Auteur : Guglielmo Califano
Gianluca RICCADONNA, Dante “poeta transcendentale”. L’idealismo tedesco e la Commedia, Napoli, La scuola di Pitagora, 2021, 134 p.
Dans cet essai court, mais bien informé, Gianluca Riccadonna parcourt les étapes de la réception de la Divine Comédie de Dante au sein de la culture allemande au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, depuis l’enthousiasme des premiers cercles romantiques jusqu’à la systématisation que propose l’Esthétique hégélienne. L’auteur oriente surtout son regard vers les questions théorico-spéculatives : quel est le contexte philosophique du regain d’attention pour le poète italien ? Quel est le rapport entre l’idéalisme allemand et la renaissance de l’intérêt pour la Divine Comédie ?
Après avoir fourni des informations rapides sur une première « redécouverte » de Dante par l’érudit suisse Johann Jakob Bodmer, le livre se plonge dans le milieu d’où est né le dantisme romantique : la demeure d’Iéna des frères Schlegel, dans laquelle Schelling, Schleiermacher, Novalis et d’autres intellectuels se réunissaient pour lire en commun la Commedia.
L’auteur, conformément à une perspective traditionnelle qui remonte au moins à Wilhelm Dilthey et à Benedetto Croce, souligne avant tout le contraste entre leur approche et une sensibilité classiciste répandue. Celle-ci, pour reprendre les termes de Goethe, tenait Dante pour « ennuyeux » et « rebutant ». Il trouve les motivations philosophico-esthétiques les plus caractéristiques des nouvelles lectures dans l’historicisation et la compréhension allégorique de Dante – citant à ce propos la contribution fondamentale qu’est l’Essai sur Dante d’August Wilhelm Schlegel.
Dans ce cadre, l’accent est mis notamment sur la réflexion commune des jeunes romantiques sur l’écart entre modernité et pré-modernité. Celle-ci, aux yeux de l’auteur, semble constituer le filtre principal à travers lequel il est possible de comprendre l’intérêt pour la Commedia. En ce sens, une grande importance est attribuée au fragment sur « Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand » : la spécialisation des facultés, la fragmentation des communautés, les mécanismes impersonnels de la politique requièrent des philosophes la capacité de s’adresser au peuple à travers une nouvelle mythologie. Il conviendrait justement d’interpréter les nouvelles lectures de la Commedia à la lumière de ces exigences, alors que Dante, qui oscille constamment entre classique et romantique, entre passé et présent, représenterait en même temps un exemple de philosophe-mythologue – ou même, dans le cas de Friedrich Schlegel, le « père de la philosophie moderne » – et une source d’inspiration pour les contemporains.
C’est donc surtout à partir de l’actualisation problématique mais nécessaire de la forme de la Commedia, capable de restituer la totalité de son propre temps, et des tensions entre poésie et philosophie, raison et mythe, que le livre, après avoir rendu compte dans le chapitre initial de la première « découverte » de Dante, reparcourt certains des moments fondamentaux de la culture du Goethezeit. Alors que le second chapitre fournit un aperçu de l’approche de la mythologie de Christian Gottlob Heyne à Herder, le troisième est consacré au « Plus ancien programme », le quatrième propose un parallèle entre les images de Spinoza et de Dante, le cinquième suit les traces réciproques de platonisme dans les lectures de la Commedia et de dantisme dans les réinterprétations de Platon. Enfin, les trois derniers chapitres se concentrent plus en détail sur les interprétations de Schelling et de Hegel : alors que le premier attribue à Dante un rôle de modèle paradigmatique de toute production littéraire, le second, d’un côté, en historicisant plus résolument la Commedia, et de l’autre en renforçant l’idée que ses personnages ont valeur de figures éternelles, invite à la lecture que produira Erich Auerbach au XXe siècle.
Guglielmo CALIFANO (Università di Pisa) [trad. J.-M. Buée]
Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXXI chez notre partenaire Cairn
Pour citer cet article : Gianluca RICCADONNA, Dante “poeta transcendentale”. L’idealismo tedesco e la Commedia, Napoli, La scuola di Pitagora, 2021, 134 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.