Auteur : Guido Frilli

Alfredo FERRARIN, Il pensare e l’io. Hegel e la critica di Kant, Roma, Carocci, 2016, 248 p.

L’argument théorique central du livre d’Alfredo Ferrarin, Il pensare e l’io (le penser et le moi), est qu’on ne peut évaluer les divergences fondamentales entre les conceptions hégélienne et kantienne de la raison qu’à la condition de prendre en compte une continuité essentielle et souvent négligée. Cette continuité appartient à la relation ambivalente entre la pensée et le penseur ou, plus exactement, entre la raison comme force universelle ou pouvoir qui dépasse l’individu, et la pensée subjective, ou individuelle, qui est le seul terrain sur lequel ce pouvoir peut apparaître et se connaître soi-même. Selon Ferrarin, cette continuité est davantage une continuité de problèmes partagés que de solutions communes ; mais elle est cruciale, tant pour saisir à la fois les points de vue de Kant et de Hegel sur la raison que pour comprendre leurs désaccords essentiels.

C’est une thèse stimulante et complexe que Ferrarin défend de façon habile et convaincante. Les quatre premiers chapitres interrogent la conception hégélienne de la pensée sous différents aspects : la pensée en tant qu’elle est incarnée dans le désir de la conscience de soi immédiate (I) ; l’idée d’une pensée objective ou non-humaine (II) ; le mouvement d’auto-réification de la pensée dans le monde (III) ; et l’activité supplémentaire de la pensée consistant à transformer les représentations en concepts (IV). Tous ces chapitres cherchent à tracer le chemin d’une alternative tant aux interprétations transcendantalistes qu’aux interprétations réalistes de la philosophie hégélienne (p. 135 sq.). Les interprétations qui voient en Hegel un réaliste métaphysique reconnaissent avec raison l’objectivité du logos ainsi que son indépendance vis-à-vis de la pensée humaine, mais elles échouent à faire valoir que le logos hégélien est mouvement et vie, et qu’il n’est rien en dehors de sa propre activité d’auto-détermination. À l’inverse, les lectures transcendantalistes de Hegel affirment que le logos universel – l’Idée d’un système de catégories qui s’organise lui-même – est un produit de la pensée humaine. C’est un aspect typique de ces lectures que d’affirmer également que la philosophie de Hegel est une radicalisation du projet critique de Kant (p. 171 sq.), dans la mesure où Hegel historicise la conception kantienne de la pensée, subjectiviste et anhistorique, en rendant la raison essentiellement dépendante de la socialité humaine, de la praxis et du langage. Cette approche d’ensemble est la principale cible polémique du livre, dans la mesure où elle fait subir une distorsion aux buts fondamentaux qui sont à la fois ceux de Hegel et de Kant. Parce qu’elle fait de l’Idée un produit de la pensée subjective et, en dernière analyse, une création de l’histoire humaine, la thèse transcendantaliste est incapable de reconnaître l’objectivité de la pensée ; elle réduit l’auto-développement objectif de la pensée à une production humaine, en réduisant ainsi la dialectique à la discursivité (p. 239).

Le chapitre V instaure un vaste débat théorique entre la raison hégélienne et Kant. Cela conduit à critiquer quelques-unes des présuppositions fondamentales de la lecture hégélienne présentant Kant comme un penseur formaliste et subjectiviste. Si Hegel avait fait preuve à l’égard de Kant de la même curiosité exégétique qu’à l’égard d’Aristote, il aurait reconnu que la Vernunft kantienne est irréductible au Verstand et que, malgré toutes les ambivalences et les oscillations kantiennes, elle est une force autonome d’auto-production et d’auto-législation. En soulignant cette affinité essentielle, Ferrarin n’entend pas mesurer l’étendue de la dette de Hegel à l’égard de Kant – il affirme qu’il faudrait plutôt contextualiser cette dette présumée (p. 174). Il soutient au contraire qu’un débat nouveau et original à propos de la raison – un débat que Hegel n’était malheureusement pas disposé à avoir avec Kant – peut nous apprendre quelque chose d’important et sur Kant et sur Hegel, parce qu’il nous permet d’appréhender leurs solutions alternatives comme inspirées par des problèmes foncièrement analogues (p. 33-34).

Guido FRILLI (Université de Florence) (Trad. J.-M. B.)

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Pour citer cet article : Guido FRILLI, « Alfredo FERRARIN, Il pensare e l’io. Hegel e la critica di Kant, Roma, Carocci, 2016 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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