Auteur : Giuliano Gasparri
DOBRE, Mihnea, Descartes and early French Cartesianism. Between Metaphysics and Physics, Bucarest, Zeta Books, 2017, 422 p.
Ce livre est issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2010, portant sur les fondements de la philosophie naturelle de D. et de quatre des premiers cartésiens. Entre la soutenance de cette thèse et sa publication, des fragments de ce travail ont été repris et publiés dans plusieurs études particulières. Le thème principal de cette recherche est le rôle du cartésianisme dans l’évolution du rapport entre physique et métaphysique, au moment de la longue crise de l’aristotélisme scolastique, évolution qui conduisit à la transformation de la philosophie naturelle en science au sens moderne. Chez D., cette transformation impliqua une refonte des deux disciplines, la physique devenant directement dépendante de la métaphysique. Après avoir introduit le sujet (chap. 1), l’A. montre comment les deux disciplines s’articulent dans la pensée cartésienne (chap. 2), avant d’analyser le problème de la tension entre métaphysique et physique à l’intérieur du système de D. (chap. 3). S’il est vrai que cette tension existait déjà au sein de l’aristotélisme, la définition de la philosophie première chez Aristote n’étant pas univoque et la métaphysique croisant alors en partie la physique, pour les aristotéliciens les objets des deux disciplines ne coïncidaient pas et une déduction de la physique à partir de la métaphysique n’était pas envisageable. En revanche chez D., comme chez Leibniz après lui, la physique n’est pas une science autonome, elle nécessite d’être fondée par la métaphysique. C’est en particulier en s’appuyant sur la deuxième partie des Principia que l’on peut, d’après l’A., analyser la tension entre métaphysique et physique, c’est-à-dire dans ce texte où D. déploie sa théorie de la matière et du mouvement, qui sera la source de difficultés majeures, notamment quant à l’individuation des corps et au statut des lois de la nature.
Pour mieux comprendre l’impact de ces transformations et de ces difficultés, l’A. s’intéresse à quatre philosophes d’orientation cartésienne, appartenant tous à la première génération des successeurs de D., et tous plus ou moins directement liés à Clerselier (Jacques du Roure, Géraud de Cordemoy, François Bayle et Jacques Rohault). Il se concentre en particulier sur des ouvrages que ces savants donnèrent au public entre 1650, année de la mort de D., et 1671, date de l’interdiction d’enseigner la philosophie cartésienne en Sorbonne suite aux polémiques sur l’explication physique de la transsubstantiation. Après cette date, selon l’A., le débat philosophique se déplace vers des enjeux différents : c’est donc la première génération des cartésiens qu’il faut regarder si l’on veut comprendre la réception de la physique métaphysique de D. par ses contemporains (p. 53 ; mais la condamnation de 1671 ne semble pas correspondre à une réelle rupture sur le plan historique, la date de 1671 jouant un rôle purement fonctionnel de limite pour l’étude). Aux problèmes hérités de D., les quatre cartésiens apportèrent des réponses différentes, que l’A. analyse de façon approfondie (chap. 4). Il relève des constantes : tous suivent l’ordre établi par D. et exposent la métaphysique avant la physique, mais ils questionnent en même temps la dépendance logique de la physique par rapport à la métaphysique et la nécessité de fonder la première par la seconde ; ils accordent plus d’importance aux hypothèses confirmées par l’expérience (ce qui est évident surtout chez Bayle et Rohault) ; ils puisent dans le mélange de physique et métaphysique qu’on trouvait dans la deuxième partie des Principia, où ils cherchaient un accord entre expérience, lois de la nature et principes déduits de la métaphysique. Du Roure, le moins étudié des quatre cartésiens, essaya d’ordonner cette matière dans différents manuels, mais il aboutit, selon l’A., à un résultat assez confus. Rohault, lui aussi auteur de manuels de philosophie, renonce à y exposer la métaphysique et met l’accent sur le rôle de l’approche expérimentale. Il recourt néanmoins à des arguments d’ordre métaphysique lorsqu’il affirme que l’âme est mieux connue que le corps, et s’il déclare d’un côté que la physique ne doit pas faire appel à Dieu ni à d’autres notions de la métaphysique, qui risqueraient de porter atteinte au progrès de la science de la nature, il invoque d’autre part l’omnipotence divine pour prouver que la matière pourrait être divisée à l’infini (refusant l’atomisme, comme D.). Ce mélange d’éléments relevant de la physique et de la métaphysique se retrouve aussi chez le médecin Bayle. Ce dernier reprend la structure de l’épistémologie cartésienne, tout en insistant sur l’importance de l’expérience à côté de la raison. Son parti pris expérimentaliste le conduit donc à substituer à l’idéal cartésien de la certitude une sorte de probabilisme (p. 314-322) : ce sont là des mutations significatives par rapport au système de D. qui marquèrent le développement de la philosophie naturelle des années précédant les Principia newtoniens.
L’A. décrit ainsi ces épisodes de façon très claire et très précise, dans un ouvrage d’autant plus intéressant que les études sur la philosophie naturelle des cartésiens « mineurs » restent peu nombreuses. Il montre ainsi comment la déconstruction de la science de la nature cartésienne ne fut pas l’œuvre exclusive des savants qui la critiquèrent de l’extérieur, comme Boyle, Newton ou Leibniz, mais qu’une ouverture vers l’empirisme a existé à l’intérieur même du courant cartésien. Quelques oublis sont à signaler dans la bibliographie (par ex. les études de J.-R. Armogathe et V. Carraud sur la mise à l’Index des œuvres de D., et le long essai sur Cordemoy publié avec la traduction italienne du Discours physique de la parole par E. Lojacono en 2006).
Giuliano GASPARRI
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Pour citer cet article : Giuliano GASPARRI, « DOBRE, Mihnea, Descartes and early French Cartesianism. Between Metaphysics and Physics, Bucarest, Zeta Books, 2017 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.