 (p. 139-149) traduction des articles CLXVII- CLXXVI ; cc. 15r.-18r. (p. 149-155) traduction des passages de la lettre à Élisabeth du 18 mai 1645, où Descartes introduit le concept de « contentement » (BLet 494, p. 2008-2011 ; AT IV, 201-204).
4. Lettre du 26 août 1728 : cc. 78r.-84v. (p. 157-170) traduction des articles CLXXVII-CXC ; cc.84v.-87v. (p. 170-156) traduction (non littérale) de la lettre à Élisabeth de novembre 1646 (BLet 578, p. 2316-2319 ; AT IV, 528-532).
5. Lettre du 2 septembre 1728 : cc. 88r.-95r. (p. 177-191) traduction des articles CXCI-CCIII ; cc. 95r.-98r. (p. 191-197) traduction de la partie de la lettre à Chanut du 6 juin 1647 où Descartes traite de la question « touchant les causes qui nous incitent souvent à aimer une personne plutôt qu’une autre, avant que nous en connaissions le mérite » (BLet 624, p. 2472 ; AT V, 56).
Les deux manuscrits constituent un document important de la diffusion des Passions dans la région de Naples. Toutefois, l’enquête n’en est qu’à ses débuts et doit être approfondie. Du second Ms., il sera nécessaire de traduire les dix-neuf lettres envoyées de Piedimonte afin de comparer ce manuscrit avec celui trouvé à la Casanatense qui, comme mentionné, est la traduction complète des Passions. De cette façon, il sera possible d’établir (1) lequel des deux Ms. a été écrit en premier et si, et dans quelle mesure, l’un est redevable à l’autre ; (2) de quelle édition des Passions et de la Correspondance Giovo a traduit, du français (comme je suis portée à le croire) ou du latin ?
Une enquête plus détaillée sur la présence d’écrits cartésiens dans les bibliothèques napolitaines reste à faire, sur le modèle de celle faite il y a quelques années par Giovanna Vergari pour les bibliothèques romaines (G. Vergari, « Les premières éditions de René Descartes dans les bibliothèques romaines », liminaire du BC XXVI, 1998, p. 25-33 : www.cartesius.net). Nous ne disposons actuellement que du précieux Catalogo della mostra bibliografica e iconografica. Dalla scienza mirabile alla scienza nuova. Napoli e Cartesio (Naples, Istituto italiano per gli studi filosofici, 1997) relatif aux collections de la BNN.
Giulia BELGIOIOSO (Università del Salento)
Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin cartésien LI chez notre partenaire Cairn
Pour citer cet article : LOMONACO, Fabrizio, Cartesio a Napoli. Le passioni dell’Anima. Traduzione e lettere tra ’600 e ’700, Rome, Aracne editrice, 2020, 260 p., in Bulletin cartésien LI, Archives de philosophie, tome 85/1, Janvier-Mars 2022, p. 172-174.</p
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KAMBOUCHNER, Denis, Descartes n’a pas dit […]. Un répertoire des fausses idées sur l’auteur du Discours de la méthode avec les éléments utiles et une esquisse d’apologie, Paris, Les Belles Lettres, 2015, 225 p.
Ce petit livre est divisé en vingt-et-un chapitres dont chacun examine un énoncé attribué à tort à D. et autour duquel se sont construites autant de « fausses idées » ; à partir de textes, fragments ou expressions tirés d’écrits cartésiens souvent ignorés (à tort), l’A. démontre la fausseté ou la partialité de telles jugements. Vingt-et-un énoncés attribués à tort à D. et qui ont souvent produit des visions simplistes et déformées de la philosophie cartésienne. Ainsi, « Dans les écoles, on n’apprend rien d’utile » (chap. 1), « Les sens nous trompent » (chap. 2), « Rien n’est vrai sinon ce qui est clair et distinct » (chap. 3), etc. Quelques exemples de simplifications : la « réduction de la matière à l’étendue, c’est-à-dire à l’espace », contre laquelle la Règle XIV montre que « tout ce que l’énoncé exprime est une sorte d’illusion d’optique sur l’opération cartésienne » (p. 124) ; ou encore, contre la supposée disqualification cartésienne des expériences, le rappel que « seule une ignorance malveillante fera penser que le Descartes physicien ait méprisé les expériences, alors qu’il a, peut-on dire sans exagérer, passé à les rechercher chaque jour de sa vie » (p. 136) ; ou, contre l’énoncé selon lequel « La morale parfaite est hors de portée », l’évidence que la morale « n’est pas la matière d’un livre : elle est pour partie affaire d’instructions, mais pour une très grande part, comme la méthode, affaire de pratique et de discipline intérieure. À cet égard, cela tout au moins est certain, elle n’est rien qui puisse s’enseigner » (p. 195) ; enfin, pour l’énoncé : « La générosité est passion de la liberté », l’A. mentionne les art. 153 et 154 des Passions de l’âme, selon lesquels « les généreux n’ont pas à vouloir se rendre libres, ils le sont déjà », alors que selon l’art. 161 la générosité est « une disposition qui s’acquiert » (p. 200) : la liberté « ne constitue pas la valeur suprême » (p. 202), son « but, c’est d’en faire un bon usage » (p. 203) pour « procurer, autant qu’il est en [soi], le bien général de tous les hommes » (Discours VI, AT VI 61, 26-28).
Ainsi l’A. démonte-t-il minutieusement et efficacement les contresens sur D. et contribue-t-il à lui restituer son vrai visage à l’encontre des « erreurs produites au long des années par la simplification polémique ou scolaire ou par des controverses entre les savants (p. 10). La littérature secondaire n’est évoquée qu’en passant pour souligner les « injustes filtrages que les lectures les plus instruites ne s’emploient pas toujours à déjouer » (p. 11). Les citations sont rares, et ne visent qu’à reconnaître des résultats partagés (avec J.-M. Beyssade, F. de Buzon, P. Guenancia) ou pour indiquer des sources de « simplifications » ou d’erreurs (comme Durkheim, Natorp et surtout Damasio, qui « n’a pratiquement rien lu de Descartes », p. 169). Nous retiendrons surtout les deux conclusions de cette enquête : d’abord, qu’aujourd’hui, tandis que « plus personne […] ne croit à la raison (on s’en moque, on la hait, on en doute, ou bien l’on en désespère) », D. « peut toujours nous servir d’horizon » (p. 224-225) ; ensuite que cela n’est possible qu’en retournant lire directement les textes du philosophe.
Giulia BELGIOIOSO
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Pour citer cet article : Giulia BELGIOIOSO, « KAMBOUCHNER, Denis, Descartes n’a pas dit […]. Un répertoire des fausses idées sur l’auteur du Discours de la méthode avec les éléments utiles et une esquisse d’apologie, Paris, Les Belles Lettres, 2015, 225 p. » in Bulletin cartésien XLVI, Archives de Philosophie, tome 80/1, Janvier-mars 2017, p. 147-224.